Dominique

Larrey

 
 
Beaudéan (Hautes-Pyrénées)

Lyon

 

Dominique Larrey

 

 

En cette année 2016 se célèbre le 250° anniversaire du baron Larrey : le chirurgien de la Garde naquit en 1766 à Baudéan, près de Bagnères-de-Bigorre. Tout a commencé par le 8 juin lors un colloque d’historiens au Val de Grâce et avec l’exposition de l’ambulance volante à deux roues, imaginée par Larrey pour secourir les blessés au plus près de la ligne de front et les évacuer.

Toujours plus près des hommes pour leur venir en aide, telle était la philosophie de ce chirurgien, orphelin de père et qui fit ses études auprès de son oncle, chirurgien à l’Hôpital de Toulouse où, à l’âge de vingt ans, il obtint le grade de chirurgien aide-major. A Paris, la pauvreté l’empêcha de poursuivre  des études et il s’engagea dans la marine en 1788, ce qui l’amena jusqu’à Saint - Pierre et Miquelon. Mais un mal de mer incoercible l’obligea à prendre du service dans l’armée de terre. De son expérience maritime, il tirera la  constatation de l’importance de l’hygiène et de la nourriture pour la prévention des maladies, dont le scorbut.

Mais en 1842, en réclamant une mission d’inspection en Algérie, quelle pouvait être la motivation de cet homme de 76 ans, commandeur de la Légion d’Honneur, à la célébrité européenne, lui qui avait créé des hôpitaux à Milan et Varsovie, que  Napoléon, dans son testament, avait qualifié « d’homme le plus vertueux que j’ai connu ». ? Il était illustre, adoré des officiers et des soldats après avoir été parmi eux, de toutes les batailles depuis l’Armée du Rhin de la République jusqu’à la campagne d’Italie avec Bonaparte. Premier chirurgien de la Garde, on le trouve à Ulm en 1805, à Austerlitz, à Eylau où il opérera 36 heures durant dans la boue glacée et la neige, Friedland en 1807, la guerre d’Espagne et la retraite de Russie. Soucieux de minimiser les souffrances en un temps où l’anesthésie se bornait à un verre de vin mélangé de quelque grains d’opium et à un bâton entre les dents, il avait mis au point une technique de désarticulation de l’épaule en 20 secondes, une amputation en  une minute et demi afin d’éviter la gangrène. D’où la création des ambulances volantes pour être au plus vite sur le terrain, fut-ce en plein  milieu des combats. Après avoir approuvé cette création, l’empereur Napoléon, à Vienne, le fit baron et pour armoirie une  raie ! Sa doctrine : « Soigner selon la gravité et l’urgence sans tenir compte du grade, l’ennemi comme l’allié » ; ainsi opéra t-il le fils de Blücher, ce qui lui évita après la défaite d’être fusillé par les Prussiens.  Louis XVIII, après que Napoléon ait refusé de le prendre dans son exil comme médecin personnel, l’estimant plus utile auprès des soldats, le nomma  chirurgien de sa maison militaire, puis fera du Val de Grâce un hôpital militaire d’instruction. Mais Larrey rejoindra Napoléon pendant les Cent Jours et se déploiera à Waterloo avec ses fameuses ambulances. Louis XVIII ne lui en tiendra pas rigueur et lui rendra ses fonctions tandis que les souverains étrangers le sollicitaient vainement pour organiser leurs services de santé. En 1831, Louis-Philippe le nommera chirurgien-chef des Invalides où sont soignés  les survivants de la Grande Armée et il est professeur à la Faculté de médecine. Et il s’arrache à sa famille dont il a été si longtemps séparé, à ses étudiants, à la rédaction de ses  traités de dissection pour solliciter de Louis Philippe, en tant que membre du Conseil de santé, cette mission.

C’est qu’il avait été, informé de la condition sanitaire déplorable de l’Armée en Algérie. En 1839,l’avertissement avait été lancé par un rapport par le  député Auguste Blanqui : les effectifs de l’armée étaient trop importants pour les hôpitaux, l’intendance ne satisfaisait  pas aux demandes des services médicaux, les recrues étaient incompétentes, faute d’enseignement les officiers de santé ne savaient pas manier les instruments trop compliqués ; la nourriture était insuffisante : « du biscuit réduit en poudre » : la cuisson des aliments étant impossible car les Arabes avaient coupé les arbres ou les bêtes de somme manquaient pour le  transport du bois. En 1842, une note du  Ministre, secrétaire à la Guerre signale le manque de places dans les ambulances, de couvertures et même de sangsues! Car elles étaient très utilisées pour réduire les inflammations et œdèmes selon les critères médicaux  de l’époque. La quinine était trop coûteuse car importée à prix d’or d’Amérique du Sud ou d’Extrême-Orient. Enfin il constatait la méconnaissance des maladies locales. Or l’état de la population arabe était, écrivait-il, désastreux : ophtalmies et trachome entraînant la cécité, syphilis, phtisie, infections intestinales et paludisme ; la mortalité des enfants était de 1 sur 13,5 contre 1 sur 41 en France en 1831. Chez les colons européens, en 1842, un tiers des nouveaux - nés mourait en bas-âge. 

