Emile

Aubry

 
 

Sétif, 1880

Voutenay-sur-Cure, 1964

 

Peintre de grand talent, épris des mythes de l'antiquité, Emile Aubry a puisé son inspiration première dans sa terre natale, dans l'enchantement de ses lieux d'enfance, de ces horizons immenses où la vie s'écoule à l'antique, calme, lente et simple, au fil des jours.

Emile Aubry naquit à Sétif le 18 avril 1880. Son père, Charles-Albert, originaire de Franche-Comté, y avait été envoyé, au sortir du Val-de-Grâce, comme lieutenant, dans le service de Santé. Puis, son temps militaire terminé, fasciné par la grandeur et la beauté du pays, et déjà attaché à une population qu'il avait appris à connaître et à aimer, il s'y était installé comme médecin praticien. Sa mère, elle, était née à Sétif. Ses parents y étaient arrivés depuis près de trente ans, venant du Doubs, apportant avec eux les grandes horloges de la fabrique familiale.

Emile est l'aîné, bientôt suivi par son frère Georges. Les deux garçons sont élevés ensemble et fréquentent l'école communale. Ils y vivent la diversité de leur monde : Arabes, Espagnols, Français, Italiens, Juifs, Kabyles, Maltais. Au contact de cultures différentes, ils s'ouvrent à des affinités, des amitiés qui dureront toute une vie.

Très tôt Emile commence à dessiner. Nombreux et variés sont les modèles, inspirés par l'univers qui l'entoure: l'âne du porteur d'eau, les moutons en troupeau dans les lauriers roses et les sables de l'oued, les tentes sombres des nomades ...

Le temps vient où il faut aux garçons des études plus sérieuses. Ils seront tous deux envoyés en pension à Paris pour cinq ans. Emile, en dernière année, réserve une surprise à ses parents : un prix au concours général de version grecque et le premier prix au concours général de dessin. Euphorie, mais pour un été seulement, car à la rentrée universitaire, il ose braver son père qui le destine à la médecine. Il annonce son entrée à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts. Les ponts sont désormais coupés avec la famille et les vivres aussi. Trop fier pour jamais expliquer ou commenter cette période, Emile la vécut seul, peut-être dans une certaine complicité avec son frère, mais aucun d'eux, pourtant, n'évoqua cette douloureuse situation.

Emile se montre l'élève appliqué de son maître, Gérome, puis rapidement en devient le meilleur disciple et le préféré. Mais il est "en manque" de sa terre maternelle, de ces lieux où plongent ses racines, de ces visions d'enfance dont il a été nourri. Ses premières œuvres en sont profondément inspirées.

Toujours dans l'atelier académique de Gérome, il se prépare au concours de Rome. En 1905, il obtient le Premier Second Grand Prix, avec un Silène surpris par les bergers et les Nymphes, tableau offert à la mairie de Sétif. En 1907, il reçoit le Premier Grand Prix de Rome. En regard de sa famille, c'est enfin la validation d'un choix qui avait été impitoyablement blâmé.

Son séjour à Rome va le conduire à étudier scrupuleusement les plus grands peintres et sculpteurs dont il admire et analyse les œuvres. Michel-Ange restera son maître à penser ... et à peindre.

Survient la guerre qui va brusquement arrêter les projets artistiques d'Emile Aubry. Mobilisé comme simple soldat, il prend part à la bataille de la Marne aux combats meurtriers. Il reçoit la Croix de guerre avec palme. Mais blessé, il est évacué. Hôpital, permission de convalescence, et de nouveau, il est envoyé sur le front en Champagne, où, juste utilisation de ses compétences, il est désigné pour servir dans une section de camouflage! Ces quatre années de souffrances l'ont terriblement marqué. Quinze ans plus tard, il mettra tout son cœur dans la composition d'une toile destinée à la salle du Souvenir de la Mairie du Vème arrondissement de Paris, un Hommage aux morts de la guerre, qui lui vaudra la médaille d'honneur du Salon.

La guerre terminée, il passe un temps de repos sur les Hauts Plateaux de sa jeunesse dont il aime l'immensité austère. Il reprend ses crayons et ses pinceaux, croquant, au fil des jours, une scène, un paysage qui le frappent particulièrement. Il fait aussi de courts séjours à Alger, marchant seul sur les hauteurs d'El-Biar, les coteaux de Bouzaréah et de Baïnem, déambulant dans la kasbah ou dans les vieux quartiers de la ville. Il se plaît à se mêler à la foule bruyante et exubérante, dans son parler imagé et bigarré aux couleurs de toutes les langues méditerranéennes. C'est ainsi qu'il fut pressenti plus tard, par Louis Bertrand(1) pour illustrer la' deuxième édition du livre Pépète le Bien Aimé sous son nouveau nom de Pépète et Balthasar.

Des nécessités matérielles obligent Emile Aubry à rentrer à Paris. Il se remet au portrait. La dame en noir, lui vaut en 1920 une médaille d'or au Salon. Dès lors, sa renommée s'affirme dans le monde parisien, et les commandes s'enchaînent. Sa notoriété dépasse les frontières. De riches Américaines, Argentines, Chiliennes, Canadiennes, Égyptiennes viennent poser dans son atelier.

