François

 Valero

 

 

Capitaine, marin, acconier

Calpe (Alicante) 27 juin 1874

Décédé en mer 21 octobre 1900

 

 

François Valero

 

 

Né le 27 juin 1874 à Calpe, province d'Alicante en Espagne, François Valéro est le fils de François Emmanuel Valéro, né le 8 décembre 1824 à Perello, en Espagne et de Joséphine Montaner, née en 1840 à Calpe. Ce dernier, naturalisé français par décret du 26 décembre 1888, était pêcheur et demeurait à Castiglione, canton de Coléa, département d'Alger. Il avait un fils aîné, Joseph, maître d'équipage du navire, La Mayenne, mort en mer le 21 octobre 1900.

François Valéro est inscrit maritime. Il appartient à la classe 1894. Il réside à Castiglione et exerce la profession de marin. En 1895, Il fait son service militaire dans la marine sur le cuirassé Dévastation durant un an, puis est renvoyé chez lui en congé illimité. François devient alors capitaine marin et commande le navire à vapeur Loire, appartenant à l'armateur Prosper Durand, qui relie régulièrement Alger à Marseille et fait aussi des voyages entre villes d'Algérie, transportant à la fois des passagers et des chargements de matériaux divers. Le Loire est un ancien vapeur. Sous le nom de Gitana, il avait été jadis le yacht du pape Pie IX.

Hélas, ce bateau fera naufrage le 14 janvier 1905. Le récit de cette catastrophe a été longuement relaté par La Dépêche Algérienne du 16 janvier 1905. Le navire avait pris feu au large de Collo dans des piles de liège entassées sur le pont. Les passagers se jetèrent dans la mer et furent fortuitement recueillis par le capitaine d'un vapeur allemand, Otto Albhom, qui détacha plusieurs embarcations pour venir au secours des naufragés. François et son premier officier étaient restés trois quart d'heures dans l'eau avant d'être sauvés. Le navire enflammé fut remorqué et il poursuivit sa course jusqu'au port de Philippeville. Tous les passagers étaient saufs, mais il ne resta rien de la cargaison. Le navire fut complètement détruit.

Cet incendie fit l'objet d'une enquête et le tribunal maritime rendit son jugement, condamnant François Valéro à quatre mois de suspension de son commandement.

En octobre 1907, François est capitaine du vapeur Aurore qui dessert la côte Est de l'Algérie pour le compte de la société de Navigation côtière Algérienne des armateurs Charles Schiaffino, Albert Jouvet & Cie.

Le 5 juin 1909, François s'est marié à Alger avec Marie Joséphine Grégori, d'origine espagnole, fille d'un entrepreneur de travaux publics. Celle-ci était sans profession mais avait une activité artistique qui a laissé des traces. Sa famille a retrouvé des assiettes et plats décorés sur céramique. Sans doute était-elle motivée dans cet art par la création dans les années 1900 d'un atelier de céramique au musée des Arts et des Antiquités de Mustapha à Alger. Elle était aussi musicienne et jouait du piano et du luth.

François et Marie-Joséphine ont eu trois enfants : François, Georgette et Jean-Baptiste. Après son mariage, François Valéro a changé d'activité. Bien que toujours qualifié de « capitaine marin », il travaille comme tâcheron dans la Société Deutsches Kohlen Dépôt. Il emploie des équipes d'ouvriers pour charger et décharger du charbon dans le port d'Alger. Ce métier n'est pas sans danger comme on peut le constater en relevant les nombreux accidents mentionnés par la presse, susceptibles de mettre en cause la responsabilité du tâcheron.

