Saint Jean de Matha Fondateur de l’Ordre des Trinitaires du rachat des captifs

 
 

23 juin 1160 Faucon de Barcelonnette (Alpes-de Provence)
17 décembre 1213 Rome

Saint Jean de Matha, Fondateur de l'Ordre des Trinitaires et du rachat des captifs (1160 -1213)

 

Fondateur de l'Ordre des Trinitaires

Né le 23 juin 1160 à Faucon de Barcelonnette (Alpes-de Provence), Jean de Matha est issu d'une famille aristocratique. Il était le fils d'Euphrème de Matha qui, ayant servi sous les ordres du comte de Barcelone en guerroyant contre les Sarrasins, avait reçu en remerciement la baronnie de Faucon. Il fait des études solides, à Marseille d'abord, puis à Aix-en-Provence. Sa mère, née Marthe Fenouillet, originaire de Marseille, très charitable, le conduit dans les hôpitaux et les prisons où il apprend à connaître les pauvres et à les aimer.

Son père souhaite que Jean apprenne le métier des armes. Dans la famille, on se transmet l'art de guerroyer de père en fils. Mais celui-ci se sent appelé par Dieu et se rend à Paris pour suivre les cours de théologie du Collège Saint Victor, fondé par Guillaume de Champeaux.

A cette époque, la France subissait les razzias et les incursions des Maures avec enlèvements de femmes et d'enfants. Les courses en mer constituaient une ressource économique intéressante pour les barbaresques. Le terrible Saladin venait de prendre Jérusalem. A Paris, Jean se trouve dans une ambiance particulièrement surexcitée. La nécessité s'imposait de défendre la foi et de délivrer les captifs chrétiens prisonniers des pirates barbaresques. Le 16 janvier 1184, une réunion exceptionnelle eut lieu à Notre-Dame de Paris où le roi Philippe Auguste et Maurice de Sully reçurent le patriarche de Jérusalem et le Grand Maître du Temple pour évoquer de façon émouvante le sort tragique des Lieux Saints.

Devenu bachelier, puis professeur de théologie, Jean enseigne à Saint Victor. Encouragé dans la voie du sacerdoce par l'évêque Maurice de Sully, qui avait remarqué sa valeur et sa piété, il se décide à être ordonné prêtre.

Il prie Dieu de lui donner un signe pour lui indiquer vers quelle mission il est appelé. Il est exaucé le 28 janvier
1193 lorsque, célébrant sa première messe, il reçoit pendant l'Offertoire, une vision qui va bouleverser sa vie. Il voit Jésus en majesté tenant par la main deux prisonniers, les chevilles enchaînées. L'un est noir, l'autre blanc. Dans l'assistance, Maurice de Sully, l'Abbé de Saint-Victor et le Recteur des Écoles Prévostin de Crémone bénéficient également de cette apparition.

 

Convaincu dès cet instant que Dieu lui confie une mission dans le rachat des captifs. Il se retire à Cerfroid dans le Valois, région humide et boueuse, où certains ermites vivent dans la méditation. Ce sera le berceau de l'Ordre des Trinitaires. Pendant cinq années (1193-1198) Jean va vivre dans la prière et l'ascétisme. Il élabore la règle d'un nouvel Ordre religieux consacré à délivrer, moyennant une rançon, des prisonniers chrétiens. Ce rachat des captifs existait depuis longtemps, mais Jean de Matha sera le premier à l'ériger en Ordre religieux.

En mai 1198, après avoir apporté tous ses soins à la rédaction de la règle fondée sur l'adoration de la Sainte Trinité et du rachat des captifs, il part à Rome avec Félix de Valois, son compagnon ermite, pour soumettre son projet comprenant 40 articles, au Souverain Pontife Innocent III. S'adresser directement au Pape, sans intermédiaire, était une démarche sans précédent. Surpris par l'objet de cette visite, celui-ci les traite d'« insensés » et les invite à revenir plus tard après avoir apporté quelques modifications à la règle ainsi proposée.

