René

Millet

 
 

Paris, 1849

Paris, 1919

 

Homme de terrain, René Millet sut s'intéresser à tous les problèmes qui se posaient à un Résident général de Tunisie à une époque où le modernisme devait s'imposer pour réaliser une véritable infrastructure.

Il eut le mérite de résister aux pressions diverses parce qu'il croyait en la mission de la France et ne s'inclina que devant les ordres du gouvernement.

Fils de Philippe Millet, avocat à la Cour d'Appel, et d'Adélaïde Belloc, René Millet est né à Paris le 14 septembre 1849. Brillant élève, il reçut le prix d'honneur au concours général en 1867 et fut licencié en lettres et en droit en 1870.

Engagé volontaire pendant la guerre de 1870, il entre en 1871 au ministère du commerce, puis devient directeur du commerce extérieur. En 1876, il est attaché à la section française de l'exposition de Philadelphie. Il publie à cette époque un certain nombre d'articles économiques dans différentes revues. Nommé sous-préfet (1877), puis secrétaire général au département de Seine-et-Oise (1879) il est intégré en 1880 aux Affaires Etrangères où il exerce différentes fonctions. Il accède au poste d'ambassadeur à Belgrade en 1885 puis trois ans plus tard, à Stockholm où il est accrédité le 19 avril 1894 comme ministre plénipotentiaire de première classe. C'est le 27 septembre 1894 qu'il est chargé des fonctions de Résident général en Tunisie. Lorsque René l\[illet arrive dans la Régence, il a donc derrière lui une longue carrière administrative qui l'a rompu, tant à la politique commerciale intérieure qu'à la politique étrangère. C'est avant tout un juriste, spécialiste des problèmes économiques et maritimes. Il entretient une correspondance avec de nombreux parlementaires. Catholique convaincu, intransigeant avec lui-même, il aime les situations nettes; il reste contre la politique des partis ct contre la franc-maçonnerie. Cela lui vaut certaines inimitiés. Il sera tout au long de ses fonctions en Tunisie un gestionnaire soucieux de l'équilibre financier du pars ainsi qu'un Résident humaniste, ayant le désir de maintenir une égalité des droits entre toutes les communautés.

Les réalisations économiques durant son mandat constituent un ensemble important touchant à des domaines très divers.

Il fut le troisième Résident seulement après le traité du Bardo et l'infrastructure de base du pays était loin d'être achevée. René Millet s'est attaché, en premier lieu, à la suite de ses prédécesseurs, à réduire la dette tunisienne, encore importante à cette époque. Pour soulager la balance commerciale, il décrète une série de dégrèvements portant notamment sur des produits alimentaires, les céréales et le bétail. Le manque à gagner est compensé par l'application d'impôts sur certains produits de consommation. Malgré des récoltes médiocres, ce remaniement eut un impact positif sur le commerce extérieur. Il fut l'artisan de la réforme douanière de 1897, en particulier en admettant en franchise les marchandises en provenance de France. En 1900 un budget sera instauré pour la première fois dans la Régence avec état des dépenses et recettes prévisibles.

En ce qui concerne les travaux publics, il convenait, après la construction du port de Tunis, de compléter l'aménagement des ports de Bizerte, de Sfax et de Sousse. L'activité de Millet se manifesta également dans ce domaine. Elle se poursuivit parallèlement par le développement des lignes ferroviaires, notamment dans le Sud tunisien, pour l'évacuation des minerais de phosphates don t les gisements avaient été découverts en 1885. Priorité fut donnée à la création d'un chemin de fer à voie étroite Metlaoui, Gafsa et Sfax, long de 243 km qui fut ouvert en 1897.

L'aménagement de Tunis fut l'une des préoccupations de Millet : adductions d'eau, créations d'hôpitaux, de lycées et collèges, importants travaux d'urbanisation, extension du réseau de tramways, etc.

La politique agricole de Millet a été dominée par son désir d'attirer en Tunisie le plus grand nombre de Français afin d'assurer la prééminence française face aux Italiens et pour asseoir une collaboration franco­tunisienne plus étroite. De larges opérations publicitaires furent entreprises dans ce but, n'aboutissant cependant pas aux résultats espérés. Néanmoins, dès 1896, les plantations d'oliviers, dont l'impulsion avait été donnée par Paul Bourde(l) se développèrent dans tout le pays. Une Ecole d'Agriculture ouvrit ses portes en 1898.