François a développé sa petite entreprise en s'équipant de matériel moderne. Ainsi, on apprend par Le Sémaphore Algérien du 22 juin 1914 que « Monsieur Valéro, tâcheron de la maison de charbon Kolhen Dépôt, vient de recevoir une très moderne grue à vapeur pivotante sur chaland avec un jeu de bennes preneuses. Il se propose d'en acheter cinq autres, ayant été autorisé à avoir six de ces remarquables outils d'embarquement et de débarquement de charbon. »

Survient la guerre. La mobilisation générale est décrétée. François a quarante ans. Il est rappelé sous les drapeaux et mis à la disposition de l'armée de terre pour la durée de la guerre. Il est affecté à Marseille au 22ème régiment d'infanterie coloniale, et devient caporal, puis sergent. Le 21 novembre 1915, Il passe au 88ème régiment d'infanterie territoriale, 5ème compagnie, qui intervient alors sur le front de la Somme. Le 23 juillet 1916, il est cité à l'ordre de la brigade et le 25 juillet à l'ordre du régiment n° 108 : « Au front depuis le début. Très bon serviteur. Chargé de ravitailler en munitions les troupes engagées en 1ère ligne sous un violent bombardement, a su, par son calme et son sang-froid, éviter des pertes à sa section, tout en accomplissant la mission qui lui avait été confiée ». Il est décoré de la Croix de Guerre.

Au début de la guerre, la société allemande de dépôt de charbon pour laquelle travaillait François a été interdite et ses biens mis sous séquestre, puis mis en vente en 1915. Aussi, à son retour de la guerre, il va continuer son travail de chargement et déchargement de navires, mais en indépendant, et investir à cet effet dans du gros matériel.

Dans un dossier sur le port d'Alger et son histoire, publié par l'hebdomadaire L'Afrique du Nord illustrée du 2 mai 1921 un article est consacré au rôle innovateur de l'acconier François Valéro grâce à son matériel de grue à vapeur. Nous en donnons ci-dessous un extrait :

« Cet éclatant voilier aux formes vastes, trapues, bien assises sur l'eau, est en train d'effectuer un déchargement de sel par les soins de M. François Valéro, l'acconier bien connu pour ses entreprise de manutentions maritimes.

M. François Valéro possède un matériel et un outillage des plus perfectionnés pour l'embarquement et le débarquement de marchandises de toute nature.

L'une des pièces les plus intéressantes de cet outillage est cette grue à vapeur que vous voyez ici en opération.

Cette grue peut soulever huit tonnes ».

L'article est accompagné d'un photo avec cette légende : « Débarquement de sel d'un voilier par le ponton-grue de M. Valéro ».

Le 16 août 1923, est créée à Alger, une société en commandite simple entre M. Antoine Llobel, charpentier de marine; demeurant rue Fontaine Bleue, gérant et responsable, et M. François Valéro, acconier, demeurant 17 rue Maréchal-Soult, commanditaire. dont l'objet est la construction et la réparation de navires et chalands, et tous travaux accessoires ayant trait aux trafics maritimes. La raison sociale de la société est : Llobel et Cie. Elle appartient à 50% à chacun des deux associés. Sa durée est fixée à 3 ans. Son siège est à Alger, Cales Sèches, près des bassins de radoub.

François Valéro participe également à des travaux exceptionnels dans Alger. Il collabore notamment à la mise en place des blocs de pierres destinés au Monument aux morts à la mémoire des Algérois morts pendant la guerre, en cours de construction, boulevard Laferrière, qui sera ensuite sculpté par Paul Landowski.

Les travaux ont commencé le 16 août 1927, et la dernière pierre a été placée le 8 octobre.

Voici des extraits d'un long article de L'Écho d'Alger du 9 octobre 1927 intitulé :

« Le Monument aux Morts d'Alger ». On a posé hier matin la dernière pierre.

L'attention de chacun a été particulièrement retenue par la superposition des énormes blocs de pierre placés jusqu'à une hauteur de douze mètres suivant les données de la maquette acceptée par le Comité spécialement désigné.

Ces travaux de montage d'un intérêt captivant par la façon dont ils ont été effectués par les soins de l'entrepreneur, M. Marcelin Grégori, ont commencé le 16 août dernier et la dernière pierre a pu être placée hier matin au sommet du monument, en présence de MM. Raffi, maire d'Alger ; Laffont, adjoint au maire ; Luciani, conseiller municipal ; Charras, secrétaire particulier du maire.

Mais disons-le de suite, si cet important travail présentant de réelles difficultés a pu être exécuté en si peu de temps, c'est que l'entrepreneur avait fait appel à l'excellente collaboration et à l'initiative de son beau-frère, l'acconier bien connu des services maritimes, M. François Valéro.

