Eugène

Fromentin

 

peintre et écrivain

La Rochelle 24 octobre 1820

 

Saint-Maurice (La Rochelle)

27 août 1876

 

 

Eugène Fromentin

 

Nous avions relaté dans le n°99 des Cahiers d’Afrique du Nord (pages 40 à 45) les relations de Georges Sand avec Eugène Fromentin Nos lecteurs retrouveront dans ces lignes consacrées à la vie de Fromentin les liens étroits qui ont unis les deux écrivains dans le domaine littéraire ainsi que leur profonde amitié.

 

 

Eugène Samuel Auguste Fromentin est né le 24 octobre 1820 à La Rochelle dans une famille de la bonne bourgeoisie locale. Son père, médecin, avait une grande notoriété dans la ville. Il était spécialiste des maladies infectieuses et avait fondé l’asile d’aliénés de Lafond, qui existe toujours. Il avait le goût de la peinture. Ayant fréquenté durant ses études à Paris des ateliers de maîtres bien connus, il occupait ses loisirs à copier des toiles célèbres et à peindre des paysages. Il avait épousé Françoise Billotte, fille d’un conseiller de la Préfecture de Saintes, de dix ans plus jeune que lui. De cette union, naquirent deux fils. Charles, l’ainé deviendra médecin comme son père.

Eugène passera sa jeunesse dans ce milieu provincial conventionnel et assez austère. De nature fragile, il se consacrait à ses études. Il fut au collège un élève brillant, doué dans toutes les matières, mais surtout en latin. Se jouant de Tacite, Cicéron ou Virgile, dès l’âge de 12 ans, il étonnait ses professeurs. Très attaché à la propriété de Saint Maurice, achetée par sa famille cinq ans avant sa naissance, il y passait de délicieux moments de détente. C’est là qu’il puisa son énergie créatrice et qu’il termina sa vie. C’est là aussi qu’il connaîtra Léocadie Chessé, légèrement plus âgée que lui, dont les parents habitaient une maison voisine. Il en sera amoureux et il connut un grand désespoir lorsqu’il apprit son mariage. Leur amitié se poursuivra cependant. Ont-ils eu une liaison ? On ne peut l’affirmer. Elle sera sa muse et il lui dédiera de nombreux poèmes. Il eut un grand choc lorsqu’elle mourut prématurément en 1843.

Reçu au baccalauréat avec une belle récolte de lauriers, il est promis à un bel avenir. Mais lequel ? Il reste indécis et durant plusieurs années il vit dans le confort familial, se nourrissant de littérature romantique. Sur l’injonction de son père, il finit par se rendre à Paris en 1839, pour aborder des études de Droit, sans grande conviction. Peu enclin à suivre assidûment les cours, il mène une vie de dilettante. Il noue de solides amitiés, notamment avec Paul Betillard, brillant élève à l’Ecole des Chartes et adepte du christianisme social. Il s’enferme aussi souvent pour s’adonner à l’écriture de la poésie.

Eugène est certes pétri de culture littéraire, mais un autre penchant s’af-firme chez lui : le dessin. Durant plusieurs années, il s’exerce à exécuter des portraits. A partir de 1843, il fait montre d’un véritable talent. Il devient portraitiste. Le rêve qu’il caresse depuis longtemps prend forme : l’alliance de la poésie et de la peinture.

Enfin, pourvu d’une licence en droit en 1843, il s’achemine vers le doctorat, mais n’y parviendra pas, préférant s’adonner à la peinture, à la grande déception de son père.

Au début de l’année 1846, Eugène qui mène encore une vie de dilettante se voit proposer un voyage en Algérie, et plus précisément à Blida, par le peintre Charles Labbé qui doit assister au mariage de sa sœur. Accompagnés par leur ami Armand du Mesnil, ils prennent la mer en bateau à voile pour une traversée qui durera plus de deux jours. Il profite de cette occasion pour circuler dans ce pays inconnu et découvrir des merveilles naturelles qui lui donnent l’envie d’y retourner. Les croquis à la mine de plomb, les fusains et les huiles sur toile qu’il a rapportés - pour certains déposés au musée de La Rochelle - témoignent d’un éblouissement : le bleu du ciel, la lumière, les lignes fuyant l’infini.

Ce n’est plus le même homme qui retrouve Paris. Il déménage pour s’installer dans le quartier de La Nouvelle Athènes, au pied de la Butte Montmartre, non loin de ses amis du Mesnil et Regnault. Dans ces repas de famille, l’entente est si cordiale, qu’on finit par appeler ce petit monde « le phalanstère ». Eugène a maintenant 26 ans. Le temps est venu de confronter son talent à la critique. Il expose trois toiles au nouveau Salon : Ferme aux environs de La Rochelle, Mosquée près d’Alger et Gorges de La Chiffa. Ce dernier tableau trouve un acheteur. Cette première vente en annonce beaucoup d’autres.