René Millet fut très actif également dans le domaine administratif. Il contribua à la mise en ordre du corps des contrôleurs civils, à la modernisation de la justice tunisienne. En fin, en matière sociale, il instaura un système de prévoyance pour les fonctionnaires. C'est sous son résidanat que furent révisés les traités avec les puissances étrangères. Trois conventions furent signées avec l'Italie, qui resta un partenaire privilégié.

Il eut également un rôle actif en matière d'enseignement! public. Le développement des écoles primaires françaises fut poursuivi. Son épouse le soutint dans cette action, s'intéressant à l'éducation des jeunes filles musulmanes qui, par tradition, était négligée. Elle créa, en 1900, une école destinée à leur assurer un enseignement théorique et pratique. Le nom de Millet doit être rattaché à la création en décembre 1896 de la Khaldounia, société dont le but visait à développer la culture occidentale parmi les intellectuels tunisiens. Malheureusement un événement qui devait précipiter sa chute, éclaboussa Millet et son directeur des affaires musulmanes, le colonel Rébillet : ce fut l'assassinat du marquis de Mores en 1896(2).

L'aile gauche de la Chambre en profita pour reprendre ses critiques contre la politique du Résident général. Celui-ci fut rappelé à Paris le 15 novembre 1900. Ses adversaires politiques obtinrent sa disgrâce; il fut révoqué et mis à la retraite d'office à l'âge de cinquante-trois ans. Il mourut à Paris le 5 décembre 1919.

Ainsi que nous le voyons, Millet a su marquer son résidanat par des réalisations d'ordre économique et commercial qui furent particulièrement positives pour le pays. Il eut, durant son passage en Tunisie, d'excellents collaborateurs, Paul Reveil en particulier, ministre plénipotentiaire, qui fut son alter ego et devint plus tard gouverneur général de l'Algérie. Mais il eut à faire face aux réticences constantes du gouvernement à engager des dépenses pour la mise en valeur du pays. Aussi n'hésitait-il pas à mobiliser toutes les instances qui lui paraissaient favorables. Il allait jusqu'à proposer sa démission s'il n'était point soutenu. C'est ainsi qu'il obtint l'aide de l'Union coloniale à Paris qui lui permit de rencontrer des diplomates influents rompus aux problèmes arabes.

Son intransigeance lui valut des inimitiés, des adversaires qu'il aimait pourfendre, quitte à ternir son image auprès du gouvernement. S'il ne fut pas un homme souple, il croyait en sa mission française face aux pressions de certaines fractions politiques et il sut faire profiter de ses dons la Tunisie qui lui doit son infrastructure de base, ce qui permit à son successeur, Stéphane Pichon, d'entamer la deuxième période du Protectorat.

Marié en 1874 à Louise Urbain, dont la mère était la nièce de Gaston Paris de l'Académie française, il eut quatre fils, Il était Officier de la Légion d'honneur.

 

Alain Goinard

 

 

1 Voir notre Cahier d'Afrique du Nord, Biographies, N° 4

2 Voir la biographie du marquis de Morès dans le Cahier d'Afrique du Nord, Biographies, N° 5.

 

 

Bibliographie:

 

* François Arnoulet, Résidents généraux de France en Tunisie ... ces mal aimés.

* Arch. Aff. Etr. Correspondance Gabriel Hanotaux, vol. 25, fol. 86-149, "Millet à Hanotaux", Stockholm 20 mars 1893.

* Archives diplomatiques. Nantes. Fonds Tunisie, Millet 886 N.V

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Revue des deux mondes "Idées économiques du parti radical en Angleterre", 15 février 1872 ; "Marine marchande et surtaxe de pavillon", 15 avril 1874.

* Revue politique et littéraire : "Vie et idée de Stuart Mill", janvier 1874.

* Bulletin de la Société de législation comparée. "Hypothèque maritime dans les différents pays" janvier 1874. "Progrès de la centralisation administrative en Angleterre", juin 1875.

* Annuaire de la Société de législation comparée. "Analyse du code électoral belge" 1873. "Charte municipale de la ville de New York" 1874.

 

 

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