Ernest

Gobert

 
 

Charly, Seine-et-Marne 1879

Aix-en-Provence, 1973

 

Le docteur Gobert est le type même de l'honnête homme tel qu'on pouvait le définir au XIXe siècle. Son œuvre, riche et variée, a marqué son époque par son éclectisme intelligent.

Le docteur Ernest Gobert était une personnalité très attachante dont l'œuvre riche et variée. aura grandement marqué la connaissance du Maghreb. Il est difficile de faire connaître tous ses aspects. Médecin, administrateur, humaniste, le docteur Gobert fut surtout un préhistorien et un ethnologue.

Né le 29 novembre 1879 à Charly, dans l'arrondissement de Château-Thierry, pays de La Fontaine, où son père était notaire et conseiller général, il fit ses études secondaires au collège de Château-Thierry. Après ses études de médecine à Paris, il fut assistant dans la clinique du célèbre docteur Doyen et passa sa thèse en 1906.

Il renonça à une carrière de médecin de province et décida d'aller en Tunisie où il débarqua le 10 juillet 1906. D'abord affecté à l'hôpital musulman de Tunis, il fut successivement médecin de colonisation à Tozeur (1907-1908), chargé de mission à Redeyef par la Résidence générale pour y combattre une épidémie de typhus, médecin de la compagnie des phosphates Sfax-Gafsa (1908-1911), chef du service antipaludique de l'Institut Pasteur de Tunis (1912-1914). Mobilisé au début de la guerre de 1914, le docteur Gobert est médecin chef d'une ambulance mobile aux confins de la Tripolitaine, puis directeur par intérim du Bureau d'hygiène de la ville de Tunis. En même temps, l'autorité militaire lui confie des recherches à l'Institut Pasteur sur les porteurs de germes cholériques qui frappent l'armée serbe repliée dans la Régence. Dès la fin des hostilités, il reprend ses fonctions de médecin de colonisation à Mateur et à Nabeul, mais en 1919, il contracte un grave typhus. Rétabli, il se voit confier la direction du dispensaire municipal de Tunis. Le 31 décembre 1920, il est nommé au poste récemment créé de directeur de l'Hygiène et de la Santé publique en Tunisie, poste qu'il conservera jusqu'à sa retraite le 15 mai 1935.

Médecin dévoué et efficace, très lié au docteur Charles Nicolle(1), directeur de l'Institut Pasteur de Tunis. Le docteur Gobert est à l'origine d'importantes réalisations médicales dans la Régence : création d'hôpitaux, réforme du statut des médecins de colonisation, campagnes efficaces contre les épidémies, notamment la variole, la peste, le typhus, le trachome et le paludisme, lutte contre la bilharzioze. Il créa un laboratoire ambulant, appelé familièrement l'auto-puce, précieux pour combattre la peste pulmonaire.

Le docteur Gobert était aussi un chercheur, auteur de nombreuses études portant principalement sur la prophylaxie des maladies qu'il combattait efficacement sur le plan administratif. Il s'intéressa également aux eaux thermales de Korbous.

Mais une activité de médecin, même aUSS1 bien remplie, ne pouvait suffire au docteur Gobert qui découvrait, admirait et entendait étudier son nouveau pays. Il a évoqué ses randonnées dans la campagne tunisienne en draisine et surtout à cheval, notamment sur la jument qu'il baptisa "Louise Michel" à cause de sa belle robe rouge. Dans son premier séjour dans l'oasis de Tozeur, il reconnaissait les gisements de vertébrés pontiens du Djerid qui seront publiés par Marcellin Boule.

Humaniste fervent de littérature, il inspira bien des pages de l'ouvrage de Georges Duhamel, Le Prince Jqffar écrit après un séjour de l'écrivain en Tunisie. Cet ouvrage est un roman à clefs dans lequel le docteur Gobert figure sous le nom de docteur Bernard. Citons quelques vers d'un poème dédié à Bernard :

Patron Bernard, maître au cœur généreux

Sagesse, prudence et conseil !

Il est pareil au chef suprême d'une armée,

Pareil au tout puissant ministre,

Pareil au chameau mâle, orgueilleux entre tous.

A qui l'approche, il donne joie.

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Son odeur est semblable au souffle du printemps,

Qui remplit nos cœurs d'allégresse.

et Duhamel conclut : "tous ceux qui connaissent Bernard déclarent n'avoir rien à reprendre à ce portrait".

Il s'intéressa énormément aussi à la céramique, non seulement à la poterie néolithique en relation avec la vaisselle modelée des Bédouins, mais aussi à la céramique moderne. C'est par l'examen des pots de toutes sortes qu'il trouvait accrochés sur les murs des maisons bédouines qu'il commença à étudier la céramique modelée, son origine, ses techniques de fabrication, les formes et les types de décor... Il rassembla aussi une précieuse collection qu'il offrit au musée du Bardo à Tunis. L'ethnographie a aussi beaucoup retenu l'attention du Docteur Gobert. Il a étudié l'origine des tatouages et leurs différents motifs, les parfums. La magie des restes l'a aussi vivement intéressé.