Le voilà cependant, saisi par l’appel du large. Retourner en Algérie devient une véritable obsession. Un projet se concrétise, et le 24 septembre il met les voiles pour Alger en compagnie de Charles Labbé et Auguste Selzman. Début octobre, les trois compères s’installent à Blida, point de départ d’excursions dans le pays. Il y trouve l’inspiration, source de futures nombreuses toiles.

L’hiver arrive. Charles Labbé étant reparti pour la métropole, il décide avec Auguste de se rendre à Constantine. Difficile voyage par un temps détes-table ! C’est un nouveau point de départ pour le grand Sud, qui enthousiasme Eugène et le confirme dans sa vocation de peintre. Dessins au crayon, aquarelles, huiles, garderont le souvenir de ces heures bénies : Femmes revenant de puiser de l’eau, portraits d’Ouled NaÏls… Il quittera ces lieux la mort dans l’âme.

Eugène connaît maintenant sa voie avec certitude . Très exigeant envers lui-même il ne supporte pas la médiocrité et il n’hésite pas à détruire nombre de ses œuvres qu’il n’estime pas parfaites. Comme le soulignera Louis Gonse, la force de Fromentin c’est avant tout son œil, un œil exceptionnel qui lui fait saisir un paysage, un sujet, au cœur, dans leurs lignes les plus souveraines, mais aussi les plus subtiles, imperceptibles pour beaucoup.

De retour à Paris, il tente sa seconde chance au Salon. Il présente cinq tableaux, dont Les tentes de la smala de Si Hamed-bel Hadj, qui lui vaut une médaille, avec l’appréciation élogieuse d’un jury particulièrement distingué : Horace Vernet, Corot, Meissonnier, Delaroche, Delacroix, Isabey, Ingres, Decamps. Encouragé par ce succès, il se prépare avec ardeur au prochain Salon. C’est une période d’intense production qui lui permettra à Noël 1850 de présenter douze tableaux aux yeux du public. La vente de son tableau Arabes nomades levant le camp au marchand néerlandais Jakobson fait monter la cote du jeune peintre.

Son attachement à la peinture n’empêche pas Eugène d’avoir des projets matrimoniaux. A son retour d’Algérie, il a retrouvé Marie Cavellet de Beaumont, nièce d’Armand du Mesnil. Elle a vingt ans et elle occupe ses pensées depuis longtemps. Ils se marieront en mai 1852. Ce sont les débuts du Second Empire avec les troubles qui se produisent dans la capitale. Le ménage décide de quitter Paris pour Saint Raphaël. Ce séjour permet à Eugène d’étudier la lumière de la Côte d’Azur et de composer de nombreux tableaux. Mais l’appel de l’Algérie se fait entendre et, profitant d’une commande de l’État pour la peinture d’une scène arabe, il prend avec son épouse, le 5 novembre 1852, le chemin de ce pays qu’il aime tant. Ils y passeront onze mois.

Ils louent une petite maison à Alger dans le quartier de Mustapha où ils passent l’hiver. Puis, tandis que Marie séjourne à Blida accueillie par la famille Labbé, son intrépide mari, cédant à l’appel du Grand Sud, entreprend un périple personnel dans les immensités désertiques. Il brave les conditions plus que spartiates de ce voyage, couchant parfois à la belle étoile. Il est habillé à la mode arabe pour se protéger de la chaleur accablante. Rien ne l’arrête dans sa quête de paysages et de scènes de genre. S’aventurant dans des contrées à peine pacifiées, il se rend à Laghouat et pousse jusqu’à AÏn Madhi et Tadjemout. Ce Grand Sud lui apporte chaque jour son lot de merveilles. C’est à Armand du Mesnil qu’il dédiera les pages griffonnées chaque soir sur un carnet, pages qui, une fois travaillées et complétées deviendront Un été dans le Sahara.

Mais tout a une fin. Il quitte Laghouat en juillet 1853 qui termine son itinéraire. Ayant retrouvé Marie, il quitte avec elle l’Algérie pour la troisième fois. Ce sera son dernier voyage dans ce pays dont le souvenir l’habitera toujours.

