Pétrus

Borel

 
le Lycanthrope

Lyon 1809

Mostaganem 1859

Écrivain, poète, traducteur, mais aussi  architecte et cultivateur, cet homme  aux multiples facettes, a traversé la vie  en romantique, connaissant de nombreux  déboires, qui lui ont valu l'épithète de

« poète maudit »,

 

Surnommé le Lycanthrope (l'homme loup), Petrus Borel est, à notre époque, pratiquement inconnu. Il fit néanmoins partie du monde des Lettres.

Son œuvre avait retenu l'attention des grands écrivains de son temps, mais elle est restée à peu près ignorée par la suite, bien que réhabilitée par les surréalistes. L'étude de sa vie révèle un être instable, tourmenté, sans cesse à la recherche de l'inaccessible. Ressentant l'appel d'une liberté sans limites, il était forcé d'accepter les contraintes de la vie, ce qui le rendait agressif, voire révolté contre son milieu.

C'est évidemment la seconde partie  de sa vie passée en Algérie qui doit  intéresser nos lecteurs, mais il n'est pas possible de passer sous silence les années de jeunesse en France qui lui  ont permis de se faire connaître.

Ses ancêtres étaient originaires de  Grand-Villard dans le Briançonnais, région belle mais rude. Son père, orphelin dès son enfance, avait été  confié à son oncle maternel, Pierre  Garnaud, commerçant à Lyon, dont  il épousa la fille. Le couple donnera  naissance à quatorze enfants, dont  Petrus, le douzième, né le 30 juin  1809. Pour des raisons imprécises  la famille s'installe à Paris en 1820.  Petrus est mis dans une école religieuse, puis au Petit Séminaire de  Saint-Roch où il acquiert un certain  savoir littéraire. Dès l'âge de quatorze  ans, il est placé par son père comme  apprenti architecte à Melun, puis  il entre dans l'atelier d' architecture  d'Antoine Garnaud et un peu plus  tard dans celui le Bourlat.

En 182, après cinq ans d'apprentissage, il. s'établit comme architecte à  son propre compte. Mais cette formation ne correspond pas aux aspirations romantiques du jeune homme qui délaisse cette profession pour fréquenter l'atelier du peintre Eugène  Devéria. C'est là qu'il connaît les écrivains et artistes de l'époque: Victor  Hugo, Charles Nodier, Sainte-Beuve,  Musset, Vigny, Delacroix, David  d'Angers.

Il fait partie d'un groupe d'amis,  dont Théophile Gautier et Gérard de  Nerval, qui, réunis autour du sculpteur  Jehan Duseigneur, constitue « le Petit  Cénacle ». Au sein de ce club, Petrus  rayonne.

Durant le temps de bouleversement  politique que connaît la France en  1830, Petrus s'affiche comme farouche  républicain. Pour lui, c'est le choix de  la liberté à laquelle il tient par-dessus  tour. Il fréquente la Société des Amis  du Peuple, groupe politique de gauche  inspiré des idées socialisantes.

Durant l'été 1831, les amis du Petit  Cénacle vont habiter une masure, louée  par Borel, rue Rochechouart au bas de  la Butte Montmartre, baptisée « Le  camp des Tartares », où ils mènent une  vie naturiste réprimée par la police.  C'est là que le Lycanthrope compose  son premier recueil de vers, Rhapsodies.  La Corse et Benoni sont publiés dans  L'Almanach des Muses, et Heur et malheur dans les Annales romantiques. La même année il publie des Stances sur les  blessures de l'Institut er Le vieux capitaine  dans L'Almanach des Muses, Barraou le  charpentier, légende antillaise dans Le  Mercure de France. En 1833, il fait  paraître une compilation de nouvelles  très particulières: Champavert, contes  immoraux. En 1836, il sort une remarquable traduction de Robinson Crusoë,  de Daniel Defoe, encore éditée de nos  jours. Les jeunes Républicains, dont  Petrus est le chantre, sont affublés  du sobriquet de « bousingos » mot  désignant tout jeune homme féru  d'idées politiques avancées, « gauchiste » dirions-nous aujourd'hui.

