Cervantes

 

 

Écrivain espagnol , romancier , poète et dramaturge

 

 

Alcala de Henares
29 septembre 1547

 Madrid 26 avril 1616

 

 

 

Cervantes

 

Nous retraçons ci-dessous la vie de Cervantès, auteur du roman mondialement connu « Don Quichotte de la Mancha ». Nous nous sommes basés en partie sur un texte d'Emmanuel Roblès, écrivain, dont nous avons fait paraître la biographie dans le numéro 108 des Cahiers d'Afrique du Nord. Ce dernier avait été sollicité par une jeune troupe théâtrale pour traduire une comédie de Cervantès l'Espagnol courageux (E! Gallardo Espanol). Il s'agit d'une pièce dramatique, dont l'action se situe à Oran durant le siège de cette ville en 1563 par Hassan Pacha, calife de la Régence d'Alger. Le projet de représenter cette pièce dans un spectacle en plein air n'avait pas abouti. Mais captivé par l'étude approfondie des aventures de Cervantès, Emmanuel Roblès avait écrit un texte retrouvé dans les archives de Monsieur Robert Tinthoin, historien et spécialiste de l'Oranie. Il nous a semblé particulièrement intéressant de rapporter la description de la ville d'Oran, alors enclave espagnole, telle qu'elle est apparue à Cervantès au 16è siècle. Bien différente de celle décrite par le même auteur en 1961 ( voir le n° 108 cité plus haut ).

Miguel de Cervantès est né le 29 septembre 1547 à Alcala de Henares, non loin de Madrid. Son père, modeste médecin- barbier, fait beaucoup voyager sa famille (Valladolid, Madrid, Séville). Après de solides études, il choisit le métier des armes. Il a un goût extrême pour la lecture et s'essaye à la littérature en écrivant quelques poèmes. A l'âge de 24 ans, à la suite d'un duel qui l'a opposé à un certain Antoine Segura, il se réfugie en Italie et s'engage dans la Sainte Ligue. Ce mouvement, regroupant les pays chrétiens, avait été créé à l'initiative du Pape Pie V afin de lutter contre les Turcs qui, visant l'hégémonie en Europe, multipliaient les razzias et les actes de piraterie en Méditerranée.

Enrôlé dans l'armée espagnole de Naples, il participe à la bataille de Lépante en 1571. Contre toute attente, l'armée turque qui était réputée invincible est écrasée. Miguel a été grièvement blessé. Il ne pourra plus se servir de sa main, ce qui lui vaudra le surnom de « manchot de Lépante ».

Après une période de convalescence à Messine pour se remettre de ses blessures, il reprend du service dès 1572 et prend part à d'autres campagnes en Méditerranée orientale (Naples, Tunis, Palerme). Il visite l'Italie.

Le 26 septembre 1575, il prend le chemin du retour vers l'Espagne avec son frère Rodrigo. La galère El Sol sur laquelle ils sont embarqués est capturée par les pirates barbaresques au large des Saintes-Maries-de-la-Mer. Ils sont pris en otages et acheminés au bagne d'Alger où ils sont traités en esclaves. Il fait quatre tentatives d'évasion, sans succès, ce qui lui fait connaître les cachots où vingt mille hommes, chrétiens ou condamnés en droit commun, étaient entassés, subissant les pires tortures. Son frère fut libéré avant lui. Il fallut cinq ans à ses proches, aidés par les Frères Trinitaires1  pour trouver les fonds nécessaires à sa libération. « La charité de ce Pères » écrira Cervantès dans sa nouvelle, L'Espagnole anglaise « s'étend à ce point de miséricorde et de générosité qu'ils donnent leur liberté pour celle d'autrui et demeurent prisonniers pour racheter les autres prisonniers ».

Cervantès retrouve l'Espagne à l'automne 1580. Il y est accueilli en vétéran couvert de gloire. Il noue une liaison avec Ana de Rojas et aura une fille, Isabel. Puis il se marie avec Catalina Salazar, de 17 ans sa cadette. Mais le couple se sépare et il mènera une vie de solitude.

