La Maréchale

Lyautey

 

Paris 1862

Casablanca 1953

 La Maréchale Lyautey une grande dame trop peu connue
 

Inès de Bourgoing est née à Paris, le 5 janvier 1862. Elle fut une grande dame et le recul du temps nous permet de mieux mesurer l'étendue de son action généreuse et humaine peu connue en raison de sa grande discrétion. Il est certain qu'elle a fait œuvre de pionnier et a ouvert la voie à bien des évolutions. Le colonel Geoffroy, président de l'association nationale Maréchal Lyautey, nous la fait mieux connaître.

Veuve en 1900 du colonel Fortoul, elle va initier au début du siècle des actions qui, dans le domaine humanitaire et social, ont devancé des actions plus structurées du type « Infirmières sans frontières ».

Après son mariage, en 1909, avec le général Hubert Lyautey, son champ d'activités se trouve élargi. Epouse dévouée autant que femme d'action, elle a harmonieusement complété, au Maroc, l'œuvre du Résident Général, qui disait volontiers qu'elle était « son meilleur collaborateur ».

Présidente du Comité central des dames de la Croix Rouge Française, cette filleule de l'Impératrice Eugénie fut la première femme à être élevée au grade de Grand Officier de la Légion d'Honneur pour récompenser son œuvre sociale, ainsi qu'au grade de Grand Officier de l'Ordre du Ouissam Alaouite, en reconnaissance de son œuvre au Maroc.

Son père, le baron Philippe de Bourgoing (1827-1882), d'une vieille famille du Nivernais, fut, comme officier, le grand écuyer de Napoléon III, avant de devenir Inspecteur du Service des Haras. Il sera élu cinq fois député de la Nièvre.

Sa mère, Anne-Marie Dollfus (1837- 1917), était d'une ancienne famille noble de la République de Mulhouse, rattachée à la France en 1798. Elle était la petite fille de Johannès Dollfus, dernier bourgmestre de cette ville libre. Dame d'honneur de l'Impératrice Eugénie, elle lui demanda à la naissance d'Inès, d'être la marraine de l'enfant. Inès, élevée aux Tuileries, reçut l'éducation très stricte des jeunes filles destinées aux cérémonies de la cour. Elle en gardera le sens du devoir, qui fait passer au second plan les problèmes personnels, et une faculté d'adaptation face aux situations les plus variées et les plus délicates.

En 1880, à l'âge de dix-huit ans, elle épouse le capitaine d'artillerie Joseph Fortoul, fils du ministre de l'Instruction publique et des Cultes de Napoléon III. Ce jeune officier, entré à l'Ecole Polytechnique en 1867, avait combattu pendant la guerre de 1870, puis avait fait partie de la mission envoyée au Japon pour organiser la nouvelle

armée du Mikado. Le temps de suivre à Paris les cours de l'Ecole Supérieure de Guerre, d'épouser Inès de Bourgoing et il part en Indochine d'où il revient grièvement blessé. A cinquante-trois ans, alors qu'il commande le 3ème Régiment d'Artillerie à Castres, il décède subitement, le 1er octobre 1900, d'un accident cardiaque.

A trente-neuf ans, Inès Fortoul se retrouve veuve avec deux fils déjà adultes. Antoine (1881-1963), aspirant de marine, participe à la guerre des Boxers en Chine et Mathieu (1882-1969), sur le point d'entrer à l'Ecole de Cavalerie de Saumur, sert au 3ème Dragons à Nantes. Leur petite sœur, Victoire, était décédée, en août 1888, à l'âge de vingt mois.

Portée vers le service des autres, elle va désormais leur consacrer tout son temps. Elle songe à aller soulager la misère dans les colonies, mais il lui faut une formation et une expérience. Aussi décide-t-elle de suivre les cours d'infirmières. Son diplôme acquis en 1901, elle entre à la Société de Secours aux Blessés Militaires (S.S.B.M.), composée uniquement de bénévoles. Après quelques années de service à l'hôpital Beaujon, à Paris, un champ d'action répondant à son attente et à son besoin d'action va s'offrir à elle.

En août 1907, en effet, le détachement du général Drude a débarqué au Maroc et se maintient difficilement à Casablanca. Dans le domaine sanitaire, tout est à faire. Madame Fortoul, devenue infirmière-major, part à la tête d'une équipe d'infirmières volontaires, expédiée en hâte par la S.S.B.M. Les conditions de vie et de travail sont précaires et le service est particulièrement dur.

Comme il est difficile de les soigner à Casablanca, les blessés et malades graves sont évacués par la Marine Nationale et accompagnés par des infirmières jusqu' Oran, où le général Lyautey commande la Division. Celui-ci, envoyé en mission au Maroc en octobre 1907, accepte de prendre, à bord du torpilleur qui l'emmène, trois de ces infirmières. C'est au cours de la traversée qu'il va faire la connaissance d'Inès de Bourgoing.

Inès, à peine rentrée en France, repart à la tête d'une équipe à Messine où, le 28 décembre 1908, un tremblement de terre a enseveli sous les décombres plus de 80.000 habitants. Le dévouement et la compétence de ces femmes font l'admiration du corps de santé italien et leur valent décorations et reconnaissance émue de la reine et de la duchesse d'Aoste (princesse Hélène d'Orléans).

