Joseph

Peyré

 
 

Aydie, 1892

Cannes, 1968

Charles Brouty

 

Sans avoir jamais connu le désert, Joseph Peyré a su l'évoquer dans un style de visionnaire, d'où les lieux communs sont absents. Ses romans, à son époque, ont connu un grand succès, ouvrant à leurs lecteurs des horizons tout nouveaux.

Joseph Peyré est né à Aydie (Pyrénées Atlantiques) le 18 mars 1892. Le bourg natal marqua la sensibilité de l'enfant: l'école laïque, l'église, les vieilles familles qui comptent toutes quelques phénomènes, mais surtout les figures fascinantes d'aventuriers revenus au pays.

Le jeune lycéen fait des études classiques à Pau, la "ville anglaise" de 1900, qui inaugure son boulevard des Pyrénées. Elève brillant., c'est le lycée Henrv IV à Paris qui consacrera son ascension sociale, dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Il obtient son doctorat en droit, une licence de philosophie et décide de se consacrer au journalisme.

 Premières ambitions littéraires, et première fascination, l'Espagne. Sa consécration littéraire est venue de son roman Sang et Lumières décrivant le monde de la tauromachie, qui obtint le Prix Goncourt en 1935. Mais, au cycle espagnol, va bientôt se mêler le cycle saharien. Celui-ci, comportant des livres, des articles, des projets de scénarios, représente un bon quart de son abondante production littéraire.

Il y eut, avant la crise mondiale de 1929, une période d'euphorie et de facilité pour un monde, sorti du cauchemar, du moins dans les milieux bénéficiant d'une certaine aisance. Le roman suit alors volontiers des itinéraires d'évasion ou de fuite. Les lecteurs souhaitent se dépayser, s'identifier imaginairement à des héros aussi éloignés d'une grisaille quotidienne que des épreuves récentes. Nous avons vu le succès des romans de Pierre Benoit(1). Peyré nous plonge dans cette littérature d'évasion géographique documentée et vraisemblable. Joseph Peyré n'a jamais connu le Sahara. C'est grâce à la documentation que lui a apportée son frère, médecin méhariste, qu'il a su décrire ce désert, en évitant les clichés rebattus des modes exotiques. Le Chef à fÉtoile d'Argent lui valut le prix de Carthage et . L'Escadron Blanc le Prix de la Renaissance(2).

Romancier, il est aussi, par la précision, ethnologue et géographe. Ses itinéraires sont rigoureusement exacts, sa langue est celle, non transcrite du Tamacheq, la langue des Touareg. Aventures, biographies, explorations,

combats, plongent le lecteur dans ce Sahara, alors français, de la Mauritanie au Tibesti, de Colomb-Béchar à Tombouctou, d'Ouargla à Agadès. Il évoque le désert des mystiques, laïc ou religieux; tel que l'ont ressenti Duveyrier, Psichari, Foucauld, Saint­Exupéry. N'étant pas un "pratiquant" du désert, il n'en a que plus de mérite à l'habiter avec des mots, des images, dont aucun saharien n'a contesté la véracité. Il a éprouvé, sans l'avoir jamais connu, le monde sévère, hostile, voire cruel, du désert, cadre de bien des drames, comme celui de la mission Flatters.

Les récits de Peyré obéissent fréquemment à une mythologie du héros. Peu de personnages principaux, en effet, qui ne se distinguent par leur seul aspect du reste des hommes. "Marçay, le premier, le dernier debout, semblait grandir à chaque étape" (L'Escadron Blanc). Ces figures hors du commun sont évidemment confrontées à des événements tragiques, la guerre, la mort, qui leur permettent d'affirmer leur supériorité et de rester maîtres de leur destin.

De même, dans ses ouvrages, les paysages désertiques comme le Sahara, sont pour tout homme une confrontation décisive.

Assuré de sa puissance, au retour de chaque odyssée, le héros de Peyré se constitue alors un royaume personnel et abstrait, fondé sur la conscience du pouvoir se dépassant en toute occasion. Actions, entreprises guerrières, joutes amoureuses, il mène tout avec un égal succès, de façon même presque caricaturale, dans les derniers récits. C'est donc à l'homme que Peyré accorde surtout son attention, sans trop s'attarder au pittoresque, Sa prose illustre bien ce que furent certains romans d'aventures de l'entre-deux guerres, aujourd'hui considérés comme mineurs : des fictions chargées de significations mythiques.

Dans le portrait féminin, Peyré nous fait découvrir les "Petites épouses", dont la plupart ont moins de quinze ans et dont le mariage temporaire se fait devant le taleb (le lettré). Elles portent souvent des sobriquets attendris ou comiques. Il évoque aussi les prostituées, généralement issues de cette tribu des Ouled-Nails qui fournit guerriers farouches et danseuses faciles. Les personnages masculins de Peyré sont souvent les obscurs, les sans-grade et les vieux sous-officiers, blanchis sous le baudrier rouge. Tous, alliés ou ennemis, sont animés par un idéal, un but, enfermés dans un quotidien fait de fatigues et de souffrances surmontées. Il met en scène des hommes qui assument, méharistes "chevaliers du désert" ou touareg "hommes du voile". Il navigue très à l'aise au milieu des nombreuses tribus, de leurs paysages, des objets dont ils se servent.

Ce survol serait incomplet sans l'acteur essentiel qui permet les longues méharées. Véhicule objet de tous les soins, de toutes les convoitises, chanté, à l'égal de la femme, dans tous les poèmes, le dromadaire, le méhari. Peyré sait décrire l'union intime entre le coursier et la monture.

 

Les itinéraires de Joseph Peyré sont d'une rigoureuse précision. Les cartes, annexées à certains de ses livres, sont de sa main. Son grand mérite est de décrire des lieux, d'expliquer des conflits, des milieux qui sont maintenant oubliés. Qui connaît, depuis leur disparition sur les cartes françaises, les noms des héros tombés sur des bordjs, les épopées des contre-rezzou, celles de la pacification marocaine ? La Légende du Goumier Saïd (1950) évoque une de ces dernières épopées, celle des goumiers qui donnèrent leur vie pour suivre leurs officiers au baroud de la seconde guerre mondiale- C'est là un des aspects les plus intéressants, pour notre époque, de l'œuvre de Peyré, qui nous replonge dans un univers aujourd'hui disparu.

 

O. G.

 

 

1 Voir Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 9.

2 Notons que ce dernier livre avait fait l'objet de deux films, l'un italien en 1936, de Auguste Génina, l'autre, français, en 1949, de René Chanas.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Proie des ombres c'est la désastreuse "Mission Flatters" de 1881 et la naissance du mythe du Transsaharien.

* Coups durs: la lignée des grands Sahariens, inaugurée en 1902 par Laperrine

* Le Chef à l'Étoile d'Argent et Sous l'Etendard Vert, histoire de la guerre des Senoussistes de 1915-1916.

* L'Escadron blanc (1931), récit d'un des derniers "contre-rezzou" de 1928.

* Croix du Sud les prémices, au désert, de 1939.

* Sahara Eternel

* De Sable et d'Or: le pétrole jaillissant en 1957.

* Sang et Lumières: Prix Goncourt 1935.

 

Bibliographie :

 

* Georges Bardiau : 1'Algérianiste N° 60 de décembre 1992.

* Jean-Pierre Damour : Dictionnaire de Littérature de la Langue Française ..

 

 

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