Le 9 février 1581, il doit accomplir une formalité indispensable à tous ceux qui, au retour de quelque bagne africain, devaient réintégrer la vie publique. Il envoie sa mère présenter son acte de rachat au Grand Conseil de la Croisade, et dès ce moment, peut se mettre en quête d'un emploi. Mais nulle part le glorieux mutilé de Lépante ne trouvait l'accueil qu'il méritait et il s'épuisait en démarches inutiles.

Finalement, il décide de se présenter au roi lui-même. Philippe II se trouvait au Portugal dont il s'occupait d'organiser la conquête. C'est à Tomar, dans le château des Chevaliers de la Croix, bourré de soldats et de courtisans, que le roi le reçut et lui confia une mission à Oran. C'était une mission secrète et de haute confiance qui laissait espérer à Cervantès quelque poste important au retour. Hélas, il n'en fut rien .

En ce jour de mai 1581, Cervantès, âgé de tente quatre ans, a soif de gloire et son imagination s'enfièvre tandis qu'il navigue de nouveau vers l'Afrique, non plus en prisonnier, mais en messager du roi. Philippe Il cherchait à organiser une vaste action contre les barbaresques. Il voulait connaître la situation exacte du pays et savoir la position des Espagnols dans l'enclave où ils se trouvaient. Cervantès savait l'importance de la mission qu'il devait assurer. Il en était très fier et plus tard, en parlera avec orgueil.

Son séjour qui dura plus d'un mois lui permit de s'informer et d'observer l'aspect misérable de la ville, totalement détruite après le siège de 1563 conduit par Hassan Pacha.

Le port qui lui apparut au matin sur une côte abrupte, était entouré de forteresses. L'Oran de 1509 conquise par le cardinal Ximenés de Cisneros s'était à peine agrandie et vivait dans un perpétuel qui-vive derrière ses remparts

Pour qui venait de la mer, à tribord s'élevait le fort de la Guenon (en espagnol de la Mona, le fort Lamoune actuel). Plus haut on apercevait la Tour de la Hach ou de la Vigie, qui plus tard devait devenir le fort Saint Grégoire. En face, sur la falaise se dressait le Rozalcazar avec son épais donjon qui datait d'une Commanderie maltaise. A bâbord, le fort Sainte Thérèse, sur son éperon rocheux, dominait le cirque de Karguentah. Le soleil levant éclairait au loin les murailles de Mers-el-Kebir, les flancs pelés du Murdjajo et de l'autre côté, dans les brumes, la crête de la montagne Saint Augustin dite Montagne des Lions, (Cerro de los Leones).

Si au XVème siècle, sous le règne des Ziénides, Oran avait pu passer pour une grande cité, avec, nous dit l'historien Alvarez Gomez, six mille maisons, des mosquées splendides, des écoles comparables à celles de Cordoue, Séville et Grenade, des vastes entreprises, des bains renommés, de beaux édifices publics, en revanche, à l'époque de Cervantès elle apparaissait comme une place forte où vivaient seulement deux ou trois milliers d'habitants, garnison comprise.

Coupée de Tlemcen dont elle était le débouché commercial , Oran n'était plus qu'un « préside » où Philippe Il faisait envoyer les galériens et les condamnés du bagne de Malaga. Sa possession, couplée à celle de Mers-el Kébir, était comme celle de Melilla, Ceuta, et Penon de Velez, indispensable à l'Espagne si elle voulait protéger ses côtes d'Andalousie contre les incursions des pillards africains. Oran pouvait également servir de base, comme en 1541, pour une expédition contre Alger.

Plus de quais populeux où se confondaient les Maures, les Vénitiens, les Gênois, les Marseillais, les Catalans. Plus de magasins florissants, riches d'étoffes de laines, de peaux tannées, d'ivoires, de céréales, d'arme blanches, de dépouilles d'autruches, de verroteries... La ville avait à présent un aspect triste et sévère et l'alerte ne s'y relâchait jamais. C'est que, depuis le début de l'occupation espagnole, elle était le plus souvent bloquée et avait subi de fréquents coups de main ou assauts d'envergure, sans compter les sièges comme celui de 1563 qui avait duré plus de deux ans Dans ces périodes dramatiques, il arrivait que l'état-major d'Oran ne pût communiquer avec Mers-el-Kebir que par des nageurs qui traversaient la baie de nuit. Ces batailles, par leur ampleur et leur acharnement, inspiraient maints chroniqueurs arabes ou chrétiens et des écrivains de la taille de Lope de Vega, de Gongora, et de Cervantès lui-même puisque son Espagnol courageux est centré entièrement sur le fameux siège de 1563.

