Eugénie

Clarac

 
 

Oued Athménia,1886

Alger, 1960

Eugénie Clarac, Les Cèdres Chréa. Huile sur toile

 

Musicienne, artiste peintre, mais aussi femme d'affaires énergique, elle sut avec beaucoup de modestie et de persévérance, se faire apprécier dans les milieux artistiques d'Afrique du Nord et de France. Femme de cœur, elle suscitait la sympathie de tous ceux qui l'approchaient.

Née en 1886 au "Moulin" de Oued Athménia (Constantinois), Eugénie Kirsch est la fille de Charles Kirsch (1840-1891) et de Marie-Virginie Bégot (1853- 1942), veuve à trente-huit ans. Les parents de celle-ci avaient été parmi les premiers colons d'Algérie. Son père, Claude Bégot (1810-1859), était dans l'Armée, au débarquement de Philippeville en 1832, puis à la prise de Constantine en 1836 et .1837. Sa mère, Augustine Rigenbach (1819-1879), était venue d'Alsace. Cette famille vécut au Moulin à partir de 1853, sur la "concession de la chute d'eau", attribuée au soldat Claude Bégot par le maréchal Mac-Mahon, propriété restée dans la famille Kirsch jusqu'en 1962.

 Eugénie, dernière d'une famille de cinq enfants, brisée par la mort accidentelle et prématurée du père (elle avait cinq ans), fut une enfant intelligente et très douée. Grâce à une bourse, elle obtient à Constantine son certificat d'étude primaire supérieur et son brevet de capacité pour l'enseignement primaire, à dix-sept ans. Elle n'enseignera pas, pour rester auprès de sa mère au Moulin et poursuivre seule sa formation, par la lecture, la musique, le chant et la peinture. En 1906, ses frères invitent leur ami Paul Clarac. Fiançailles et mariage en 1907. Le ménage s'installe à Merdj-el-Aris, en 1908, pour mener la vie de colon qu'ils connaissent bien tous les deux.

En 1912, transfert d'activités à Barraouïa, à trois kilomètres du Khroubs, dont son cousin germain, Eugène Delrieu, est le maire. Tout en élevant son fils, elle travaille beaucoup son piano, sa voix, le dessin et la peinture.

En août 1914, survient la déclaration de guerre. Son mari, mobilisé dès le second jour à Sétif, part pour la Campagne d'Orient, puis de France. La voici seule avec la responsabilité écrasante de diriger un très gros domaine agricole (1500 ha), dont elle ignore presque tout, et de maintenir la situation financière et économique du ménage, qui n'est pas riche. Elle conduit sa voiture, passe trois à quatre heures à cheval par jour, armée d'un fusil de chasse et d'un petit revolver, suivie et protégée par le fidèle gardien-chef, un berger kabyle armé, Aïssa, qui veille avec son équipe sur la ferme, ses récoltes et ses habitants. Le soir venu, Eugénie tient la comptabilité, fait sa correspondance, reçoit les chefs de chantiers et d'élevage, procède à . la paye des ouvriers. Elle se rend au Khroubs ou à Constantine pour obtenir les bons d'achat des produits nécessaires à l'exploitation et pour négocier la vente de la production sur le marché aux bestiaux ou chez les minotiers.

Au cours de ces quatre années de guerre, Eugénie obtient des résultats remarquables, en particulier en 1918, avec des récoltes mémorables, qui permirent à son mari de reprendre la direction d'une entreprise avec une trésorerie solide.

Ce mérite fut reconnu officiellement par le Gouvernement Général de l'Algérie et par le Ministère de l'Agriculture qui lui décerna la croix de Chevalier en 1920, puis celle d'officier du Mérite Agricole en 1930. Eugénie fut la première femme "colon" à recevoir cette distinction, due à son seul mérite.

Dès 1919, Eugénie Clarac est reprise par sa passion pour la musique et pour la peinture. En 1924, le ménage ayant pris un appartement secondaire en ville, elle suit les conseils des professionnels qu'elle peut rencontrer, dans le cadre restreint de Constantine. De plus, elle sait profiter de sa cure annuelle avec son fils, à Vichy, pour approfondir sa culture artistique et sa formation technique.

A Vichy et à Paris, elle travaille sa voix de contralto rare avec Paulet, professeur au Conservatoire de Paris, et chante avec les plus grandes vedettes des concerts et du Lyrique du Grand Casino, le plus renommé à cette époque pour la musique. Elle chante de nombreuses fois à Constantine, à l'occasion d'offices religieux ou au profit d'œuvres.

