Guillaume

Bérard

 

premier consul de France au Maroc

médecin du sultan

Saorge 1540 --1550

Maroc 1597

 

Comment et pourquoi se retrouvait-on au Maroc, ou "à Marocq", comme on disait alors?

Le Maroc attirait des decins désireux de s'instruire en "langue arabique", et/ou de puiser lsource" la médecine arabe. On se souviendra que la médecine était un art très prichez les musulmans et qu'elle eut son heure de gloire avec Ibn Sina, Ibn Rocbd, etc. Par ailleurs ce sont les Arabes  qui, par leurs traductions, transmirent à l'Occident les œuvres des Grecs: Hippocrate, Galien, etc.  La possession de la langue pouvait donc ouvrir une porte au savoir antique.

On pouvait y être envoyé en mission, par le roi de France ou par la Chambre de commerce de Marseille,  par exemple. Quelques médecins ou apothicaires curieux visitèrent le Maroc en explorateurs, et nou ont laissé des récits ou des notes sur leurs voyages, sur ce qu'ils ont vu et retenu du pays, qui sont autant  de documents importants pour la connaissance des lieux et des mœurs de ce temps.

D'autres furent victimes des aléas des voyages de l'époque. Tel qui partait pour les Iles ou les Indes  occidentales (les Antilles) faisait naufrage sur les tes inhospitalières de Barbarie. Voyez comme  la te, de Tanger à l'embouchure du fleuve Sénégal, est dépourvue de havres. Songez à cette zone  particulrement dangereuse pour la navigation qu'était le rivage du fameux Banc d'Arguin. Ou  celui-ci, tout aussi malchanceux, victime des pirates de Salé, d'Alger ou même de Tripoli (eBarbarie) se retrouvait dans les geôles de Meknès ou de Marrakech.

Au XIXe siècle surtout, des médecins accompagnaient souvent les ambassades de France au Maroc  ou des missions scientifiques. Enfin, au XIXe siècle, il y en eut qui vinrent s'installer au Maroc essentiellement dans les ports ouverts au commerce, pour y faire tout simplement ... de la médecineBeaucoup de ces personnages ont joué un le politique important ou eurent une influence sur les  relations franco-marocaines. Il y eut aussi, semble-t-il, quelques charlatans se réclamant de lmédecine "occidentale". Certains ont exploité, sans vergogne, la crédulité des populations. D'autressans connaissances médicales ou empiriques, "médecins malgré eux", furent amenés à donner des  soins à leurs maîtres du moment ou à leurs compagnons de captivité.

Guillaume Bérard fut le premier consul de France au Maroc. Il a eu une destinée étonnante. Il est né à Saorge, en Terre-Neuve (c'est-à-dire dans le comté de Nice) à une date  non précisée, mais probablement entre 1540 et 1550. Il exerce d'abord la profession de  chirurgien-barbier à Nice puis va s'installer à Marseille qui était alors un port très actif en relation constante avec les Echelles du Levant, l'Empire Ottoman, le Maroc. .. L vue de tous ces vaisseaux donna-t-elle l'envie à G. Bérard de parcourir le monde Toujours est-il qu'on le retrouve, en 1574, à Constantinople.

A cette époque y arrive, venant d'Alger, Moulay Abd-El-Malek dont le frère, le sultan sa'adien Moulay Abdallah el Ghalib, est mort cette même année. Abd-el-Malek  vient demander au sultan de la Sublime Porte, Selim, son aide et son assistance pour  faire reconnaître ses droits au trône chérifien contre le fils du sultan défunt, son  neveu Mohammed el Moutouakil.

Abd-el-Malek contracte la peste à Constantinople et Guillaume Bérard, appelé à  son chevet, est assez heureux pour le guérir (peste bubonique(1) sans doute, qu'il incisa(2)). Le malade garde une grande reconnaissance à son sauveur et, devenu roi du  Maroc (à la fuite de son neveu au Portugal), se l'attache comme médecin personnel Guillaume Bérard se trouve donc au Maroc en 1576. L'année suivante, Moulay Abd el Malek(3) l'envoie à la cour de France porteur d'une lettre pour Henri III dan laquelle il lui demande de bien vouloir nommer son médecin consul de France au  Maroc. Sans doute y avait-il aussi d'autres raisons à cette mission mais nous n'en  savons rien.

