Antoine

de Morès

 
 

Paris 1858

El Ouatia (Tunisie) 1896

La carrière de ce Saint-Cyrien est atypique, il a eu une vie fort aventureuse et une mort tragique.

Antoine Manca de Vallombrosa, marquis de Morès, est né à Paris le 15 juin 1858. Sa mère était la fille du général, duc des Cars qui avait pris part à l'expédition d'Alger en 1830.

Il entre à Saint-Cyr en octobre 1876 dans la même promotion que Charles de Foucauld et Philippe Pétain. Après plusieurs affectations, il démissionne de l'armée en 1882 et se trouve maintenu dans le cadre de réserve comme lieutenant au 22ème régiment de dragons. La même année, il épouse Mlle de Hoffmann, fille d'un banquier de New-York. Il aura de ce mariage deux garçons et une fille.

Avant de parler de la pénétration colonisatrice de Morès à travers le Sahara, il paraît nécessaire de rappeler brièvement ce que furent ses premières entreprises. Elles manifestent un esprit aventureux. Encouragé par son beau-père, il part en Amérique pour s'initier au mécanisme des banques et au fonctionnement des entreprises commerciales et industrielles. Il s'adonne à une étude approfondie de l'élevage, et fonde au Dakota une agglomération industrielle d'environ six cents hommes, qu'il appelle "Médora", du prénom de sa femme.

Mais cette entreprise ayant périclité, il revient en France. En 1887, il fait un voyage aux Indes, puis au Tonkin, conquis depuis peu par la France. Voyant l'intérêt de relier par une voie ferrée le Yunnan, province fertile de la Chine, à la mer, il établit un plan de construction, avec l'appui d'ingénieurs et reçoit un avis favorable du Gouverneur Richaud, qui devait décéder quelques temps après dans des circonstances mal élucidées. Les travaux sont commencés lorsque une interdiction formelle venue de Paris fait échouer ce projet.

Rentré en France, Morès tente de s'orienter vers la politique. Antisémite et anti-franc­maçon, il anime divers rassemblements et se déclare solidaire du peuple contre le grand capitalisme ; il défend la place de l'ouvrier français contre la main d'œuvre étrangère. Ces activités lui ayant occasionné de nombreux déboires, il se tourne alors vers l'Afrique où il veut combattre l'hégémonie anglaise.

De 1893 à 1895, Morès fait deux longs voyages en Algérie et au Sahara. Il séjourne dans le Souf où il prend contact avec des chefs indigènes. Il est sous la fascination des grandes choses à entreprendre. Il se lie avec le prince de Polignac, colonel, ancien négociateur du traité de 1862 avec les Touareg.

A cette époque, un grand mouvement soulevait la colonie tout entière. L'Algérie était en proie à la misère. Colons et indigènes, jadis opposés, se rapprochaient dans le découragement. L'esprit antisémite sévissait.

En 1894, Morès entreprend à travers la colonie une violente campagne qui donne une forme et une voix à la conscience populaire et à ses revendications. Un meeting est organisé le 27 février aux arènes de Bab-el-Oued. Dix mille personnes s'y pressent, remplissant les gradins. Morès est acclamé. Il dénonce l'action de l'Angleterre sur nos gouvernants. Il montre le rôle que doit jouer la France en Algérie, l'utilité d'une alliance avec l'Espagne et l'Islam. Il souhaite traiter avec les musulmans tout en respectant leurs convictions et leurs croyances.

Son idée est d'atteindre le Soudan afin de contrecarrer l'influence de l'Angleterre, face à un gouvernement français républicain et laïc, timoré dans son expansionnisme colonial. Il s'aperçoit qu'il pourrait beaucoup plus opportunément traverser le désert par la frontière méridionale de la Tunisie que par l'Algérie. En mars 1896, Morès embarque avec sa femme à Marseille et donne à son arrivée à Tunis devant une foule considérable et enthousiaste, une conférence sur "la pénétration au Soudan, la Méditerranée aux riverains et l'Alliance franco-islamique". Il entendait défendre les principes de l'autonomie et des alliances et délivrer la terre et l'humanité du joug de la finance dont les Anglais étaient à travers le monde les agents politiques. Ce projet intéressait toute la Tunisie et prenait l'importance d'une œuvre nationale. Sollicitant l'assentiment du Résident Général à Tunis, René Millet, il monte une expédition, tendant à atteindre le sud tunisien. Il se heurte alors à l'opposition du commandant Rébillet, auxiliaire de René Millet, qui nourrissait lui-même u4n projet d'expédition, à son compte. De plus, en obligeant Morès à passer par l'Algérie, Rébillet se déchargeait sur ses collègues algériens de la responsabilité de sa protection. Malgré les obstacles qu'il rencontre, notamment l'arrestation inexpliquée de son guide El-Hadj Ali, Morès s'embarque pour Gabès. Là, il constitue son escorte : vingt chameliers et quarante chameaux et se dirige vers Kebili. Il porte sur lui d'importantes sommes d'argent.

