Paul

Bellat

 
 

Sidi-Bel-Abbès 1904

Bordeaux 2005

 

Vie édifiante s'il en fut, que celle de Paul Bellat.

Par une action sociale exemplaire dans son métier de colon, il sut mettre en pratique son idéal de rapprochement entre les communautés. Homme politique, il joua durant des années un rôle important au sein de l'Assemblée Algérienne. Homme de Lettres, il a par ses écrits, aussi nombreux que variés, contribué au prestige culturel de l'Algérie.

Il est difficile de parler de Paul Bellat sans évoquer ses ancêtres, famille de Lons-le-Saunier, qui fut la première à mettre le pied sur le sol marécageux de la plaine de la Mekerra (Oranie) en 1837. Répondant à l'invitation affichée dans toutes les mairies de France: « Paysans, artisans, allez dans les États barbaresques, dam ces pays aux grands espaces, vous pourrez faire une nouvelle France», son aïeul, Pierre Bellat, paysan aisé, partit avec sa femme pour ce lointain pays. Pénible voyage sur un bateau à roues, sans cabine, jusqu'à Oran, puis route scabreuse à dos de mulet jusqu'au lieu-dit Sidi-Bel-Abbès où la concession de trente hectares qui leur était allouée n'était qu'un vaste marécage qu'il fallait assécher. Travail titanesque avec l'aide de quatre ouvriers espagnols et qui fut couronné de succès.

À la brousse, succéda un sol fertile resté à l'abandon depuis le départ des Romains. Le premier vignoble d'Oranie fut créé.

Avec l'arrivée de la Légion, Sidi-bel­Abbès devint une belle ville aux larges avenues, aux parcs somptueux, qui devait faire l'admiration de Napoléon III lors de son voyage en Algérie en 1865. Pierre Bellat, maire adjoint de la ville et commandant de la milice, qui avait beaucoup contribué au développement de cette ville, reçut la croix de la Légion d'honneur des mains mêmes de l'empereur. Pierre eut un fils, Claude, lequel eut un fils, Lucien, qui fut durant trente ans à la tête de la municipalité. Il sut aussi faire fructifier son argent, ce qui lui permit d'acquérir un véritable empire de milliers d'hectares répartis sur des dizaines de propriétés.

Né en 1904 dans la propriété de famille, Paul, fils de Lucien, fit ses études à l'école de Sonis, créée par son père. Il fut reçu au baccalauréat ès Lettres avec la mention bien. Pour le récompenser son père lui offrit un voyage en métropole. Il fut piloté par Édouard Herriot, allié de sa famille, alors maire de Lyon et président de l'Assemblée Nationale, qui l'introduisit auprès des sommités politiques de l'époque. Demeuré en France, il fit ses études à l'Institut catholique d'Avranches. À dix-sept ans il reçoit le prix littéraire des écoles libres de France. Il passe sa licence ès Lettres, puis rentre en Algérie où son père lui donne la gestion d'une immense propriété de 1500 hectares appelée «le château du Rocher». Il épouse Lucienne, une amie d'enfance, qui sera la fidèle compagne de sa vie et sa collaboratrice dévouée, très attentive aux besoins des plus pauvres.

Dans ce vaste domaine, une centaine d'ouvriers travaillaient dans les vignes et les céréales. Un magnifique jardin à la française cultivé par trois Marocains faisait l'admiration des visiteurs. Paul avait le souci du bien-être de son personnel indigène. En quatre ans, il créa une ci té ouvrière pourvue de logements modernes et en 1947 une Caisse de retraite comme il n'en existait pas encore en métropole. Il payait lui-même les cotisations. Député d'Algérie à vingt-quatre ans, il devint membre de l'Assemblée algérienne au titre des Affaires sociales et du Paysannat indigène. Il prononça son discours d'intronisation en vers alexandrins qui eut un franc succès ...

Mobilisé en 1939, il fut envoyé en Tunisie à la frontière libyenne, en tant que commandant d'armes.

Très attaché à la Légion, il créa à Sidi­bel-Abbès la Maison de retraite du Légionnaire. Mécène généreux et délicat, connaissant l'art de faire le bien avec élégance, il était animateur et bienfaiteur de nombreuses œuvres charitables, notamment en faveur des aveugles pour lesquels il avait également fondé une maison.

Ces nombreuses activités politiques et sociales n'avaient pas empêché Paul Bellat de cultiver son goût pour les Belles Lettres. Il a écrit de nombreux romans et des pièces de théâtre. Plus de trente ouvrages sont sortis de sa plume de dramaturge et c'est pour couronner ce talent toujours égal et renouvelé que le grand prix du théâtre 1954 lui fut décerné par les " intellectuels français ". Le journalisme fut aussi sa grande passion. Ses articles publiés dans la Tribnne de Sidi-bel-Abbès, journal auquel il collabora durant trente ans, reflètent l'esprit d'une époque dans le contexte particulier de sa région.