Henri III accède au désir du sultan, et pour pouvoir nommer Bérard à cette fonction  lui octroie, le 22 mai 1577, des "lettres de naturalité" (décret de naturalisation) car natif du comté de Nice, il n'est pas français mais sujet du duc de Savoie. Il le signensuite comme consul de la nation française au Maroc, avec les mesmes honneurs, authorités, prérogatives, prévileiges, franchises, libertés, droits, profictz, reuenüz et esmollumensque  ceux exerçant à Tripoli ou Alexandrie.

Dans ses lettres de provisions, Henri III appelle Guillaume Bérard notre très cher ebien aimé soulignant ses qualités de loyauté, prud'homie, expérience et bonne intelligence mentionnant qu'il est nécessaires pour le bien de nos subjectztra/ficquants ès royaulmes de Marot  et de Fez ... qu'il y ait ès dictes parties un consul de ladictenation françoise créé et authorisé par nous pour avoir l'œil et intendance sur toutes les affaires qui peuvent concerner nostre service et nos dicts subjectz...

Guillaume Bérard est donc le premier consul-résident au Maroc; Aymon de Molon et Pierre de Piton, envoyés par François 1er n'ayant été que des ambassadeurs emission.

Pour rejoindre son poste, il s'embarque à Marseille, en février 1578, accompagné  d'un Marseillais de vingt-cinq ans, Vincent Le Blanc, curieux et aventureux(4). L navire qui les transporte est pris en chasse et capturé, dans le détroit de Gibraltar,  par les Espagnols de don Francisco de Vargas Manrique. Il est, avec ses compagnons,  emprisonné et condamné à la prison à vie, pour contrebande de matériel de guerrau profit du Maroc. (Rappelons qu'un rescrit papal interdit toute livraison de maté-  riel d'armement, de guerre ou naval, à des Etats musulmans.)

Sur intervention de l'ambassadeur de France auprès de dona Isabel, et/ou directement de Moulay AbdEl Malek auprès de Philippe II, celui-ci remet les Fraais en  liberté. Ils reprennent leur voyage, débarquent à Larache, rejoignent à Salé, le  14 juillet, la mhballa(5)chérifienne. Celle-ci est conduite par Abd El Malek, qui, dMarrakech, se porte au devant de don Sébastien de Portugal qui vient de débarquer  avec ses troupes sur les plages d'Azila, à mi-chemin entre Tanger et Larache. Le sultan voyage en mahaffé(6) car il ne peut plus se tenir à cheval, présentant déjà les premiers symptômes de la maladie (grave indigestion ou poison, ou peut-être plus simplement appendicite négligée), qui devait l'emporter trois semaines plus tard.

Avec un médecin juif, et un certain "captain Ailey"(7), Guillaume Bérard donne des  soins au monarque. Pourtant, le 4 août 1578, rassemblant toute son énergie, celui-ci fait preuve d'une grande volonté et se montre à cheval en grand costume guerrierle sabre en main pour galvaniser l'ardeur de ses troupes(8). Il succombe dans la journée sans avoir vu la victoire de son camp. Don Sébastien est tué au combat ainsi qul'ex-sultan (neveu de Moulay Abd el Malek) Mohammed el Moutouakil, d'où le nom  de "bataille des Trois Rois" que l'Histoire retint pour cette journée.

Proclamé sur le champ de bataille, le nouveau sultan, Moulay Ahmed(9) demande à  Bérard de l'accompagner à Fez pour assister à la cérémonie de la beyia(10).

L'année suivante, Moulay Ahmed el Mansour fait connaître son avènement au roi dFrance par Bérard, qui revient en 1580, porteur d'un message de félicitationd'Henri III et char d'une négociation sur la libre circulation des navires françai dans les ports du Maroc, de l'achat de quelque quatre mille tonnes de rosette (cuivrde première fonte), deux mille cinq cents de salpêtre, la libération des captifs français et l'attribution d'un prêt de cent cinquante mille écus au roi de France(11)".

Au Maroc donc, Bérard assure les fonctions officielles de consul. Il semble qu'il ait  joui d'un assez grand crédit à la cour chérifienne car il obtint la libération de plu-  sieurs équipages, mais en revanche on ignore les suites de ses négociations commerciales et financières.