La reprise dans la métropole s’avère très difficile. En proie à de grandes difficultés financières, le couple s’installe à Saint Maurice dans la propriété familiale, havre de paix où il vivra de longues années. Ils auront bientôt deux enfants. A cette époque Eugène connaît une période de profonde dépression. Il a perdu confiance en lui-même et s’éloigne du milieu artistique. En hiver 1855, il se décide enfin à monter à Paris et se lie d’amitié avec Gustave Moreau qui devient un allié précieux et jouera un grand rôle dans sa vie. A son contact, il retrouve peu à peu son entrain et travaille à des toiles solides, telle ces Tailleurs arabes devant la mosquée, maintenant exposée au Musée des Arts Premiers du Quai Branly. Il est aidé par ses amis toujours fidèles Bataillard et du Mesnil.

Son rêve prioritaire est maintenant de voir sa peinture reconnue. Pour cela le Salon est le vecteur le plus sûr. En 1856 il présente sept toiles qui remportent un vif succès. Parmi celles-ci citons : Marchands arabes en voyage (Sahara), Halte de marchands devant El-Aghouat, Chasse à la gazelle dans le Hodna (Algérie). Poursuivant son travail, il présente cinq toiles au Salon de 1859 : Bateleurs nègres dans les tribus, Rue à El-Aghouat, Souvenir de l’Algérie, Audience chez un khalifat (Sahara) et Lisière d’oasis pendant le sirocco. Elles lui valent une avalanche de louanges qui le font définitivement admettre comme un grand peintre.

Dans le même temps, il exerce ses qualités d’écrivain. Son livre Un été dans le Sahara, publié dans la Revue de Paris, connaît un immense succès. Il a été soutenu dans cette œuvre par George Sand, très enthousiaste de ses écrits et qui a publié un long article sur ce livre dans La Presse, journal à fort tirage. Elle l’encourage à rédiger un second livre, Une année dans le Sahel, qui sera également couronné d’éloges par des personnalités littéraires et artistiques de l’époque, pour ne citer que Sainte Beuve, Baudelaire, Degas, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Delacroix. Il a reçu une médaille de première classe pour l’ensemble de ses tableaux et est promu au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur.

Pressé par la direction de la célèbre Revue des Deux Mondes à laquelle il a promis un manuscrit, et soutenu à nouveau par George Sand, il publie en 1862 la première partie d’un roman, Dominique, qui consacrera sa célébrité. Ce livre est le reflet de ses obsessions, celles de la jeunesse perdue, des rêves enfuis ou trahis. Madeleine, son héroïne est la figure sublimée de la femme interdite, souvenir persistant de sa passion contrariée pour Léocadie, qu’il n’a jamais oubliée. Peu de temps après la parution de son livre en revue il reçoit une invitation de George Sand à Nohant, séjour béni, où il vivra dans l‘intimité de cette maison. Il lui dédiera son livre lorsqu’il paraîtra en volume en janvier 1863. Leur amitié ne se démentira jamais.

Mais ces succès n’empêchent pas Eugène de connaître encore une période de doute. Il s’interroge toujours sur la part qu’il doit réserver à l’un ou l’autre de ses talents. Ayant légèrement délaissé la peinture pendant ses intenses mois d’écriture, il expose quelques toiles. La Chasse au faucon en Algérie, La Curée, qui restera peut-être le plus célèbre de ses tableaux. Au Salon de 1864, il expose un tableau Coup de vent dans les plaines d’alfa (Sahara).

En novembre 1864 il a l’heureuse surprise d’être invité au château de Compiègne par l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie qui suivent régulièrement le « gratin » des Arts et des Lettres. Estimé par la princesse Mathilde, fille de Jérôme Bonaparte, le plus jeune frère de Napoléon, il est prié de déjeuner à Trianon. A 45 ans il est à l’apogée de sa carrière. Ses toiles s’adjugent maintenant à des prix élevés. Au Salon de 1866. Son tableau Étang dans les oasis est acheté par un riche ottoman Khalil Bey, avantage financier non négligeable car il se trouve à cette époque dans une gêne embarrassante. Enfin une bonne nouvelle l’attend, il est nommé membre du jury de l’Exposition Universelle qui doit avoir lieu l’année suivante. Dans le même temps il est nommé Officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur.

En octobre 1869, il effectue un magnifique voyage en Égypte, invité comme membre d’une commission d’artistes et scientifiques français, à l’inaugu-ration du canal de Suez. Il visite le pays : Alexandrie, Le Caire, Louqsor Karnak, Assouan, muni d’un appareil photographique, nouvelle technique dont les clichés pourront lui servir de base à de prochains tableaux. Il rentre à Port-Said pour assister aux fêtes féeriques, auxquelles donnent lieu cet événement, organisées par le vice-roi Nubar Pacha. De nombreuses têtes couronnées se sont déplacées pour la circonstance : les empereurs Napoléon III, François Joseph, les princes de Prusse, des Pays-Bas… Fantasias, feux d’artifice et bals sont donnés en plein désert. De cette expérience, Eugène retiendra une débauche de luxe, des horizons grandioses, de vrais éblouis-sements, mais il ne se sentira pas pleinement heureux car le rythme de ce voyage a été trop rapide pour lui, qui aime se pénétrer lentement et profondément de ce qu’il voit.