Fastueuses années qui entraînent Emile Aubry et son épouse, en invités, sur de luxueux yachts de vacances français ou étrangers. Après la lumière froide et sans éclat de l'atelier, il découvre les rivages de Corse et d'Italie ainsi que le Midi méditerranéen. Ses toiles deviennent une griserie de lumière et de jeux d'eau.

Ayant retrouvé son atelier à Paris, il se consacre à la composition de tableaux mythologiques ou allégoriques. Pour l'Exposition Coloniale, il se voit confier la facture de deux panneaux décoratifs qu'il réalise en une pastorale sous forme de diorama. Une œuvre puissante l'accapare. Le calvaire qui lui vaut une nouvelle distinction au Salon. Il est décoré de la Croix d'officier de la légion d'honneur. En 1935, il devient membre du Comité des artistes français dont il préside le jury et, la même année, il reçoit la consécration finale, son élection à l'Académie des Beaux-Arts.

De nouvelles responsabilités vont, dès lors, le retenir à Paris et l'obliger à renoncer à ces longs séjours en Algérie auxquels il s'était habitué.

Cependant, lui est confiée la décoration du Foyer de l'Opéra d'Alger. Une centaine de personnages composent cette immense décoration murale. Ce sera l'honneur d'Augustin Rozis, maire d'Alger, d'avoir opiniâtrement voulu et réalisé le geste qui a doté le Théâtre Municipal de sa plus belle parure en permettant à Emile Aubry, parvenu à l'apogée de sa carrière, de s'exprimer tout entier à l'intention du pays natal.

1945. De nouveau la guerre a meurtri la France. Retenu à Paris depuis le début des hostilités, Emile Aubry parvient à prendre avec son épouse, un des premiers bateaux de liaison avec l'Afrique du Nord, abandonnant presque, appartement et atelier à Paris, pour n'y revenir, tout à fait épisodiquement, qu'à l'occasion d'obligations officielles.

Le voici donc, désormais fixé en Algérie, alternativement et suivant les saisons, soit à Aïn-Meddah sur les Hauts-Plateaux, soit à La Soubella, près d'Alger, où l'attendent son atelier, sa famille, et ses très nombreux amis parmi lesquels Pierre-Louis Ganne, journaliste et peintre, le sculpteur André Greck, le peintre Bascoulès, Yves Laty, futur dessinateur et rédacteur publicitaire. A Aïn­Meddah, il retrouve les amis d'enfance. Son voisin porte le titre de "Hadj" depuis son pèlerinage à La Mecque, un autre est "bachaga" chef de "grande tente". Lakdar, le fils du jardinier, est devenu instituteur; tel autre est chamelier. Palabres' autour de la haute aiguière de thé à la menthe, entrecoupés de longs silences, lesquels, en terre d'Islam, ne sont en réalité qu'une forme de politesse. Ce temps de retrouvailles, après des années éprouvantes d'une claustration forcée dans Paris occupé, est un stimulant pour Emile Aubry. Il ne tarde pas à reprendre ses pinceaux. Il compose pour la bibliothèque de son frère, un panneau décoratif symbolisé par des personnages allégoriques. Puis il se remet à la discipline du portrait. Son intense sensibilité, son désir de comprendre chacun, l'incitent, avant les poses, à de longues conversations, à des échanges, qui le conduisent à découvrir son personnage dans ses pensées ou ses sentiments les plus profonds.

Avec un immense talent, sans grandiloquence, ni emphase, Emile Aubry a su exprimer les grands sentiments humains dans leurs faiblesses ou leurs vertus, avec toute la valeur de sa personnalité et par le seul moyen d'un art ancré dans la beauté.

Odette Goinard
documentation de Suzanne Aubry-Casanova


 

1 - Voir la biographie de Louis Bertrand dans le présent Cahier

 

 

Bibliographie:

 

* Emile Aubry, regards de peintre. Suzanne Aubry-Casanova. Décembre 1997. Imprimerie Espace Graphic. Nice.

* Alger et ses peintres 1830-1960. Marion Vidal-Bué, août 2000. Ed. Paris Méditerranée.

* Les artistes de l'Algérie. Elisabeth Cazenave. Octobre 2001. Ed. Giovanongeli.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

- Femmes kabyles. 1904

Les Juives de Constantine.1904-

L'Inspiration. Virgile composant Les Géorgiques. 1907. 1er Grand Prix de Rome. Musée de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, Paris. L'Après-midi. 1910. Composition envoyée au Salon.

L'Aveugle. 1913.

L'Automne. Mairie de Perpignan. Vacances en Estérel 1924.

La Calanque d'émeraude. 1925. Les Roches rouges. 1926.

La Naissance de Vénus. Alger 1928. Le Soir. 1929. Musée de Troyes. Pastorale. 1931.

Hercule aux jardin des Hespérides. Musée Cantini, Marseille.

Femmes Berbères. Deux tableaux (pastel et fusain). Vente d'art orientaliste. Enghien 16 octobre 1983.

 

- Portraits de :

Désiré Piron, Musée des Beaux-Arts de Dijon.

La Dame en noir.

Madame Upine. Médaille d'or, salon de 1920.

La Dame à la cape, Musée de Québec, 1922.

Dame dans le costume de Musette, Salon de 1923.

 

Pour une information plus complète se reporter au très bel ouvrage de sa fille Suzanne Aubry-Casanova


 

 

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