Elissa

Rhaïs

 
 

Blida, 1876

Blida, 1940

 

La romancière juive était arrivée à son heure pour plaire à un certain public épris de dépaysement, d'aventures, de harems et d'exotisme.

Elissa Rhaïs est le pseudonyme littéraire de Rosine Boumendil, née à Blida le 12 décembre 1876. Ses parents, Jacob et Mazaltob Séror tenaient une boulangerie à Blida. Elle fit des études primaires à l'école communale de cette ville jusqu'à l'âge de douze ans.

Elle se marie, avec Moïse Amar, rabbin de la synagogue de la rue Sainte dans la basse-casbah d'Alger, dont elle a trois enfants une fille qui meurt à l'âge de onze ans, un fils, Jacob­Raymond, (qui se fera appeler plus tard Roland Rhaïs) et une fille, Mireille, morte à Alger à l'âge de vingt-deux ans. Divorcée en 1914, elle se remarie avec Mardochée Chemouil (dit Maurice Chemoul), commerçant fortuné. Dès avant ce remariage, elle avait pris en charge un neveu de Maurice Chemoul, Raoul-Robert Tabet, qu'elle considérait comme son fils. Celui-ci fait de bonnes études et obtient une licence ès-lettres à la Faculté d'Alger.

Très près de la tradition judéo-arabe, connaissant beaucoup de légendes, de 'proverbes et d'anecdotes sur le milieu juif de Blida et de Médéa, Rosine Chemoul aimait raconter des contes et des histoires et les mimer devant ses enfants et ses amis. Installée à la "Villa des Fleurs" appartenant à la comtesse de Brazza dans le quartier de la Colonne Voirol à Alger, elle tenait une sorte de salon littéraire, où elle recevait des personnalités algéroises marquantes de l'époque: Charles de Galland maire d'Alger, Basset, Desparmet, Da Costa (professeur de lettres) ainsi vraisemblablement que- Louis Bertrand (1).

Son public était séduit par ses récits fort pittoresques et son art de conter. Ses amis lui conseillent donc d'écrire et de publier ce qu'elle écrivait sur des cahiers d'écolier. Elle incite Raoul-Robert, bachelier à cette époque, à recopier les textes. Faisant ainsi fonction de secrétaire, celui-ci, secondé par Roland et par Mireille, met en forme les premières oeuvres de Rosine.

Des amis du tout-Alger littéraire l'engagent alors à se rendre à Paris pour se faire éditer. Son mari n'étant pas d'accord, les époux se séparent en 1917.

Elle part pour Paris en mai 1919 avec ses enfants. Munie d'une lettre de recommandation de Louis Bertrand, elle se présente chez René Doumic de l'Académie Française,

directeur de la Revue des deux Mondes, qui accepte les textes présentés sous le nom d'Elissa Rhaïs. Sans doute a-t-il perçu que ces romans correspondaient à une certaine attente du public, avide d'un nouvel exotisme.

Les éditions Plon signent avec elle un contrat de cinq ans et publient un communiqué présentant l'auteur comme une musulmane, une orientale qui, ayant fréquenté l'école française jusqu'à l'âge de douze ans, avait pris le voile des femmes de l'Islam et était sortie du harem pour écrire des histoires en français.

Voilà Elissa Rhaïs lancée sur la place de Paris. Les critiques littéraires prennent en général pour argent comptant le communiqué de Plon. La supercherie dure quelques années. Elissa joue le jeu de "l'orientale" avec la complicité de ses enfants. Pourquoi dissimulait-elle sa véritable identité ? Peut-être par peur de l'anti­sémitisme régnant à cette époque, mais surtout pour complaire à son public amateur d'orientalisme.

Habillée à l'orientale, elle reçoit Colette, Sarah Bernhardt, Paul Morand, Ben Ghabrit (de la mosquée de Paris), Josépovici, auteur du livre Goha le simple, Salem-El-Koubi, Juif de Tlemcen, auteur de recueils de contes et de poèmes.

Rentrée en Algérie en 1922, elle s'installe à Blida dans une maison baptisée "Villa Sââda", du nom de son premier roman. Elle serait, semble-t-il revenue près de Paris, à l'Haÿ-les­Roses, en 1931, puis repartie à Blida où elle meurt subitement le 18 août 1940.

Elissa Rhaïs a publié douze volumes de fiction (romans et recueils de contes ou nouvelles) de 1919 à 1930 et a laissé un inédit. Elle a participé à un ouvrage collectif sur Blida et a publié des textes dans des périodiques. Ces romans se vendaient bien puisque certains ont compté plusieurs éditions.

