Paul

Chatinières

 
 

1884

Taraudant, 1928

 

Paul Chatinières fut cité à l'ordre de la Nation dans les termes que l'on peut lire sur sa tombe "M. Chatinières. Alpinien. Ernest, Paul. médecin-chef de l'Infirmerie Indigène de Taroudant", type accompli du médecin du bled. alliant à une haute valeur morale les qualités d'un grand cœur et un inépuisable dévouement au cours de la grave épidémie de typhus de Taroudant, méprisant le danger qui le guettait. s'est sacrifié sans compter.

Né en 1884, le docteur Chatinières avait quarante-trois ans quand il arriva à Taraudant pour en diriger l'infirmerie indigène. Il venait de Rabat, via Agadir, voyageant avec femme et enfants. Il s'était porté volontaire pour ce poste civil de médecin-chef, demandant en même temps sa mise en congé de l'armée, où il avait atteint le grade de médecin­major de première classe, l'équivalent de médecin­commandant.

Paul Chatinières avait déjà une longue expérience de la médecine du bled au Maroc, ce qu'il appelait "l'assistance médicale indigène" . De 1912 à 1916, il avait sillonné le Sud avec le Groupe Sanitaire Mobile (G.SM.) de Marrakech. Puis, on le retrouve officier de l'Ouissam Alaouite, à Midelt de 1924 à 1927, déjà volontaire. Entre temps, il avait servi dans les ambulances en France puis dans les services d'assistance d'hygiène en Syrie, au Levant et en Palestine.

Il était parfaitement conscient des limites de la médecine balbutiante de l'époque. En Syrie, sa première femme ne survécut pas à la naissance de leur enfant Christian, A Midelt, il ne put sauver un fils en bas-âge, né de son second mariage. Quant aux épidémies, il n'en ignorait rien, comme l'atteste la médaille d'argent du dévouement qu'il avait méritée au Maroc en mai 1912.

Paul Chatinières parlait couramment arabe et berbère. Il connaissait déjà Taraudant où il avait séjourné en 1914 avec le G.S.M de Marrakech. La ville et la gentillesse des habitants l'avaient séduit. Ainsi que le rapporte son carnet de route: "Taraudant est un grand bourg, plutôt qu'une ville(1). C'est avant tout un immense jardin, très cultivé, planté d'oliviers et de palmiers, enclos de hautes murailles crénelées. En parcourant les vieilles ruelles et les allées tortueuses, à travers les jardins luxuriants et embaumés, où chaque détour réservait une surprise, je m'abandonnais aux charmes des coloris très vifs et changeants et à la joie de respirer à pleins poumons parmi cette végétation généreuse. Des gamins espiègles et gracieux nous suivent en nous adressant des sourires et des mots aimables".

En tant que médecin, il avait été pareillement sensible à l'accueil qu'on lui avait réservé : "j'avais installé un dispensaire indigène où des malades venaient sans cesse me demander des soins, des médicaments et des interventions", écrit-il encore. "C'étaient surtout des habitants de Taraudant et des cultivateurs du Sous, manifestant tous une très grande confiance dans le médecin, spontanément expansifs et ouverts, de grands enfants rieurs, aussitôt sympathiques. Tous les jours j'avais à opérer des cataractes, des tumeurs superficielles, à appliquer des pointes de feu, à vacciner".

Faute de connaître avec exactitude la date de son arrivée à Taroudant, on a pu se demander s'il s'y était rendu dans le but précis de combattre l'épidémie de typhus qui s'était déclarée dans le Sous, ou plus simplement pour revivre avec les Chleuhs le Sous qu'il aimait. Il semble que la seconde hypothèse soit la plus valable.

Homme de décision, le docteur Chatinières ne craignait pas les responsabilités. La chance s'offrait à lui de développer à Taraudant une infirmerie indigène, avec, en perspective, la mise en place d'un hôpital. "Se donner eux populations corps et âme" selon son expression, et cela pendant quelques années, s'il plaît à Dieu, voilà le parcours auquel il pouvait penser, à un moment où la situation épidémiologique du Sous ne mettait pas en danger la vie de ses enfants en bas âge. Christian avait sept ans et Marion quatre ans. En cet automne 1927, il se préparait à une vie heureuse, quoique difficile, pensant rester à Taroudant plusieurs années en famille.