Par son expérience des choses d'arrimage et d'élévation des poids lourds, M. Valéro a pu au moyen d'un dispositif ingénieux et spécial, de son invention, se composant d'une simple chèvre à tête sans traverse de 18 mètres de hauteur et de 9 mètres d'ouverture au pied, accomplir un véritable tour de force.

Il avait pour l'aider dans sa besogne, le contremaître-appareilleur Bernières Paul et quelques-uns des meilleurs ouvriers mariniers spécialisés dans ce genre de travail. Sous la haute surveillance de notre ami, M. Chistofle, architecte diplômé, chef de service au Gouvernement Général pour les monuments historiques, désigné tout spécialement par les architectes et les sculpteurs chargés du Monument aux Morts de la ville d'Alger, les blocs devant constituer cet important ouvrage et pesant chacun environ de 6 à 12 tonnes, étaient arrimés par des filins, manœuvrés et placés au moyen de haubans, sans le secours d'aucun treuil.

La dernière pierre posée hier matin à 12 mètres de hauteur, plus volumineuse que les autres et qui ne pèse pas moins de douze tonnes, a été placée en l'espace de 20 minutes, dans l'axe, faisant clef dans toutes les autres. C'est dans ce bloc que doit être taillée une partie du corps du poilu à commémorer...

Le montage de ces blocs n'est qu'un travail préparatoire. Il ne faudrait surtout pas que l'on s'imagine assister bientôt à l'inauguration du Monument. Il reste maintenant à tailler dans la pierre les motifs de sculpture devant décorer le monument sur toutes ses faces et qui seront l'œuvre des réputés sculpteurs, M. Landowski, grand prix de Rome, officier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut et M. Bigonnet, d'Alger, choisis par le jury... »

L'Afrique du Nord illustrée du 15 octobre 1927 consacre également un long article à la pose de la dernière pierre du Monument aux Morts de la ville d'Alger, qui rend hommage au travail de François Valéro et à celui de l'entrepreneur Marcelin Gregor précisant que le travail de sculpture qui va suivre demandera au moins une année pour sa réalisation.

Un mois après la pose de la dernière pierre du monument aux morts le 10 novembre 1927, alors qu'il surveille des travaux de déchargement d'un navire anglais, François Valéro est victime d'un accident mortel sur le port d'Alger. Cet évènement a été largement décrit dans la presse. L’Écho d'Alger du 11 novembre 1927 lui a consacré l'article suivant:

« Accident mortel dans le port d'Alger.

Un acconier a le crâne fracassé par une poulie détachée du mat d'un navire.

M. François Valéro, âgé de 53 ans, l’acconier très connu de le port d'Alger, demeurant 17, rue Maréchal-Soult, se trouvait hier vers 15 heures, sur le vapeur anglais Copeman ancré à l'extrémité du grand môle, à l'arrière-port de l'Agha et surveillait le déchargement charbons qu'il effectuait pour le compte de la maison Laurens.

Il était accoudé sur le rebord de la cale n°1 du navire, ayant à ses côtés son contre-maître, M. Thomas Matarèse, quant au moment où la chaîne relevait une palanquée à vide, un maillon soutenant la poulie du grand mât de décharge se brisant, celle-ci d'un poids de 40 kilos environ, s'abattit lourdement d'une hauteur de cinq mètres sur M. Valéro qui eût le crâne fracassé.

L'infortunée victime, relevée sans connaissance par M. Matarèse, fut aussitôt transportée en auto à la clinique Lavemhe, ou tous les soins immédiats lui furent prodigués par M. le Dr Duboucher. Malheureusement toute intervention était inutile. M. Valéro, dans dernier souffle, dit adieu à ceux qui l'entouraient et expira dans leurs bras.

On juge de la douleur de Mme Valéro et de ses trois enfants en apprenant le malheur qui les frappe et qui les prive d'un époux et d’un père chéri entre tous.

Ce pénible accident, dès qu'il a été connu en ville, a jeté la consternation parmi les nombreux amis de M. Valéro et surtout parmi les ouvriers de marine et les matelots qui professaient pour lui une vive sympathie.