Cervantès débarqua à La Marine, sous les murailles du Fort de la Mona. La Marine formait un faubourg séparé de la ville proprement dite par une enceinte percée d'une porte dite porte de Canastel. Une autre porte dite de Tlemcen, ouvrait sur le plateau. Par les ruelles étroites, il monta vers l'Acazaba surmontée par la tour ronde de la Campana où logeait le gouverneur. Partout les petites maisons basses étaient étouffées entre les magasins militaires, les prisons, les casemates, les casernes, les couvents. Tous les passants portaient des vêtements pauvres et rapiécés. Peu d'indigènes, car, par mesure de sécurité, leur présence était mal tolérée à l'intérieur des murs où ils ne pouvaient séjourner la nuit, à l'exception des auxiliaires et des serviteurs, ceux-ci d'ailleurs toujours suspects. Les habitants des aduares (douars) qui pour certaines raisons, étaient, pour quelques heures, admis dans la ville, y pénétraient par une porte spéciale, les yeux bandés. Mal ravitaillée, la place souffrait de la faim chronique.

Il me plaît de penser, déclare Emmanuel Roblès, que Cervantès traversa la petite place qui porte aujourd'hui le nom de Place de la Perle et qui est un des coins les plus pittoresques de l'Oran actuelle.

Il entra et fut reçu par le gouverneur don Martin de Cordoba, marquis de Cortes, comte d'Alcaudete, homme de guerre des plus prestigieux. Il avait lui-même été captif à Alger pour être tombé aux mains des Maures en 1558, sous les murs de Mostaganem lors d'une tragique affaire où son propre père trouva la mort. Le dey Hassan l'avait confié à un renégat vénitien, mais à la suite d'une tentative d'évasion, il fut condamné à l'emprisonnement dans la forteresse qui couronne la ville (le Fort l'Empereur aujourd'hui) où il demeura deux ans jusqu'à son rachat pour 23.000 ducats réunis par son frère Alonso. Nommé gouverneur de Mers-el-Kebir après sa libération, il y soutint de terribles assauts en 1563.

C'est ce don Martin de Cordoba que Cervantès a mis en scène dans L'Espagnol courageux sous son véritable nom. Bien des détails, à la lecture de cette pièce, écrit Emmanuel Roblès, font tressaillir d'aise un cœur oranais. Cervantès fait de nombreuses allusions à Canastel et mentionne dans une scène du toisième acte, les lions ... « qui peuplent le flanc de cette montagne abrupte et isolée qui domine et regarde nos plaines sèches ». ll serait peut-être exagéré, estime Roblès, que les deux lions de bronze qui ornent l'entrée de la mairie d'Oran, et sur lesquels médite Camus dans Le Minotaure, ont été placés là pour célébrer la mémoire de leurs ancêtres cervantesques.

Cervantès revint en Espagne le 25 juin 1581. Il acheva sa mission auprès du roi et n'obtint aucune des charges dont il rêvait.

Dès son retour, s'inspirant de ses souvenirs, il se met à écrire. En 1585 il fait paraître un roman pastoral, La Galatea, puis une vingtaine au moins de comédies. Celle du Gallardo Espanol figurait certainement dans ce lot, encore qu'il ne le mentionne pas. On la trouve publiée un mois avant sa mort dans un recueil intitulé « Huit comédies et huit intermèdes nouveaux, jamais représentés. « 

Son livre Don Quichotte de la Mancha, publié en 1605, connut un succès monumental.

Cervantès est mort à Madrid le 26 avril 1616, considéré comme la figure majeure du siècle d'or espagnol et le premier romancier des temps modernes.

Odette Goinard

1 Voir la biographie de Saint Jean de Matha, fondateur de l'ordre des Trinitaires, consacré au rachat des captifs.

 

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