En août 1583, les pirates capturent deux bateaux marseillais (capitaine Guillen Biglon et capitaine Philipon Napoulon) et les amènent à Larache, pour les vendre. Sur intervention de Bérard, l'ordre est donné par le sultan de libérer aussitôt les équipages.

Il se heurte à ses compatriotes commerçants qui refusent de reconnaître sa qualité ese font tirer l'oreille pour acquitter les droits et les redevances qui lui sont dus. Il  expose ces difficultés à Henri III disant qu'en l'absence de moyens de contrainte, ses  lettres de provisions resteront sans effet.

Cette même année, le 28 août, il écrit à Villeroy, de Marrakech, une lettre danlaquelle il dit qu'il voudrait bien revenir en France. Le sultan s'oppose à son départ,  voulant lui confier d'autres missions diplomatiques. A partir de cette date, il a certainement connu Balthazar Polo, agent espagnol, qui le cite dans sa correspondance.  Il semble bien que Bérard soit resté au Moghreb jusqu'en 1589, date à laquelle il est signalé par Bernardino de Mendoza, agent espagnol, comme arrivant à La cour de  France, à Blois, venant de Maroc.

Bérard est probablement mort au cours du premier trimestre 1597 car, en avril, iest mentionné cédé ces jours passés. Il fut un excellent agent de renseignement sur les  tractations entre le Maroc et les puissances européennes, surtout l'Espagne et  l'Angleterre qui s'y activaient beaucoup. Bien que non arabisant (au sens universitaire), et venu au Maroc un peu par hasard, Guillaume Bérard doit être considéré  comme le premier consul-sident de France au Maroc, chirurgien de son état. Spratique médicale a, sans aucun doute, facilité son introduction à la cour marocaine  et fait que les relations entre le Chérif et la France ont été, à cette époque, empreintes  d'une grande confiance. Cette même confiance que le sultan accordait à la médecin française fit qu'il exigea le remplacement de Bérard par un de ses confrères de même  origine.

 

Source: Maxime ROUSSELLE,
Médecins, chirurgiens et apothicaires
français au Maroc.

 

 

NOTES

 

1 La deuxième pandémie de peste s'était installée en Occident au XIVe siècle (pestnoire du milieu du XIVe siècle) et devait persister jusqu'au XVIIIe siècle.

2 Sans vouloir contester les mérites de notre chirurgien, il faut se rappeler que lpeste bubonique (habouha k'hira) guérit spontanément dans 10 à 40 % des cas, suivant les séries.

3 Il avait l'esprit moderne et des vues politiques très vastes; en exil, il avait déjà  pris des contacts avec le roi de France, Charles IX.

4 Vincent Le Blanc nous a laissé un récit de ses voyages. En bon Marseillais, il y a  introduit beaucoup de fantaisie. Voir: Sources inédites de l'histoire du Maroc, Ire rieFrance, III.

5 Armée marocaine en campagne.

6 Litière, palanquin.

7 Dont l'histoire n'a pas retenu le nom mais qui a laissé sous forme de lettre à son  frère un récit détaillé de la bataille des Trois Rois.

8 Montaigne le cite en exemple de volonté dans les Essais, ch. 21, "Contre la fainéantise" : Qlli véett oncqnes Ji longtemps et si avant en la mort. Qui monrut oncques si  debout ...

9 D'où son surnom de "El Mansour", c'est-à-dire le Victorieux. Tandis que son  neveu y gagnait celui de "El Meslouhi", c'est-à-dire l'Ecorché, son cadavre ayant  été vidé et rempli de paille pour être promené et exposé dans tout le royaume.

10 Beyia : rémonie d'allégeance, équivalant ici à celle du couronnement

11 Depuis des siècles, le Maroc drainait, par les caravanes transsahariennes, l'or du  Pays des Noirs (Tombouctou, Djen) et avait, auprès des cours européennes, lréputation d'être très riche. Le prêt ne fut vraisemblablement jamais accordé.

 

 

Bibliographie

 

ADHMISSE, M., Histoire de la médecine au Maroc.

CAILLÉ, Jacques, La Petite Histoire du Maroc.

CASTRIES, H. de, Agents et voyageurs français au Maroc.

CRUCHET, R., La Conquête pacifique du Maroc.

 

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