Chaque année, le ménage faisait un voyage culturel d'un mois, tant en France que dans différents pays d'Europe, visitant les musées et assistant à des concerts. Toutes ces visites étaient préparées soigneusement par Eugénie, et suivies de notes, dessins, croquis en couleurs.

L'installation de la famille à Alger, en 1928, lui permet de disposer d'un grand atelier, bien éclairé, d'un bureau, et de prendre des contacts professionnels avec les milieux artistiques, beaucoup plus évolués et reconnus, des Orientalistes et des musiciens d'Alger, parmi lesquels Antony, Emile Aubry, membre de l'Académie(1).

Eugénie travaille huit à dix heures par jour avec ses modèles et ses natures mortes, paysages, portraits, nus, compositions religieuses, qui reflètent sa foi et sa profonde connaissance de l'Ancien et du Nouveau Testament. Sa plus grande composition représente un Jésus en croix, de 1;80 m sur l,50 m, qui fut exposée à Paris à la Nationale des Beaux-Arts et offerte en 1962 à l'église d'Hydra (Alger). Elle sera transférée plus tard à l'Archevêché d'Alger. Elle prépare, tous les deux ans, les grands salons parisiens de peinture: la Nationale des Beaux Arts, puis les Artistes Français, dont elle est membre et lauréate de médailles d'or. Elle expose à Alger ses toiles, gouaches, illustrations de livres, en 1938, puis de 1945 à 1958. Elle recevra le Grand Prix de l'Union Artistique de l'Afrique du Nord en 1945. Elle vend ses peintures aux plus hautes autorités :

Gouvernement Général, Assemblée Algérienne, mairies d'Alger, de Constantine, de Blida, ainsi qu'à de très nombreux amateurs. Elle est administrateur de la Société . des Artistes Algériens et Orientalistes d'Alger et vice-présidente des femmes peintres d'Europe.

Sa mort brutale, en 1960, fut saluée unanimement dans la presse algéroise, comme une grande perte pour la peinture, qu'elle a toujours voulue classique, approfondie, éloignée des fantaisies surréalistes. Très amoureuse de son mari, aimant la vie, gaie, hôte prodigue et accueillante, elle a imprégné tous les siens de sa culture, de sa sensibilité à l'esthétique et à la musique. Elle était appréciée et considérée par tous ceux qui l'ont approchée.

Nous reproduisons ci-dessous certaines critiques, parues dans les journaux algérois, à l'occasion d'expositions où Eugénie Clarac a présenté ses œuvres.

 

L'Echo d'Alger - 1946

Madame Eugénie Clarac, fidèle à sa manière, donne à la galerie Carrot des nus, des fleurs qui plairont. Ses natures mortes bien ordonnées, ses paysages sensibles, sont dans la tradition des artistes français, celle du respect du sujet qui séduit, avec cette émotion qui leur confère une note personnelle et définitive.

 

 

La Dépêche Algérienne - 1946

C'est là une exposition des plus complètes, des plus sérieusement abouties qu'il nous ait été donné de voir jusqu'ici. Madame Clarac a travaillé dans le calme, hors des théories et des courants. Et fon ne soupçonnait pas qu'elfe ait produit une œuvre aussi vaste, aussi fortement méditée. On est surpris devant ces quarante toiles, par la diversité des sujets ; surpris, encore et surtout, par l'unité de perfection qui s'en dégage. C'est bien dans cette étonnante variété des motifs que nous avons loisir d'apprécier toutes les ressources d'une technique pleine de séduction, toute la richesse d'une matière extrêmement distinguée, toute la gamme des fins rapports ...

 

La Dépêche Quotidienne - 1950

Galerie Chaix - 11 bis, rue d'Isly.

C'est toute une vie de travail dans le calme et la réflexion qui explique l'unité de cette œuvre à travers laquelle on perçoit une grande honnêteté, une grande ferveur. Chaque toile, ici, est un aboutissement, rien n'est laissé au hasard ou à l'improvisation. Tout est construit et composé et cela se remarque surtout dans une évocation poignante comme ce calvaire, d'un caractère particulier, où Mme Clarac trouve matière à exercer l'étendue de ses dons. Cela se remarque encore dans ses natures mortes, prétextes à recherches très poussées, sensibles et puissantes ...

 

 

O.G.

1- Voir la biographie d'Emile Aubry dans Les Cahiers d'Afrique du Nord, N° 8.

 

 

retour à la page des biographies