Sous la conduite d'EI-Kheir, homme peu recommandable de la tribu des Chaambas, qui campe à Ghadamès, une embuscade sera organisée au sud de Djenaien, le long de la frontière tripolitaine. Dans ce but, des Chaambas se mêlent à la caravane et décident Morès à renvoyer ses chameliers gabésiens. Celui-ci, malgré l'inquiétude qui le gagne, poursuit sa route, se décidant seulement à remonter vers Sinaoun à 20 km plus au nord pour s'y enfermer et y attendre du secours.

C'est en se rendant vers ce lieu que Morès à l'aube du 6 juin 1896, est attaqué par des Touareg de son escorte et blessé d'un coup de sabre. De 9h à midi, il oppose une résistance héroïque à ses assaillants qui l'environnent de toutes parts. Il reçoit un coup de poignard d'El-Kheir et s'affaisse sur le sable.

Dès que le bureau militaire de Kebili fut prévenu du drame, le commandant Rébillet avait dépêché un goum pour ramener le corps de la victime et celui de son interprète, originaire de Tunis.

Le bruit courut que cet assassinat, s'il n'avait été perpétré directement par la Résidence, n'avait néanmoins pas été empêché par les autorités militaires du sud tunisien. Le prétexte avancé était que Morès n'avait point respecté l'obligation qui lui avait été donnée d'utiliser l'itinéraire passant par le sud algérien, mais on chuchotait que le marquis était un personnage gênant, tant dans ses prises de position à droite, que par l'esprit frondeur qu'il affichait vis-à-vis du gouvernement.

Chez les Touareg, Morès était devenu un personnage légendaire. Les nomades, avec cette mémoire qui leur tient lieu de livres, évoquaient, au cours de leurs veillées, lès exploits de ce Français qui affronta le "pays de la peur et de la soif" et qui, abandonné par les siens, trompé, trahi, avait lutté seul contre quarante ennemis.

Monument élevé sur la frontière tripolitaine au marquis de Morès. tué par les Touareg à EI-Oustia le 9 juin 1896.

Comme beaucoup de sombres affaires où les intérêts politiques sont en jeu, celle-ci restera sans conclusion. Ce crime crapuleux est-il le fait d'une bande armée désireuse de se saisir d'un butin? A-t-il été commandité par des pouvoirs occultes, jaloux d'une personnalité qui pouvait faire obstacle à certaines ambitions ? Ces questions restent sans réponse. Peut-être vaut-il mieux ne pas chercher à les approfondir. Madame de Morès tenta d'intenter un procès à Millet et Rébillet. Le premier sera muté, le second mis à la retraite. Trois participants au meurtre furent arrêtés. Le procès eut lieu à Sousse. L'un d'eux fit quelques mois de prison et un autre, condamné à mort, fut gracié par le Président de la République. Le dernier fut condamné à vingt ans de travaux forcés.

Telle fut l'aventure tragique du Marquis de Morès. Sa dépouille mortelle repose au cimetière de Cannes au pied d'un petit mausolée.

Odette Goinard

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

- Charles Donos, Morès, sa vie, sa mort. Sté de publications Francis Laur. Paris 1899.

- Félicien Pascal, L'assassinat de Morês. Un crime d'Etat. Imprimerie Hardy et Bernard. Paris 1902.

- Jules Delahaye, Les assassins et les vengeurs de Morès. 3 vol. Ed. Victor Retaux. Paris 1905.

- Charles Droulers, Le Marquis de Morës. Paris

- François Arnoulet, Hommes et Destins tome VII. Académie des Sciences d'Outremer 1986

 

 

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