Emile

Dermenghem

 
 

Paris 1892

Samois 1971

 

 « Les chrétiens s'intéressant à l'Islam devraient tous connaître l'œuvre d'Emile Dermenghem. Nulle plus qu'elle, à l'heure où la hiérarchie incite au dialogue, n'est à même de leur faire comprendre l'âme musulmane maghrébine.» (Pierre Goinard)

Nous avons eu le privilège de connaître Émile Dermenghem à El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, où nos demeures n'étaient séparées que par quelques centaines de mètres, ainsi que de rendre visite en sa compagnie à une zaouia d'Oranie. Plus d'une fois, il déposa discrètement dans notre boîte aux lettres un texte qu'il venait de publier. Cet homme éminent, très réservé, presque timide, restait d'une extrême simplicité.

Né à Paris, élève de l'École des Chartes, licencié ès-lettres et archiviste paléographe, disciple du célèbre islamologue Louis Massignon, il avait abordé l'Afrique du Nord en 1925, comme correspondant de guerre pendant la campagne du Rif. Séduit par le Maghreb, entré en relations avec deux jeunes Marocains, le Dr Faraj et Si Mohammed el Fasi, qui vinrent achever leurs études à Paris (où Faraj logea chez sa mère), il perfectionna sa connaissance de la langue arabe et commença de s'intéresser aux écrits spirituels musulmans.

Après avoir été archiviste dans les Hautes-Alpes de 1931 à 1942, il recueillit la succession de l'historien Gabriel Esquer(1) comme archiviste­bibliothécaire du Gouvernement Général à Alger, devenant en 1960 conservateur en chef. Il complétait sa documentation par des voyages d'études à l'intérieur du pays, se mêlant à des populations encore peu étudiées.

Très informé de la mystique chrétienne, comme en témoignent ses ouvrages sur Joseph de Maistre en 1923 et sur Marie des Vallées en 1926, il avait étudié aussi L'Île d'utopie démocratique et sociale de saint Thomas More et ses émules de la Renaissance. Après avoir traduit, avec son ami El Fasi, des contes marocains, puis l'admirable poème spirituel de Ibn Fâridh, L'Éloge du vin, qu'il accompagna d'un remarquable essai sur la mystique musulmane, il publia une vie de Mahomet en 1945, enfin un recueil Les Plus Beaux Textes arabes. Le chapitre de la littérature arabe lui fut confié pour l'Encyclopédie de la littérature.

De plus en plus, il se consacrait à une investigation approfondie de l'Islam en Afrique du Nord, publiant successivement Le Culte des saints de l'Islam maghrébin chez l'éditeur Braconnier à Alger (qui a tant œuvré pour faire connaître l'Algérie et ses écrivains), Le Pays d'Abel où il décrivit magistralement les tribus nomades les plus purement arabes d'Algérie.

Par ailleurs, les Documents Algériens, publication périodique du Service d'Information du Gouvernement Général entre 1945 et 1954, ont grandement bénéficié de son concours et de ses nombreuses plaquettes; ils restent une mine de documents précis provenant des spécialistes les plus avertis, véritable encyclopédie des questions algériennes.

Émile Dermenghem ne s'est pas borné à décrire des mœurs et coutumes en ethnologue; il s'attachait à préciser la spiritualité traditionnelle sous-jacente de ce qu'il observait, avec sympathie et pénétration, rappelant ce que répétaient les maîtres jésuites de son collège: " catholique signifie universel ".

La tragédie algérienne fut pour lui particulièrement cruelle. Alors qu'il s'efforçait de rapprocher deux religions et deux peuples, de jeter des ponts entre leurs vies intérieures, il voyait avec angoisse les gens de la division élargir tenacement un fossé entre Européens et Indigènes. Le rêve de sa vie s'effritait sous les violences déchaînées par la rébellion. L'assaut du Gouvernement Général et le saccage partiel de sa bibliothèque achevèrent de le désemparer. C'est un homme profondément meurtri que nous aidâmes, en mai 1962, à quitter l'Algérie.

A Samois, dans sa villa des bords de Seine, sa fin de vie fut mélancolique, aggravée par une longue maladie sans issue et par les tristes conséquences de la guerre d'Algérie dont il fut, à sa manière, l'une des innombrables victimes.

Il reste de lui une œuvre considérable dont l'intérêt ne cessera de grandir. Des rééditions de plusieurs de ses livres ont vu le jour.

 

Pierre Goinard
Revue Itinéraires

 

1. Voir la biographie de Gabriel Esquer, dans Les Chiers d'Afrique du Nord N° 13.

2. Les Éditions d'aujourd'hui ont publié en reprographie La Vie de Mahomet, Les plus Beaux Textes arabes, La Vie des saints musulmans ainsi que Joseph de Maistre mystique.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

PARMI SES ŒUVRES

Joseph de Maistre mystique (La Connaissance, 1923; La Colombe 1946). (2)

La Vie admirable et les révélations de Marie des Vallées (Plon, 1926).

Thomas More et les utopistes de la Renaissance (Plon, 1927).

Contes fasis et nouveaux contes fasis, en collaboration avec Mohammed el Fasi (Rieder 1926 et 1928).

La Vie de Mahomet (Plon, 1929; Charlot 1950). (2)

L'Éloge du vin (Al Khamriya) d'Ibn al Fâridh, en collaboration avec A. Faraj, avec une étude sur le soufisme (Véga 1931). Réédité en 1980.

Vie des saints musulmans (Baconnier 1942 et 1956). (2)

Contes kabyles (Charlot 1945).

Les Plus Beaux Textes arabes (La Colombe 1951). (2)

Le Culte des saints dans l'Islam maghrébin (Gallimard 1954).

Mahomet et la tradition islamique (éditions du Seuil, 1re éd. 1955, 9e éd. 1974).

Le Pays d'Abel, le Sahara des Ouled-Nail, des Larbaa et des Amours (Gallimard 1960).

 

 

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