Après leur mariage, célébré à Paris le 14 octobre 1909, Hubert Lyautey âgé de cinquante-cinq ans et sa femme Inès, de neuf ans sa cadette, rejoignent l'Algérie où le général commande toujours la Division d'Oran. Fin 1910, il est promu au commandement du Xème Corps d'Armée à Rennes.

En mars 1912, le voici nommé Résident Général de France au Maroc. Tous deux, en parfaite harmonie, vont marquer l'évolution et le développement de ce pays d'une empreinte indélébile.

Au Maroc, le nom de madame Lyautey demeurera indissolublement lié à la création et à l'organisation de la majorité des œuvres d'assistance à l'enfance : gouttes de lait, pouponnières, crèches, orphelinats, jardins de soleil. La « Maternité Maréchale Lyautey », première maternité du Maroc comprend aussi pouponnière, crèche, garderie, goutte de lait et consultation infantile, un modèle du genre qui a conquis d'éminents maîtres de la puériculture français et étrangers. C'est à la maréchale Lyautey que l'on doit aussi les premiers dispensaires antituberculeux, les premières colonies de vacances du Maroc ainsi que les écoles d'infirmières.

Douée d'une prodigieuse et inlassable activité, voyant droit et juste, appréciant aussi rapidement les possibilités matérielles que la valeur des collaborations qui s'offrent à elle, la maréchale Lyautey manifeste au Maroc les qualités maîtresses des grandes réalisatrices. Son œuvre sociale ne se limite pas à l'enfance. Fille, femme et mère de militaires, c'est tout naturellement sur la troupe aussi que se penche sa sollicitude, singulièrement sur les merveilleux combattants que furent les Tirailleurs et Spahis marocains, et sur la Légion Etrangère. Avec l'aide de la Croix-Rouge, elle fonde la Maison de convalescence de Salé, près de Rabat, aussi plaisante que confortable, destinée aux légionnaires et soldats convalescents privés de famille. En complément, elle leur crée, à la Balme-les-Grottes dans l'Isère, une maison de retraite. Elle reçut le titre envié et peu courant de « Ière classe d'honneur de la Légion Étrangère ». .

 

Le château de Thorey-Lyautey, en Lorraine.

 

 

Rentrée en France avec le maréchal en octobre 1925, tous deux sont tantôt dans leur château à Thorey, où ils ont fait construire pour le village un dispensaire familial et une maison pour les jeunes, véritable MJC avant la lettre, tantôt à Paris. Elle déploie une inlassable activité et devient, en 1926, présidente du Comité Central des Dames de la Croix Rouge Française.

Après la mort du maréchal, le 27 juillet 1934, partageant sa vie entre la France et le Maroc, elle continue à faire preuve d'un légendaire dévouement. A Paris, la maréchale s'intéresse au sort des Marocains, étudiants en particulier, à la vie de l'Institut musulman de la Mosquée de Paris, aux malades de l'hôpital musulman de Bobigny. Au Maroc, elle prend part aux travaux de la C.R.F. présidant les Assemblées générales de tous les Comités, aux œuvres, aux initiatives desquelles elle ne cesse de s'intéresser. En 1938, elle résilie ses lourdes fonctions à la tête de la Croix Rouge Française pour pouvoir se rendre plus souvent au Maroc.

En 1939 - elle allait avoir soixante- dix-huit ans - elle assume, dès la mobilisation, la direction du service de 300 lits pour les grands blessés de la tête et de la moelle à l'hôpital militaire de l'Asnée à Nancy, où le pro- fesseur Fontaine, médecin-chef, devait dire: «Je considère comme un honneur tout particulier et comme une des plus grandes satisfactions de ma carrière chirurgicale d'avoir eu la joie de pouvoir compter sur une aussi précieuse collaboration» .

Après l'armistice de juin 1940, elle n'oublie pas «ses chers Marocains», organisant des collectes pour que leurs prisonniers de guerre reçoivent des colis et réconfortant les familles au Maroc où elle se rend régulièrement.

Bloquée en France à partir de l'invasion de la zone libre par les troupes allemandes en novembre 1942, elle pense toujours aux combattants nord-africains et crée à Paris plusieurs œuvres destinées à leur venir en aide, en particulier des foyers où les blessés, les convalescents, les évadés de captivité sont assurés de trouver accueil, aide matérielle et caches pour échapper à l'occupant allemand.

Après le débarquement, au plus fort de l'hiver 1944, elle n'hésite pas à se rendre dans les Vosges pour apporter, aux troupes marocaines qui livrent de rudes combats au sein de la lère Armée Française, son réconfort et ses encouragements. La Libération de la France et la victoire de mai 1945 lui permettent de retourner régulièrement passer plusieurs mois par an au Maroc où elle ne compte que des amis et elle continue malgré son grand âge, à se dévouer pour « servir ».

Le 9 février 1953, à la suite d'un de ces accidents que l'âge ne permet guère de réparer, la maréchale Lyautey, qui venait d'avoir quatre-vingt-onze ans, décède à Casablanca. Elle repo- sera aux côtés de son époux, au mausolée de Rabat. Lorsque la dépouille du maréchal sera transférée à Paris sous le Dôme des Invalides le 10 mai 1961, elle sera inhumée au cimetière du village de Thorey - devenu à la demande de ses habitants Thorey-Lyautey - pour conserver le souvenir du maréchal Lyautey et de son épouse qui, chacun dans leur domaine, ont marqué le XX" siècle.

 

Colonel P. Geoffroy

 

 

 

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