A l'automne suivant, il est de nouveau reçu par le Pape, qui, cette fois, par la Bulle du 17 décembre 1198, approuve la règle de l'Ordre des Trinitaires, la Sainte Trinité étant particulièrement vénérée par les théologiens de l'époque. Il lui fournit même une lettre d'introduction auprès du Roi du Maroc.

Les objectifs de l'Ordre dépassant les frontières du pays, il était normal d'en référer au roi Philippe Auguste et de l'informer des expéditions prévues en terre barbaresque. C'est ainsi que Jean et son compagnon ont une entrevue avec le roi de France qui se déclare favorable au nouvel Ordre.

Jean de Matha s'embarque aussitôt pour le Maroc et persuade le roi que le rachat des détenus est une transaction intéressante sur le plan économique. Il obtient gain de cause.

 

La même année, Jean de Matha accomplira un nouveau rachat de captifs chrétiens à Tunis, puis dans les terres sarrasines d'Espagne. Cette grande toile en provenance du couvent des religieuses trinitaires d'Oran - représente l'apparition miraculeuse de la Vierge du Remède à Jean de Matha, lors du Rachat de captifs qu'il réalisait à Valence en Espagne : elle lui remit une bourse d'argent qui compléta les rançons des prisonniers et permit de tous les libérer. Remède, rachat, et rédemption sont des mots formés sur la même racine. La Vierge du Remède est la patronne de l'Ordre et reste très vénérée chez les Trinitaires.

Dès son retour à Cerfroid, Jean de Matha se préoccupe de faire construire une maison Trinitaire. Celle-ci comprenait une église, un cloître, un hôpital, destiné à recevoir les pauvres et les malades. A sa mort, il avait fondé une trentaine de maisons en France, en Italie, en Espagne et en Terre Sainte.

L'objectif de l'Ordre était double : une vie active auprès du rachat des captifs, et une vie contemplative liée à la Trinité. Impressionnés par la vie des religieux et leur rayonnement, de nobles personnages leur accordent des dons généreux, en particulier Marguerite de Blois, future Comtesse de Bourgogne. La participation des Trinitaires aux croisades leur avait valu sept fondations dans la région de Saint Jean d'Acre. Les Trinitaires furent les seuls à prendre en charge des rachats collectifs de prisonniers chrétiens en Terre d'Islam. Les revenus étaient divisés en trois parts l'une pour le couvent et les religieux, une autre pour les soins et l'hôpital, et la troisième, la tertio pars, était réservée au paiement des rançons.

L'Ordre des Trinitaires ainsi fondé rachètera des centaines de captifs chrétiens qui croupissaient misérablement dans des cachots à Alger, Salé, Tunis, l'Espagne musulmane et le Moyen-Orient .

Les Trinitaires étaient souvent amenés à se déplacer car la caisse des captifs destinée à payer les rançons était constituée des impôts prélevés sur les biens dont les rois les avaient dotés et les conduisait à faire des tournées dans la campagne. A l'origine, la règle leur imposait de ne se déplacer qu'à à dos d'âne, ce qui leur avait valu communément le nom de « frères aux ânes ». A partir du XIVème siècle, les ânes furent remplacés par des mules.

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Les Trinitaires se signalaient par leur dévouement et leur courage dans leur mission. Ils se rendaient au marché aux esclaves. Ceux-ci étaient mis en vente sur la place publique.

Le Père Pierre DAN, Supérieur du couvent de l'ordre de la Sainte Trinité et des captifs au XVII ème siècle a décrit la situation des captifs dans un ouvrage L'histoire de Barbarie et de ses corsaires qui fournit des précisions sur les voyages de rachat. Nous en publions ci-après quelques extraits illustrés.

 

Les Trinitaires embarquent pour un voyage périlleux, soumis aux aléas, aux désillusions et aux humiliations.

Dès le début, ils vont commencer à écrire leur « journal de bord », où ils rédigent, au jour le jour, ce qui leur arrive; ils sont souvent sujets au mal de mer, et savent que leur habit religieux marqué de la croix rouge et bleu risque de leur attirer beaucoup d'hostilité.