Le Sous était connu pour être un des points de départ des épidémies de typhus et de peste. En 1928, sévit une des plus meurtrières épidémies de typhus enregistrée jusqu'alors, 1807 cas furent déclarés, chiffre n'incluant naturellement pas toutes les atteintes dissimulées ou ignorées. La médecine à l'égard de cette maladie était encore très rudimentaire. Le taux de mortalité pouvait alors atteindre 35 % des cas, après un délire et une agonie de quelques jours. Les vaccinations préventives n'apparurent que plus tard et, en premier lieu,. au Maroc, celle de Blanc, directeur de l'Institut Pasteur de Casablanca, et Baltazar, son chef de laboratoire ; on y eut largement recours dans les foyers de typhus pendant l'épidémie qui sévit de nouveau en 1937.(2)

L'épidémie de typhus débuta à Taroudant dès janvier 1928. Les moyens de lutte contre cette maladie dans la petite infirmerie indigène étaient fort modestes. Les médecins Chatinières, puis Galibert(3), l'infirmier spécialisé Bazin, les infirmiers, Mohamed ben Tahar, Aomar ben Allal, Mohamed ben Aom(4), et d'autres anonymes, pratiquaient l'épouillage au péril de leur vie. Il fallut faire appel à des renforts, et ce fut l'arrivée du frère Le Comte, et celles des sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie.

Y avait-il le matériel d'étuvage nécessaire ? En tout cas, pas davantage de laboratoire qu'en 1921, lorsque le peintre Jacques Majorelle fut atteint du paludisme en ce même lieu.

Très proche de la population le docteur Chatinièresest atteint, "touché" selon sa propre expression , et intransportable. Il meurt dans sa maison de Taraudant le 9 février 1928. Parfaitement conscient de la gravité de son état, il avait écrit une lettre à sa famille, exprimant ses dernières volontés et résumant les connaissances de l'époque concernant le typhus. Au-delà de la classique éruption exanthémateuse respectant le visage, il y citait le pou comme agent vecteur, la fièvre, et le signe de la langue qu'on ne peut tirer - pour le diagnostic - et enfin le sérum de convalescent en tant que thérapeutique aléatoire.

Comme il l'avait souhaité, il fut enterré dans le jardin de l'infirmerie - l'hôpital Moktar Sousssi, aujourd'hui - où sa tombe demeure respectée de tous. Le frère Pierre-Baptiste Le Comte, emporté un mois plus tard, fut inhumé à ses côtés. Le Père Périguère(5) dans son homélie de funérailles devait insister sur le "sacrifice" du docteur Chatinières, "sacrifice qu'il avait nettement entrevu, et vers lequel il a marché, le sachant bien, le voulant bien" .

La Médaille d'Or des épidémies lui fut décernée à titre posthume et l'Académie de Médecine récompensa avec le prix Huchard "une vie toute de dévouement et d'abnégation, qui peut être donnée en exemple aux jeunes générations de médecins". L'hôpital de Taroudant prit le nom de Chatinières, ainsi qu'un de ses pavillons, de même que l'infirmerie indigène de Midelt et un pavillon de l'hôpital Derb-el­Laalou de Mogador.

L'épitaphe de sa tombe résume son engagement au service des autres et de ses idéaux . "Mort pour le Maroc et pour la France".

 

O.G.
D'après Michel Pierre Roux-Dessarps
Taraudant 15 septembre 2001

 

1 A l'époque, on comptait à Taroudant 9000 habitants environ.

2 Les découvertes de Foley et Sergent sur le rôle du pou dans le typhus récurrent, datent de 1909 ; Charles Nicolle les développa pour le typhus exanthématique et ses travaux furent récompensés en 1928 par le prix Nobel de médecine. Voir les biographies parues dans Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 2 et 11.

3 Les médecins Amidieu et Sallard, appelés à la suite, furent victimes du typhus, de même que le Père Peyriguère, aumonier à Taroudant, mais tous trois guérirent à l'hôpital du docteur Bouveret à Mogador

4 tous cités pour leur dévouement au journal officiel. de la République Française le 19 juillet 1928.

5 Voir la biographie du Père Périguère dans Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 2.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Carnet de route paru en 1919 dans le grand Atlas marocain; préfacé par le général Lyautey (épuisé).

 

 

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