Ce périple sera suivi d’un voyage à Venise, soudain troublé par la déclaration de guerre. Réfugié à Saint-Maurice avec sa famille, Fromentin y passera les évènements dramatiques de 1870-1971 : la défaite et la capitulation de Sedan, l’insurrection de la Commune. La paix retrouvée, la famille rentre à Paris. Fromentin reprend ses pinceaux et produit au Salon de 1872 des tableaux toujours inspirés de la veine orientaliste : Fantasia, les Arabes Femmes arabes et cavalier. Il continue à peindre, mais toujours hanté par une exigence de perfection, il connaît un certain désenchantement.

En 1874 il travaille à une préface pour une réédition de ses livres Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel. C’est l’occasion pour lui de rendre un hommage ému à ses deux plus indéfectibles soutiens Théophile Gautier et sa chère George Sand. Au Salon, il expose deux toiles : Souvenirs d’Algérie et Un ravin. Il écrit aussi un long poème La fin du Ramadan dédié à Hortense Howland pour laquelle il éprouve une vive admiration.

A 54 ans, il a la joie d’être grand père d’une petite Marie-Thérèse, fille de sa fille Marguerite qui a épousé Alexandre Billotte.

En juillet 1875 il entreprend un voyage en Belgique et Hollande ayant l’idée d’un nouveau livre en hommage aux peintres flamands et hollandais Un chaleureux accueil lui est réservé dans les milieux artistiques. Il est même présenté au Roi. Pénétré des œuvres d’art qu’il a pu admirer durant ce périple, il écrit Les maîtres d ‘autrefois qui est édité dans La Revue des Deux Mondes, puis en volume. Une réédition de Dominique verra le jour quelques temps plus tard.

De retour dans son havre de Saint-Maurice où il a retrouvé Marie, il essaie d’écrire un nouveau livre. Mais il tombe malade et ses forces déclinent rapidement. Armand du Mesnil, accouru à son chevet, ne le reverra pas. Il s’éteint le 27 août 1876. Il est inhumé à Saint-Maurice en présence de sa famille et de quelques amis, affligés par cette disparition subite.

Ainsi se termine la vie de ce grand artiste qui aura été partagé sans cesse entre deux passions, mais l’aura laissé insatisfait, n’ayant pu atteindre son idéal de perfection dans chacun de ses rêves.

Odette Goinard

D’après le livre de Patrick Tudoret Le roman d’une vie, Paris Les Belles Lettres 2018.

 

Hommages rendus à Fromentin

- Monument érigé à La Rochelle, place des Petits Blancs.

- Le collège de garçons de La Rochelle porte son nom .

- L’actuel lycée Bouammama d’Alger, qui était un lycée de jeunes filles, portait le nom de Fromentin avant l’indépendance de l’Algérie.

 

Œuvres de Fromentin

- Écrivain, son œuvre est entrée dans la Pléiade

- Peintre, ses œuvres sont représentées dans le monde entier : musées de Londres, New-york, Boston, Philadephie, Saint-Pétersbourg. En France, citons entre autres les musées du Louvre, Orsay, La Rochelle, Brest.

 

Notes sur Patrick Tudoret

Eugène Fromentin méritait qu’une biographie de cette importance lui fut enfin consacrée, lui qui était à la tête du mouvement orientaliste du 19 ° siècle en peinture et en littérature à laquelle George Sand aurait voulu qu’il se consacrât pleinement. Nul n’était plus indiqué pour cet hommage complet et vivant que Patrick Tudoret, né à Oran, dans cette Algérie que décrivit et peignit Fromentin et qui vit à La Rochelle où naquit notre héros! L’auteur, docteur en science politique (Paris I- Panthéon-Sorbonne) avec une thèse soutenue en 2007 : « De la paléo- télévision à la sur-télévision » (vie et mort de l’émission littéraire) est lui-même un littérateur reconnu. Attaché à la période romantique, il a écrit Juliette, Victor Hugo, mon fol amour mais son œuvre est éclectique et fut plusieurs fois consacrée : Grand prix de la critique en 2009, prix Brantôme de la biographie, prix Claude Farrère et Prix des grands espaces pour L’homme qui fuyait le Nobel (2016). Il est aussi poète et figure dans L’Anthologie de langue française de Jean Orizet qui fait autorité en poésie. Parmi ses nombreux livres, citons en ce qui nous concerne, la Préface aux Maîtres d’autrefois d’Eugène Fromentin.



 

 

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