 

A peine débarqués à Alger, c'est la question rituelle : « Combien avez-vous d'argent ? » et « Combien comptezvous racheter de captifs ? ». À leur réponse, éclatent les sarcasmes et les moqueries, qui font partie des discussions et du marché. On enlève également les voiles, le gouvernail, pour rendre les navires inoffensifs et l'on compte un à un les passagers.

Les Trinitaires traversent bientôt la place publique, appelée Batistan, où les esclaves sont mis en vente. Le Père Pierre Dan raconte « comment ils sont soumis à la grande humiliation d'être dépouillés entièrement de leurs vêtements, examinés des pieds à la tête par le premier venu, contraints de courir, de lutter entre eux, tout cela pour prouver leur force... « . Et il conclut : « Il faut que j'avoue que j'en avais les larmes aux yeux et le coeur serré... ».

-Les esclaves chrétiens étaient mis en vente à Constantinople, Alger, Tétouan, Fez, Marrakech, Salé, Tunis, Bizerte, Tripoli, Le Caire, Alexandrie, Smyrne ou Salonique.

-Les esclaves musulmans étaient vendus à Messine, Venise, Naples, Gênes, Malaga, Palma, Valence, Séville, Lisbonne.

-Il n'y avait aucun marché d'esclaves en France.

 

Ce bas-relief en bois polychrome, conservé à Valladolid, représente un Rachat, où l'on retrouve toujours la même scène : deux religieux rédempteurs, debout, remettent un tas de pièces d'or aux autorités musulmanes, devant le regard inquiet des captifs, reconnaissables à leur chaîne autour du cou et à leur bonnet rouge.

Le prix d'un captif :

Sous Louis XIV : 600 livres = 12 000 F = 1830 €
Au XVIIIème siècle : 3000 livres = 60 000 F = 9 146 €
Le dey d'Alger demande 1000 piastres = 120 000 F = 18 300 €
Pour un Chevalier : 5000 piastres = 600 000 F = 91 500 €
Pour les Chevaliers de Malte : 100 000 piastres = 12 millions F =1 830 000 €

Ce tableau, même s'il est discutable, essaie d'établir une équivalence entre les prix des rançons telles qu'elles
étaient fixées au XVIIème et au XVIIIème siècle, et notre monnaie actuelle.

Un banquier s'est penché sur le problème. Selon lui, la livre du XVIIIème siècle équivaut à 20 F, soit 3 €.

 

Quand les Trinitaires sont parvenus à un accord avec les autorités musulmanes, le départ est proche et la joie
envahit le coeur des chrétiens libérés. Leurs chaînes sont brisées, on leur donne une carte de franchise attestant de leur rachat ; le gouvernail, les voiles sont restitués au bateau, et on compte le nombre de passagers pour empêcher tout voyageur clandestin de s'embarquer.

Le retour en France des captifs était solennel. Revêtus de leur habit blanc marqué de la croix rouge et bleu, les Trinitaires les ramenaient en une longue procession triomphale à travers la France jusqu'à Paris. Selon un rituel, les autorités civiles et religieuses venaient en tête, suivies de musiciens, de fanfares et de bannières. La foule attendait avec impatience les prisonniers fatigués, conduits deux par deux, par des enfants costumés en anges. Les Pères Rédempteurs terminaient le défilé en portant une grande palme dans la main pour symboliser ceux d'entre eux qui étaient morts en martyrs sur les terres étrangères.

Réalisée par Cabanel en 1874, cette grande fresque de six mètres de haut se trouve au Panthéon et représente le roi Saint Louis, prisonnier à Damiette, recevant les hommages des chefs musulmans. Le roi s'appuie sur le Père Nicolas, Ministre général des Trinitaires qui l'a accompagné en croisade, et partage sa captivité.