À vingt-quatre ans, fier de ses succès littéraires, il est l'homme dont on  parle. Moments de gloire pour le Petit  Cénacle. Cependant le groupe se disloque. Le Lycanthrope perd son âme.  Fin 1834, lui naît un fils Justus, de  son union illégitime avec Marie-Antoinette Claye, veuve de six ans son  aînée, qui avait une fille Gabrielle,  laquelle deviendra son épouse quelques années plus tard. Il décide de  quitter Paris pour Le Baizil, coin retiré  de Champagne, où il mène durant  plusieurs mois une vie précaire, travaillant comme un laboureur, mais  surtout se consacrant à la rédaction de  son grand roman, Madame Putiphar,  qui paraîtra chez Ollivier en deux  volumes en 1839. En 1840, il s'installe avec sa famille dans une ferme à  Asnières où il reçoit ses anciens amis  du Cénacle et publie de nombreux  articles et nouvelles.

De retour à Paris en 1844, il prend  la direction de Satan. Il crée également la Revue pittoresque et son annexe  L'Âne d'or. En 1845, il publie Alger et  son avenir littéraire dans L'Artiste.

Sur la suggestion de Théophile  Gautier, rentré d'un voyage en Algérie,  et avec l'appui d'Émile et Delphine de Girardin, amis de Bugeaud, il prend la décision d'entrer dans l'Administration coloniale. Une nouvelle aventure commence. Il débarque  seul à Alger le 25 janvier 1846, accueilli par quelques amis dont Adien Berbrugger.

Grâce à lui, il pénètre facilement dans le milieu des Français d’outremer.

Il prend ses fonctions comme inspecteur de la colonisation de deuxième classe. Bientôt il collabore à l'Akhbar,  journal de langue française. Cependant  il doit assumer les tâches qui lui  incombent. Il rédige pour le compte du  maréchal Bugeaud un certain nombre  de textes au sujet de la colonisation; il  se déplace en Algérie, inspecte des villages récemment créés. Il est chargé  d'inspecter la pêcherie de Sidi-Ferruch,  installée par un simple particulier,  ainsi que des immeubles composant  une concession provisoire sur le site  de Guyotville. De telles occupations  ne l'empêchent pas de participer aux  maigres distractions qu'offrent la ville  d'Alger. En juin, il est rejoint par  Marie-Antoinette Claye, Gabrielle et  Justus.

Après la démission de Bugeaud le 11 juin 1847, Borel est nommé inspecteur de la colonisation à Mostaganem. Le 2 septembre, il se marie avec Gabrielle  Claye, dite Béatrix, âgée de dix-neuf  ans, fille de sa maîtresse. Le 16 octobre,  il fait acheter par madame Claye, devenue sa belle-mère, un terrain d'une  superficie de trois hectares. Il y fera  bâtir une maison baptisée «Le Castel de  Haute-Pensée ». Dans le même temps,  il publie, dans l'Akhbar, Un Anglais en  Afrique et Des Courses à Mostaganem.  Accusé de quelques manquements à ses  fonctions, et sans doute victime d'une  mauvaise querelle, il est destitué de ses  fonctions le 12 juin 1848 par Frédéric  Lacroix, directeur général des Affaires  civiles d'Alger. Il vivra alors chichement du produit de ses terres et il  adresse plusieurs demandes de réinté ration au ministre de la Guerre. Le  15 décembre 1849, il est réintégré dans  le corps des inspecteurs de la colonisation, envoyé dans le département  de Constantine, chargé du pénitencier  de Lambessa alors en construction.  Là devaient être déportés certains des  insurgés des journées de juin 1848,  détenus jusqu'alors à Belle-Île. D'autres  travaux le réclament: la fondation de  trois villages dans la plaine de Tazzoult  et un travail archéologique sur un  étrange monument des environs de  Batna, le mausolée du Medrachem.  Il passe ses heures de repos à composer  quelques poèmes. Cependant, séparé de  sa jeune épouse restée à Mostaganem  avec sa famille, il multiplie les démarches pour retrouver son ancien poste.  Il est toutefois nommé à Bône où il  entre en fonctions le 9 août 1850.  Il part deux semaines à Guelma pour  la reconnaissance et la régularisation de  propriétés urbaines et rurales; il se rend  également à Penthièvre, récent village  d'émigrés, pour établir des rapports sur des travaux déjà  exécutés.

