Pierre

la France

 

ambassadeur

 

Tunis
11 août 1932

  Paris
31 août 2024

 

 

 

Pierre la France à Islamabad en 2001

 

Pierre Lafrance, ambassadeur de France est décédé à Paris le 31 août 2024. Il avait confié à notre revue les souvenirs de sa jeunesse tunisienne. Il était né le 11 août 1932 dans un faubourg célèbre de Tunis, le Bardo, d’un père fonctionnaire du Protectorat. Ce fut le creuset de sa carrière diplomatique : son diplôme des Langue O de Paris ne fut qu’une formalité car il possédait l’arabe qu’il fut littéral ou parlé, acquis par l’expérience. Dans « Misère de la philologie » avec esprit, il relate « ses va et vient entre le « parlé » tunisien, le sabir et le français. Chacun de nous doit être familiarisé avec le fourré épineux de sa propre langue pour en gérer l’usage le plus précieux ». Il note que les étudiants de la Zitounya( l’université de Tunis ) parlent un très bon français car ils maîtrisent parfaitement leur propre langue . Il évoque avec humour un philologue amateur, Martin qui s’amusait à contrefaire le sabir dans un cercle d’amis et était surnommé Ben Mitran ! Plus sérieusement le meilleur interprète d’arabe qu’il connut : un ami tunisien bilingue et polyglotte en français et en italien.

Après le cursus des Affaires étrangères en 1964, il connut, comme ambassadeur, les évènements clefs d’Afrique du Nord : Boumedienne renversé après Ben Bella. Il est à Tripoli quand un célèbre colonel fit son coup d’état contre le roi Idris, en Afghanistan lors de la chute du roi Zaher Shah provoqué par le prince Daoud. Ce qui lui inspirait des réflexions désabusées sur les grandeurs politiques. Il exerça ses talents de négociateur au Koweit, en Arabie Saoudite, en Mauritanie. Il avait sillonné l’Iran de 1969 à 1972 au temps de la révolution moderniste du Shah. Lors de la guerre irano- irakienne, il fut enfermé avec ses collaborateurs dans l’ambassade. Puis il négociera le contentieux sur le nucléaire de Juillet 87 à juin 88, à Téhéran. Il fut ambassadeur de France à Islamabad, au Pakistan, du temps de Benazir Bhutto de 1993 à 1996. Il fut à cette date, élevé à la dignité d’ambassadeur de France.

Toujours fidèle à ses souvenirs, il a rendu hommage à son condisciple de Tunis, Moncef, « son grand ami » car la nostalgie de son adolescence ne le quittait pas : Dans « Douceurs et amertume » ( N° 88 Juin 2017), il évoque avec pudeur leur amitié, troublée par la découverte qu’ils n’avaient pas la même patrie. « Il habitait une maison ancienne aux lourdes murailles mais sur la droite de la nôtre » et « il tentait de m’apprendre à nager « . Dans un chœur de lycéens, « une jeune fille chantait une chanson empruntée à l’Arlésienne et aux paroles très patriotiques ». Dans cette Tunisie des années quarante garçons et filles se croisaient .« La demoiselle avait remplacé le mot de France par celui de Tunisie. Je fus révolté, exclu, nié » ! Moncef m’expliqua « qu’on avait le droit d’avoir sa patrie ». Mais le lien était brisé … Il se console en devenant le champion de la Tunisie dans les rencontres d’athlétisme, moments importants qu’il nous a décrits dans son article de juin 2024. Il me le confia en me disant avec la pudeur qui le caractérisait que ce serait le dernier. Je compris son adieu ce jour-là.

Il avait le culte de l’amitié. Il avait réuni, un soir, tous ses amis, dans le salon aux boiseries blanches où il avait posé dans des niches, les souvenirs de ses années d’Afghanistan et du Pakistan : aiguières, poteries et céramiques tandis que s’étendaient sous nos pieds les tapis colorés de Samarcande, de Lahore ou de Chiraz. Les fenêtres s’ouvraient sur les frondaisons qui entouraient ce logis du 17° arrondissement où, dans le calme, il classait ses documents ou des calligraphies persanes ou arabes. Il avait tenu à célébrer le souvenir de son ami l’ambassadeur du Pakistan en France Saïdullah Delhavi, récemment décédé après sa retraite à Islamabad. Parmi nous, François Jarrige, directeur du musée Guimet et sa femme, que seules les moussons chassaient du champ de fouilles au Nord du Pakistan où ils travaillaient depuis de nombreuses années. Ils évoquent S .Delhavi qui les protégeait puis P. Lafrance décrit ce polyglotte comme lui, né de mère française et à la longue expérience diplomatique. Son père avait été ambassadeur à Paris et c’est lui a qui avait fait acheter, pour loger l’ambassade, le sauvant de la destruction, un vieil hôtel particulier. Entre les boiseries du 19° siècle, sauvées des pioches, se déroulaient les évènements culturels : présentation de peintres de l’Ecole de Lahore, chanteurs de qawwali, musiciens et poètes soufi dont plus tard on retrouverait la trace, consacrés par le Théâtre de la Ville, les cimaise de l’Unesco ou de l’Institut du Monde arabe mais que S. Delhavi avait lancés. Il rappelle aussi sa veuve, Talat. Elle l’avait assisté mais psychologue de formation, elle travaillait comme bénévole dans des hôpitaux pour enfants de l’Assistance publique. Soucieuse de se perfectionner, elle s’informait auprès de mon mari, Jean- Claude Krynicki, sur les cours qu’il suivait à l’Université de Nanterre en 2006 : ceux de Thérèse Lempérière, André Féline et Patrick Hardy, recopiant à l’ambassade ses notes. Pierre Lafrance parla de son séjour du temps de la première ministre Benazir Bhutto qui avait inspiré tant d’espérances mais aussi de la catastrophe de l’invasion par l’Union soviétique de l’Afghanistan et les 7 millions de réfugiés afghans dans le Nord, accueillis généreusement mais qui allaient changer la physionomie du pays : les premières femmes en burka, vêtement opaque avec la seule grille pour les yeux, silhouettes au cœur de la moderne Karachi qui nous avaient tant frappés tous les deux .

Alors Pierre Lafrance, patriote et citoyen du monde, linguiste consommé, orientaliste et fin observateur, acteur de la vie diplomatique ? Mais quand il parlait de « son Bardo » en réponse à mon « port de Bizerte », il redevenait le lycéen appliqué et étonné : « J’étais sans cesse repris pour mes prononciations tunisiennes et j’en voulais à la fois à mes camarades de classe et compagnons de jeux de me donner de mauvaises habitudes et à mon entourage français d’être pointilleux… pourtant j’aimais le français bien prononcé de Touraine à Paris ! » Et il ajoutait en riant «Et ouala pour voilà comme disait Birrou pour ses amis arabes de Tunis » : et avec malice : « Birrou, c’est à dire Pierro …en bourguignon ! »

Annie Krieger Krynicki

 

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