Il a occasionnellement participé à des recherches d'archéologie classique, plus précisément punique, mais c'est surtout à la Préhistoire qu'il consacra l'essentiel de son activité, pratiquement dès son arrivée en Tunisie. Il entreprit une longue quête des gisements et des industries préhistoriques de la Tunisie. Les pièces recueillies en surface, mais le plus souvent en place, sont conservées au musée du Bardo à Tunis. Elles ont permis au docteur Gobert d'établir des synthèses sur la préhistoire tunisienne. Il put en présenter les importants résultats au Congrès panafricain de préhistoire de 1952.

C'est aussi l'épipaléolithique qui retiendra son attention ; il remarquera notamment l'importance de l'art mobilier et de la parure. Ses récoltes, faites seul ou en collaboration avec R. Vaufrey demeurent très précieuses.

Enfin, ses recherches portèrent aussi sur le quaternaire marin, notamment à Monastir où il collabora activement avec géologues et géomorphologues, notamment avec MM. Castany et Coque. Il fut appelé en 1948 aux fonctions d'inspecteur des antiquités préhistoriques de la Tunisie, et était correspondant du Muséum national d'histoire naturelle,

Installé à Aix-en-Provence en 1958, il a continué à s'intéresser étroitement à l'ethnographie et à la préhistoire tunisiennes, effectuant plusieurs missions dans ce pays, participant à des réunions sur la terminologie préhistorique, sur la stratigraphie du quaternaire méditerranéen. Il aidait de sa grande expérience les chercheurs, notamment les jeunes préhistoriens tunisiens. Elu en 1962 à l'Académie d'Aix, il participait activement à ses séances et y fit des communications très vivantes et parfois pittoresques. Il s'éteignit à Aix-en-Provence le 1er août 1973 à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans. Il était titulaire de la médaille de vermeil des épidémies, de la médaille de vermeil de l'Académie de médecine, grand officier de l'ordre tunisien du Nicham Iftikar et chevalier de la légion d'honneur. L'essentiel de ses collections a été déposé au musée du Bardo à Tunis. Des séries moins importantes ont été données au Musée de l'Homme, à l'Institut de paléontologie humaine à Paris et au Muséum d'histoire naturelle d'Aix. Il a aussi généreusement distribué sa bibliothèque scientifique, notamment à l'Institut d'archéologie méditerranéenne.

Si ces quelques lignes ne donnent qu'une idée bien incomplète de ce que fut l'œuvre scientifique du docteur Gobert, elles rendent encore moins bien l'homme, "l'honnête homme", qu'il était. Ecrivant d'une plume alerte dans une belle langue classique, il était aussi un extraordinaire conteur d'une voix grave, aux intonations marquées, il évoquait ses nombreux souvenirs en les émaillant d'une pointe d'ironie ou d'un propos de carabin qui masquaient souvent son émotion. Il faut aussi rappeler sa courtoisie sans affectation, sa sensibilité qu'il arrivait mal à cacher, sa verve, sa générosité, sa cordiale hospitalité dans son appartement du boulevard du Roi René, tout près du vieil Aix, au milieu de ses souvenirs ethnographiques et de sa précieuse bibliothèque. Comment ne pas revoir son regard dont l'âge n'avait pas éteint l'intelligente acuité, sa haute et droite stature, lorsqu'il vous accueillait toujours les bras tendus et ne vous laissait partir qu'à regret, semblant vous retenir de ses mains serrées ?

 

OG.
d'après Georges Souville
Directeur honoraire de recherche au CNRS

 

 

1 Voir notre Cahierd'Ajrique du Nord, Biographies, n° 2

 

 

 

Parmi les très nombreuses études du docteur Gobert:

 

- Note sur les tatouages indigènes de la région de Gafsa, in Revue tunisienne, t, 18 p.32-41 (1911).

- Esquisse du tempérament arabe, in La Tunisie médicale, t. 3 p. 1-5 (1913).

- Les Escargotières. Le mot et la chose. 3ème congrès Féd. Soc. savantes A.EN. Constantine (1937).

- Les poteries modelées du pqysan tunisien. Ibid. N°43-44, p. 118-193 (1940).

- La Magie des Restes, in Revue tunisienne n° 52, p. 263-309 (1942).

- La Paléthnologie tunisienne dans les perspectives de la préhistoire N.A .. Bulletin économique et soaal. Tunisie n° 94, p.80-94 (1954).

- Le Quaternaire marin de Monastir (en collaboration avec L. Harson et G. Castany). Ibid p. 76 (1957).

- Les Magies originelles. Notes et M. Académie des . Sciences, Agriculture, Arts et Belles Lettres, Aix-en-Provence (1969).


 

Bibliographie:

 

Georges Souville. Antiquités africaines, t. 8, p. 17-24. 1974.

 

 

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