L’Armée d’Afrique comptait 93 700 hommes, 6862 morts dans les hôpitaux: admissions à l’hôpital : 121 000 hommes; évacués en France : 497161 hommes, tués sur le champ de bataille : 116 hommes ! Au point que  Louis-Philippe songea à abandonner la conquête. Cela tenait aussi aux difficultés liées « au climat et à la géographie: pays aride et accidenté dépourvu de routes, climat changeant : saison chaude et climat aride, mois d’hiver aux pluies torrentielles, vagues de froid. L’ennemi, s’il est en général peu nombreux, est courageux, d’une mobilité extrême et passé maître dans l’art d’organiser des coups de main (in G. Sieur Histoire des tribulations du service  de santé de sa création à nos jours. 1927). En 1836, le général Valée qui prendra Constantine, supprimera le nouvel hôpital d’instruction d’Alger, semblable au Val de Grâce et créé par le général Baudens car il était trop coûteux. Il était ouvert « aux étudiants turcs, maures et juifs ». (Mais devant son utilité il sera rétabli en 1857). Devant Constantine assiégée, le même général Valée se plaindra de l’absence d’ambulances et d’officiers de santé,  supprimés car aussi trop coûteux.

Préoccupé par toutes ces nouvelles alarmantes, Larrey veut vérifier de ses propres yeux la situation. Muni de sa lettre de mission, il s’embarque à Toulon,  le 15 mai 1842, à 6h du matin sur un bateau à voile et à vapeur Le Tartare. Il est accompagné de son fils Hippolyte, professeur de clinique chirurgicale à l’Ecole du Val de Grâce. Grâce à ses lettres et à ses mémoires on peut les suivre très exactement dans leur périple. Il les conduira à Alger, Cherchell, Mostaganem, Blida, Bougie puis Bône,  Constantine et El Arrouch et Philippeville, enfin retour à Alger. La traversée est pénible : « mauvaises conditions, temps, mer forte » mais les deux hommes s’indignent surtout du sort de leurs compagnons de voyage : « Les passagers de l’avant sont ceux qui souffrent le plus de ces aspersions continuelles : les soldats en détachement, les ouvriers pour la colonisation et surtout leurs pauvres femmes, leurs petits enfants. Car nous avons des familles tout  entières. L’une de ces femmes a cinq petits et des petits tout petits. Elle en nourrit deux qui semblent dépérir comme  les autres autant par les privations  que par le mal de mer. Le  gouvernement a autorisé le passage gratuit de « ces colons du bord ». Il ne s’inquiète ni de les nourrir, ni de les vêtir s’ils sont nus  ni enfin de les préserver des maladies qui se développent au débarquement et deviennent si funestes à ces pauvres êtres. De plus, c’est qu’à peine arrivés en Afrique, ils devraient trouver du travail et un asile et ils ne trouvent rien sans attendre longtemps; c’est en attendant ainsi que des familles entières périssent. La mortalité des enfants en bas âge est effrayante : elle atteint presque les  5/8. »

C’est Constantine, puis El Arrouch. Le peintre Deloche a laissé un tableau  de cette inspection ; il figure au Musée du Val de Grâce. Enfin Philippeville.

Hippolyte Larrey écrit qu’il est impressionné par les initiatives  prophylactiques du général Bugeaud, le nouveau gouverneur «qu’il ne prend pourtant pas d’habitude en considération ». « Car il fait prendre à l’armée un fébrifuge préventif : le sulfate de quinine qui ne pouvait pas faire de mal ». Déjà, dès le 3 juillet 1842, Dominique Larrey, dans une lettre au maréchal Soult, adressa ses conseils « dans l’intérêt de l’humanité et du Trésor public » car il maniait l’humour caustique. Il critique l’abus des sangsues, difficiles à trouver et à conserver, bien que préconisées par le Dr Broussais selon sa méthode antiphlogistique et conseille de les remplacer par des ventouses scarifiées et il note lui-même « le mode d’utilisation car elles sont peu dispendieuses mais il faut faire les commandes ! » Il a aussi constaté  que «l’emploi, à trop fortes doses de la quinine, a entrainé des complications : hydropisie, gonflement du corps… Il faut substituer au  sulfate de quinine à 1 ou 2 grammes, quelques décigrammes mélangés à du vin doux, soit du vin de quinquina, à administrer après des vomitifs pour faire baisser la fièvre ».

Le voyage a dû être abrégé car Dominique Larrey est épuisé. Au départ, c’était un homme vigoureux et, à Alger, les officiers retrouvent, effarés, un «vieillard ». Sur Le Tartare, il  contracte une pneumonie compliquée d’une défaillance cardiaque. Il est débarqué à Toulon dans un état critique et son fils l’emmène dans un bateau à vapeur jusqu’à Lyon où il mourra à l’hôtel le 25 juillet 1842. Le Maréchal Soult, animé d’une vieille rancune contre le trop brillant chirurgien, lui a refusé un lopin de terre dans un coin du jardin des Invalides. Au nom de la ville de Paris, Arago offre une concession à perpétuité au Père Lachaise. Hippolyte fera édifier un tombeau en forme de  pyramide, allusion à son affiliation avant la Révolution à une loge maçonnique ou souvenir du plateau de Gizeh ? L’injustice ne sera réparée qu’en 1992 : le corps du baron Larrey, après des honneurs militaires rendus par le personnel de santé, repose  désormais dans le caveau des gouverneurs des Invalides.

Annie Krieger-Krynicki

 

Pour en savoir plus sur la vie du baron Larrey :

 

Bérenger- Féraud Le baron Hippolyte Larrey ; Fayard (1899).

Cren Maurice Bégin, carabin de l’Empire (1793-1859) ;  Ed Glyphe  2009.

Soubiran André Le baron Dominique Larrey, chirurgien de Napoléon ; Fayard 1966.

Et une bande dessinée :  Dr  Jean-Michel  Saüt et  Xavier Saüt  Dominique - Jean Larrey  Chirurgien  en chef des armées de Napoléon ; Editions pyrénéennes  1996.

Nos remerciements  vont  à l’Association  des amis  du  musée du Service des armées et Comité d’histoire du  Service des armées (Val de Grâce) qui ont facilité nos recherches.

 

 

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