Huit romans et recueils de nouvelles chez Plon, sont des œuvres d'imagination avec descriptions ethnographiques, exotiques, mettant en lumière la couleur locale, le folklore "à l'orientale" avec des termes arabes. Les contes sont en général moraux, selon la tradition orale arabe. Le contenu des romans est assez constant: passions orageuses et adultères, avec de sombres vengeances et meurtres, amours irréalisables tels que berger avec fille de pacha ou même union mixte projetée entre une Française et un Algérien musulman. Les milieux privilégiés sont la plupart du temps les milieux arabes, souvent féodaux, des familles de pachas, de bourgeois aisés, de grands chefs, de fonctionnaires fortunés collaborant avec les autorités françaises. Les milieux juifs sont abordés dans un roman et une nouvelle. Est aussi traité dans un roman, La Convertie, le problème des Arabes chrétiens de Saint Cyprien des Attafs dans la vallée du Chélif. Le succès a duré une dizaine d'années. Les critiques littéraires ont été en général favorables, d'autres plus circonspects cependant. Elissa Rhaïs n'a pas échappé aux critiques antisémites de certains en Algérie.

On ne peut passer sous silence la polémique selon laquelle les livres d'Elissa Rhaïs auraient en réalité été écrits par Raoul-Robert Tabet, son fils adoptif. Telle est la thèse de Paul Tabet dans l'ouvrage consacré à sa tante en 1982 et qui au surplus, avance que son père, Raoul, était l'amant d'Elissa. Que Raoul ait aidé Elissa Rhaïs dans la rédaction et la correction des textes est certainement vrai. Elissa faisait en effet des fautes d'orthographe et même de syntaxe. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que pour les romans, contes et nouvelles à résonances orientales, et remplis de légendes arabes, tout le matériau littéraire venait d'Elissa.

Son œuvre, qui paraît bien désuète de nos jours, demeure tout de même comme un reflet imaginaire de certains milieux de la colonie à l'usage du lecteur français. Tout le contexte documentaire et ethnographique ou folklorique de plusieurs romans demeure comme une toile de fond vécue de l'intérieur du fait même des origines populaires d'Elissa Rhaïs. Celle-ci eut la chance, dès 1919, d'être distinguée par un éditeur qui attendait cette littérature, maintenant bien dépassée. Elle avait été élue sociétaire de la Société des Gens de Lettres le 20 mars 1939.

 

Odette Goinard
Documentation Jean Déjeux

 

 

1- Voir la biographie de Louis Bertrand dans "les Cahiers d'Afrique du Nord, N° 8".

 

 

 

Bibliographie :

 

* Jean Déjeux Elissa Rbaïs, Revue Hommes et Destins .. Tome IV (p. 602-603) et tome VII (p. 408 à 414).

* Paul Tabet. Elissa Rbaïs, Grasset, 1982.

 

Parmi ses œuvres :

 

* S adda la Marocaine, Paris, Plon, .1919, 319 p. roman. Réédit. au Monde Nouveau.

* Le Café chantant (Cahoua deZ zahou) avec Kerkeb et Noblesse arabe, Paris, 1920, 287 p. ou 181 p. (selon l'édition), nouvelles.

* Les Juifs ou la fille d'Éléazar, Paris, Plon, 1921,281 p. roman.

* La Fille des pachas, Paris, Plon, 1922, 265 p. roman.

* La Fille du douar, Paris, Plon, 1924, 213 p. roman.

* La Chemise qui porte bonheur, Paris, Plon, 1925, 228 p. 21 nouvelles et contes.

* L'Andalouse, Paris, Fayard, 1925, 254 p. roman.

* Le Mariage de Hanifa, Paris, Plon, 1926, 244 p. roman.

* Par la voix de la musique, Paris, Plon, 1927, 257 p. roman.

* Le Sein blanc, Paris, Flammarion, 1928, 247 p. roman.

* La Riffaine, suivi de Petits pachas en exil, Paris, Flammarion, 1929,245 p.

 

Nouvelles ou mini-romans.

 

* Blida, Paris, Horizons de France, 1929, 64 p. en collaboration avec Gaston Ricci, Ferdinand Duchène, Robert Migot et Élissa Rhaïs. Préface de Louis Bertrand.

* La Convertie, Paris, Flammarion, 1930, 285 p. roman.

 

* Étaient annoncés dans L'Andalouse :

L'amour d'une Orientale (devenu peut-être Le Mariage de Hanifa, 1926); Malika et Sid Omar devenu Par la voix de la musique, 1927; Anna Rabinou.

* Inédit: Djelloul, de Fès (devant paraître dans Le Journal, manuscrit de 256 p. dactylographié. Ce roman était annoncé dans la lettre de demande d'admission à titre de sociétaire de la Société des gens de lettres en 1939. Ce devait être un "roman marocain" .

* Kerkeb, danseuse berbère est un poème de Michel Carré, d'après une nouvelle de Élissa Rhaïs, avec musique de Samuel

 

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