C'est le roi Saint Louis qui a donné toute l'envergure dont l'Ordre a bénéficié au cours des siècles après Saint Jean de Matha. Conscient de son importance pour la conservation de la foi, il décida en 1259 d'installer les Trinitaires à l'intérieur de son château de Fontainebleau et se montra généreux avec les autres maisons de l'Ordre. De ce couvent royal subsiste encore un élégant sanctuaire édifié sous Louis XIII. Quelques messes y sont toujours .célébrées.

A Paris, l'église des Mathurins avait été donnée aux Trinitaires. Ainsi le culte de Saint Mathurin, auquel on attribuait de libérer les fous de leur maladie, comme les prisonniers de leurs chaînes, apparaît-il souvent dans les sceaux trinitaires.

Saint Jean de Matha s'est éteint à Rome dans le couvent où il séjournait depuis quatre ans, le 17 décembre 1213, date anniversaire de la Bulle que le Pape avait accordé à l'ordre de la Sainte Trinité. Son corps est demeuré à Rome jusqu'en 1655, date à laquelle il fut transporté d'abord à Madrid puis à Salamanque dans les années !960. Il fut un fondateur si discret qu'il est presque inconnu en France. La vénération dont il était l'objet s'était perpétuée à traversles siècles par « simple culte immémorial » Il ne fut canonisé qu'en 1666 .

Après la conquête de l'Algérie en 1830 et l'ouverture des bagnes, la mission de rachat des Trinitaires a disparu, ainsi que la presque totalité de la centaine de maisons qu'ils possédaient en France.

Il faut rendre hommage à la Congrégation des soeurs qui ont maintenu courageusement la flamme trinitaire en
France. Elles ont traversé les périodes tourmentées de la Révolution et des guerres, continuant à soigner avec dévouement les pauvres et les malades. Dès la conquête de l'Algérie elles traversèrent la Méditerranée et leurs écoles d'Oran et d'Alger étaient très fréquentées. Une rue d'Alger dont voici ci-dessous le plan, portait avant 1962 le nom de Jean de Matha.

Enfin, grâce à elles, le siège de Cerfroid fut sauvegardé. Après la deuxième guerre mondiale, les religieuses trinitaires de Valence réaménagèrent le Bureau de l'Ordre laissé à l'abandon et y organisèrent un centre de colonies de vacances. Les Religieux y revinrent en !986.

Très récemment, au printemps 2021, on découvrit par hasard un reliquaire de saint Jean de Matha dans l'église de Ponthierry en Seine-et-Marne, découverte troublante qui pousse à de sérieuses recherches quant à la
provenance de ces reliques.

Enchâssées dans un présentoir ouvragé en bronze doré néo-gothique du XIXème siècle, préservées par une vitre, elles sont ornées de papiers dorés enroulés, de verres taillés, de perles enfilées et d'éléments ondulés, sur une fine croix trinitaire en nacre, d'où émerge -sur trois petites bandes de papier- l'inscription latine imprimée en abrégé « Ex oss.[a] / S. [ancti] Joan.[nis] de Matha I Fundatori Ord. [finis] SS. [Sanctissimae] Trini.[tatis] » : un travail du XVIIème siècle très certainement.

 

Un autre reliquaire identique a été retrouvé. Ils avaient échappé aux listes des inventaires de 1905. Une énigme dont la solution serait une heureuse nouvelle dans cette rencontre imprévue avec le saint provençal qu'on invoquait ainsi: « Délivrez-nous de nos chaînes ».

Cet article a été rédigé d'après une documentation fournie par Madame Grimaldi-Hierholtz, hispaniste, Présidente de l'association « Les Amis des Trinitaires ». Parmi ses ouvrages, citons :


- Les Trinitaires de Fontainebleau et d'Avon. Fontainebleau 1990
- Pensées mystiques de Jean-Baptiste de la Conception, réformateur espagnol des Trinitaires . Paris Le Cerf
1992
- L'Ordre des Trinitaires, Paris Fayard 1994
- Images de la Trinité dans l'Art. Fontainebleau 1995

Odette Goinard
 

 

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