« Les obsèques de cette nouvelle victime du travail auront lieu aujourd'hui à 16 heures. La levée du corps aura lieu au domicile du, défunt, 17, rue Maréchal-Soult.. »

L'Écho d'Alger du même 11 novembre 1927 donne en outre, en page 2, une rubrique nécrologique consacrée à François Valéro.

« Nous avons à déplorer la mort d'un de nos concitoyens des plus connus et des plus estimés dans le monde maritime de notre cité, celle de notre ami François Valéro, acconier du port d'Alger.

François Valéro, ancien capitaine de la Compagnie de navigation Schiaffino, avait quitté le bord pour se consacrer, depuis quelques années, à une entreprise d'acconage, qui, sous son habile impulsion, ne fit que prospérer.

Un an plus tard, à l'occasion de l'inauguration du monument aux morts, pour le 10ème anniversaire de l'armistice, le 11 novembre 1928, L'Echo d'Alger dans un long article décrivant le monument, a rendu hommage à François Valéro. « C'est grâce au concours dévoué et sagace de M. François Valéro et de ses hommes qu'a pu se faire la mise en place des lourdes pierres qui composent le monument. La dernière pierre, la plus lourde pesait 14 tonnes pour la charger, au moment de son enlèvement à quai, on dût au moyen d'une grue, la soulever jusqu'à 12 mètres de hauteur. Comme la lourde masse menaçait de renverser un de ses ouvriers, M.Valéro se précipita et, écartant vigoureusement l'homme, lui sauva la vie. »

Quelques mois après son décès, le matériel d'acconage de François Valéro fut mis en vente aux enchères. Il se composait de 3 chalands, 2 remorqueurs, 1 allège porte-grue, 1 chaland à clapets, 2 canots automobiles, 8 canots, une automobile, grues, matériel de charbonnage et d'atelier, baraque, etc.. L'ensemble a été adjugé pour la somme de 1.239.000 francs à M. Julien Laurens, armateur et agent général des Affréteurs réunis en Algérie, et un des directeurs de la Compagnie charbonnière du Nord-Africain.

Madame Valéro est restée seule avec ses trois enfants , François, Georgette et Jean-Baptiste, âgés de 17, 14 et 13 ans. Ils se marieront.

Georgette a épousé Henri Garcia, fils de Démétrio de San Félix, dont la biographie figure dans le présent n° de nos Cahiers d'Afrique du Nord. Ce mariage a fait l'objet d'un article de l’Écho d'Alger du 4 juillet 1936 que nous reproduisons ci-dessous . Il est le symbole de l'union de deux familles françaises, d'origine espagnole, qui, par leur intelligence et leur énergie créative, ont activement contribué, dans leurs domaines respectifs, à l'essor d'une Algérie en voie de modernisation.

Mariage de Henri Garcia et de Georgette Valéro

« Samedi 27 juin, en l'église Saint-Augustin, était célébré dans l'intimité le mariage de Mlle Georgette Valéro, petite fille de M. Jean Grégori, fille de Mme François Valéro, avec M. Henri Garcia, fils de M. et Mme Garcia.

Les témoins étaient pour la mariée M. Baptiste Grégori, son oncle ; pour le marié son frère, M. René Garcia.

La jeune mariée, conduite à l'autel par son frère, M. François Valéro, portait une toilette de crêpe mat d'albène dont l'encolure étai: drapée, les manches et la traîne plissées soleil, la ceinture torsadée robe très simple et de grande élégance. Un diadème de myosotis d'organdi blanc retenait le voile.

Elle était précédée de deux couples de petits enfants Andrée Peyron et Manuel Grégori ; Maryse Toche et Francis Peyron, en blanc.

Puis venaient

Mme Valéro, robe de marocain noir à manches et encolure garnies de cellophane noire et blanche, petit coiffant très alluré de bakou noir, et M. Garcia; Mme Garcia en noir, béret de panama orné d'un pouff d'aigrettes, avec M. Henri Garcia.

Après la cérémonie un lunch avait lieu à l'hôtel Bellevue. »

Les biographies de François Valéro et de Demetrio Garcia ont été rédigées par Odette Goinard sur la base de deux brochures réalisées par Guy Putfin, époux de Marie-Claude Garda, petite-fille de Demetrio Garcia de San Felix Garcia et de François Valéro.


 

 

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