Le château du Rocher, toujours accueillant, était devenu un véritable salon littéraire où se pressaient les visiteurs. Il reçut de nombreuses personnalités éminentes, écrivains et artistes:

Henri Bordeaux, Claude Farrère(1), Paul Mourousy, Joseph Kessel, Henri de Montherlant, André Gide, Raoul Follereau, Albert Camus ... Il nouera avec ce dernier une grande et fidèle amitié. Il recevait aussi et soignait de grands blessés de la guerre d'Indochine.

Il reçut de Jacques Chevalier, député-maire d'Alger et ministre de la guerre, le diplôme du Grand prix littéraire de l'Algérie.

En mars 1961, un an avant l'Indépendance, il reçut la visite du général De Gaulle venu visiter la Cité ouvrière. «Je compte sur vous. Pas de panique, continuez à investir, à planter de la vigne. Montrez que vous avez des racines dans ce pays ... ", lui avait dit le généra!. Ainsi encouragé, et malgré l'avis contraire de son épouse, il crut bon de suivre ce conseil, ce qu'il ne put, hélas, que regretter amèrement par la suite!

Il essaya de rester au Rocher, mais deux ans et demi après l'indépendance il dut, comme chacun, quitter l'Algérie en abandonnant tous ses biens.

Replié à Bordeaux, auprès de ses enfants, Pierre et Guy, sans relations, sans ressources, Bellat, si généreusement humain, connut des jours sombres. Il avait perdu son fils Claude mort tragiquement en Algérie. Mais un poète n'est jamais tout à fait abattu, le besoin d'écrire se fit sentir, impérieux, et il reprit son luth. Toujours idéaliste, il écrivit en faveur du rapprochement des hommes, des races, des classes sociales. Le journalisme était devenu son gagne-pain. Crayon en main, il glanait les échos de la vie bordelaise, ce qui lui permit de sortir de la claustration dans laquelle il s'enlisait. Sa femme, atteinte d'une longue maladie s'est éteinte en août 1994. Elle avait laissé un souvenir inoubliable auprès des populations de Sidi-bel­Abbès, au point que lors de son décès, des prières furent dites à sa mémoire à la mosquée, ce qui ne s'était jamais vu. Paul l'a suivie le 26 mars 2005. Il était commandeur de la Légion d'honneur.

 

Odette Goinard

 

 1 Voir la biographie de Claude Farrère, dans Les Cahiers d'Afrique du Nord, n° 16.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Bernard Renaud, Paul Bellat le colon humaniste. Documents, Les publications de la revue Prométhée. 1996.

Article dans Mémoire Plurielle n° 2, décembre 1994.

Article dans l'Algérianiste, n° 75 de septembre 1996, courtier des lecteurs p.95-96.

 

 

PARMI SES ŒUVRES

 

Celles-ci sont extrêmement nombreuses. Nous n'en citerons que quelques-unes, mais nous sommes à la disposition de ceux qui souhaiteraient compléter cette liste.

 

ROMANS:

Habib (roman franco-musulman), Un draille à Oran (roman policier), Manuela (roman d'amour et d'aventures), Le Chevalier Loys, Légionnaires, Les Yeux noirs

 

THÉÂTRE

Quatre pièces de jeunesse: La Chaîne, L'Obsédée, Le Mauvais Fils, Les Derniers Enfants

L'Hôtel du commerce, le Prince charmant, Iphigénie à Aulis (parodie)

 

ESSAIS

Les Foggara, Algeriana, La Croix et le Croissant, l'Islam, l'Évangile et le Coran, œuvres dans lesquelles il manifeste sa foi dans une entente franco-musulmane.

 

POÈMES

Paul Bellat était un poète. Il nous est impossible de citer ses œuvres poétiques tant elles sont nombreuses. Nous nous contenterons de reproduire ci-dessous un poème qu'il a déclamé à la mairie de Sidi­bel-Abbes, lors d'un bref séjour en Algérie, après l'indépendance, devant une assemblée d'Algériens visiblement émus:

J'ai revu mon pays, mon Algérie, ma mère
Celle qui sut bercer tous mes rêves d'enfant
Je lui dois
mes
espoirs et dans ma peine amère
Je lui rends tout mon cœur et deviens plus aimant !

Les temps n'ont rien changé, son ciel toujours limpide
Sa lumière dorée, la splendeur de ses nuits
Son soleil éclatant et
ses
cheveux rapides
Font aimer mon pays qu'on goûte comme un fruit

Ses plages et ses bois, ses jardins, ses montagnes
Font croire en sa puissance, en sa fécondité
Ses coquettes cités et ses riches campagnes
Prolongent le parfum d' un éternel été.

Mon pays est plus beau, plus riant que les autres
Son air est plus léger, durable est le bonheur.

Il est doux, accueillent, et c'est parce qu'il est nôtre
Qu'un sortilège étrange habite en notre cœur.

 

 

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