Le 16 août 1851,  après un exil de deux  ans, il finit par obtenir  son retour tant souhaité à Mostaganem.  Il y retrouve son ancien ami, Ausone de  Chancel, qui y occupe  les fonctions de sous-  préfet. Nommé par  décret maire de Blad-Touaria, nouvelle colonie agricole, il se  révèle excellent administrateur. Toujours  animé par ses idées  romantiques, il emploie aussi bien les  deniers publics que  les siens pour sauver  ses administrés de la  faim et des fièvres.

En butte à l'hostilité de Gantès, nouveau sous-préfet, et  de Louis Majorel, préfet d'Oran, Petrus  se trouve privé de  ses appuis. Bugeaud est mort depuis cinq ans, Ausone  de Chancel a été déplacé à Blida.  Victime d'un mauvais procès, le  Lycanthrope se retrouve seul, traqué.  Les actions qu'il tentera ne réussiront point à le sauver. Il est révoqué  définitivement de ses fonctions le  27 août 1855.

Le voici encore rendu par une espèce  de fatalité à l'existence d'un paysan, aux  travaux de la terre. En fait, il se trouvait  à la tête d'une exploitation qui suffisait à l'entretien de sa famille et de sa  domesticité, sa propriété s'étant agrandie. Ainsi peut-il vivre en autonomie  presque complète, en véritable colon  ayant cherché fortune loin de sa patrie.  Le 14 avril 1857, peu après la mort de  sa mère devenue folle, Gabrielle donne  le jour à un fils, Aldéran.

Petrus a donc retrouvé une existence sereine. Le voici au port, à l'ancre. Pour se délasser, il écrit quelques  poèmes. La mort, sans doute par insolation, le surprendra le 17 juillet 1859  dans son « Castel de Haute-Pensée ».  Il a terminé sa vie tourmentée et est  inhumé religieusement au cimetière  de Mostaganem.

Après un court temps de veuvage,  Gabrielle convolera en secondes noces avec Victor Renard et partira vivre à  Aïn-Temouchent. Quant à Aldéran,  il traînera son existence en Algérie,  de bureau en bureau; ses fonctions  d'interprète auprès de l'administration  ne lui permettront jamais d'atteindre  une situation enviable.

Ainsi se terminait en Afrique une  singulière destinée. L'homme, à sa  mort, était oublié depuis treize ans déjà  sur sa terre natale. Quant à son souvenir, seuls de rares amateurs le conservaient en mémoire. Cependant celui-ci  devait à nouveau ressurgir, notamment  avec l'apparition du mouvement surréaliste. De grands noms ont entretenu  à son endroit une étrange dévotion:

Baudelaire, Flaubert, André Breton,  Tristan Tzara, Louis Aragon. Ainsi se  transmettra jusqu'à nous l'essentiel de  ce que fut la vie de cet artiste, tiraillé  entre ses idées idéalistes et leurs applications, souvent vouées à l'échec.

Odette Goinard

 

 

Bibliographie

 

• Charles Baudelaire, L'Art romantique:  réflexions sur quelques uns de mes contemporains, Petrus Borel.

 

• André Breton, Anthologie de  l'humour noir, Le Sagittaire, 1940.

 

• Jules Claretie, Petrus Borel, le  Lycanthrope, René Pincebourde, 1865.

·  Jean-Luc Steinmetz :

- Petrus Borel: un auteur provisoire,  Presses universitaires de Lille, 1986.  - Petrus Borel: vocation, poète maudit, Fayard, 2002.

 

·Gabriel Esquer, La vie algérienne  de Petrus Borel, le Lycanthrope, numéro spécial de la revue Simoun,  Oran, 1954.

 

• Enid Starkie, PetrusBorel en Algérie,  Oxford B. Blackwell, 1950.

Principales œuvres

·  Rhapsodies (poésies, 1832);

 ·Champavert, contes immoraux  (nouvelles, 1833);

·  Robinson Crusoë(traduction, 1833);

 ·L'Obélisque de Louqsor  (pamphlet, 1836);

• Madame Putiphar (roman, 1839),  réédition Phébus.

 

 

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