Michel-Louis

Pelegri

 
 

Manacor 1838

Algérie 1917

 

Pionnier de la première heure, Michel-louis Pelegri, par un travail acharné et un esprit audacieux, a su créer un immense domaine viti-vinicole en Algérie, donnant ainsi l'exemple d'une réussite bien méritée.

Michel-Louis Pelegri est né le 4 juillet 1838 à Manacor, petit village de l'île de Majorque. C'est le cadet de trois enfants. Son père, Cristobal, est un modeste cordonnier. L'hiver 1845­1846 a vu la ruine du vignoble majorquin, due au tigre-puceron des vignes. La masse des journaliers vivant de la vigne avait perdu son travail, alors que, dans le même temps, un nouveau système d'imposition mis en place avait renforcé l'impôt des couches sociales les plus défavorisées et pénalisé singulièrement les artisans. Devant l'appareil coercitif mis en place par l'administration, beaucoup de familles décidèrent de fuir leur pays pour aller dans les possessions françaises d'Afrique.

C'est ainsi que Cristobal, sa femme Martina et leurs enfants débarquent en Algérie en 1846. Ils ne migrent pas en territoire totalement inconnu. Déjà, en effet, ils étaient précédés par leurs compatriotes mahonnais (entendons sous ce terme générique l'ensemble des Minorquins) installés dans le Sahel d'Alger et dans la Mitidja. La famille se fixe à Draria, l'un des cinq centres autour d'Alger comptant, en 1846, une population hispano-mahonnaise supérieure à 50 % de la population européenne. Cristobal loue une concession de quelques hectares qu'il défriche.

Âgé de huit ans, le jeune Michel-Louis est employé comme bouvier dans une propriété voisine et assure ce travail jusqu'à l'âge de treize ans. Son père meurt le 21 octobre 1850. La location de la concession sera reprise par l'homme que sa mère épousera en secondes noces. À ses côtés, dans les années qui suivent, il s'engage dans les travaux des champs. Ensemble, ils louent une concession de 24 hectares. Aidé de son frère aîné, Christophe-Jacques(1), il défriche, plante trois hectares de vigne et fait du fourrage. Au bout de six années de labeur, il peut racheter la concession (selon le système de la rente) et réaliser un bénéfice de 3.500 francs, en grande partie dû au fourrage. Quelques années plus tard, Michel­Louis loue une propriété, la ferme Neulinger et une partie du très grand Haouch Ben Dali Bey qu'il faut remettre en état. Les terribles années de sécheresses des années 1866 et 1867 ne l'épargnent pas, mais, une fois encore, le fourrage le sauve.

Dans le monde des colons «Français et honorables agriculteurs», comme l'on disait à l'époque, Michel-Louis est particulièrement apprécié. Cependant l'intégration dans ce milieu relativement fermé n'est pas chose aisée. Le Majorquin­Espagnol la réussira, par amour sans doute, en épousant le 10 novembre 1866 Françoise-Eugénie Collot, alors âgée de dix-neuf ans, née à Belleville dans le département de la Seine et fille d'un colon agriculteur des alentours d'Alger.

En 1868, Michel-Louis, alors âgé de trente ans, se lance dans un pari un peu fou pour l'époque: il loue par un bail de neuf ans la totalité de la propriété Ben Dali Bey (1200 ha) s'engageant sur un fermage annuel de 15.000 francs. Plein de courage, il engage une équipe hispano­mahonnaise dirigée par un contremaître, et tous se mettent au travail. On termine les défrichements, on nivelle, on assainit, on plante. À la fin du bail, le bénéfice engrangé s'élève à près de 600.000 francs! Entre-temps, il sera l'un des lauréats du concours agricole de Blida de 1874 et de celui d'Alger en 1876.

C'est le tournant pour l'homme.

Auréolé de sa réussite, il se retire dans la propriété de monsieur Trollier, La Fontaine bleue, qu'il dirige. Sa stratégie évolue de plus en plus vers des achats de terre et vers la culture de la vigne. Il se rend acquéreur de terres à Sidi Moussa, Rovigo, Saint-Pierre-Saint-Paul, Maison­Blanche. Il devient l'unique propriétaire du domaine Ben Ouarlous (400 ha) par voie de licitation.

Au début des années 1880, il achète le domaine Guelabou (300 ha), moyennant 226.000 francs. Il y trouve 22 hectares de vigne qu'il arrache et remplace par d'autres plants. Rien ne semble arrêter Pelegri dans sa volonté de construire, comme par revanche pour son père chassé de Majorque, un grand domaine vitivinicole. Chaque année, il augmente les surfaces destinées à la vigne. En dix ans, ce sont plus de 800 hectares de vigne qui assurent la richesse de la famille Pelegri. Enfin l'homme est volontiers modernisateur et sera le premier en Algérie à pourvoir son domaine de Sidi-Moussa de « caves économiques à cuves carrées ». En 1894 et 1896, ses vins obtiendront des médailles d'or et d'argent lors de concours nationaux.

Sa stratégie politique s'oriente vers une totale intégration et assimilation au système colonial métropolitain. Pour Pelegri, cela passe obligatoirement par une naturalisation, accordée de fait par la loi dite de « naturalisation automatique » de 1889. Il devient dès lors maire de Sidi-Moussa en 1892, membre de la Société des agriculteurs d'Algérie et sera fait chevalier du Mérite agricole le 16 juillet 1892, puis officier le 9 février 1902.

Michel-Louis était fier de compter parmi ses amis M. Waldeck-Rousseau, qui fut Président du Conseil de 1899 à 1902. Autre élément d'intégration : ses quatre filles (il a eu onze enfants) sont unies à des Français, propriétaires de grandes concessions: M. Germain à Rovigo, M. Manent à Rivet, M. Buhot à Sidi-Moussa et M. Samson au Fondouk. Le fils aîné, Michel, assure la succession et le second Gustave(2) sera ingénieur

agronome et dirigera la Société des domaines de Sidi-Salem. Est-il besoin de rappeler que l'écrivain Jean Pelegri est un des petits-fils de Michel-Louis!

En cette fin de siècle, Michel-Louis Pelegri aurait pu s'arrêter là et contempler les années parcourues. Après tout, les grandes compagnies capitalistes mises à part, seul le Maltais Charles Debonno avait construit un empire plus important que le sien en Algérie. Mais lorsque celui-ci est ruiné en 1902, Pelegri, alors âgé de soixante-quatre ans, se porte acquéreur du domaine de Boukandoura (850 ha) pour une somme de 520.000 francs, domaine qui, en son temps, avait été propriété de Napoléon III. Pelegri était devenu le roi de la vigne en Algérie. À la veille de la première guerre mondiale, son seul vignoble dépassait les 1 200 hectares.

Le 20 novembre 1917, Michel-Louis, âgé de 79 ans, se brûle grièvement en manipulant une nourrice d'essence et décède quatre jours plus tard. Destin tragique pour cet homme qui avait bâti le plus grand domaine vinicole d'Algérie.

Jean-Jacques Jordi

 

 

1 Christophe-Jacques fera souche en Oranie après un passage au Maroc. Il décédera en 1906, laissant à son fils Christophe plusieurs propriétés. Celui-ci sera agriculteur, industriel et maire de Nemours en 1947.

2 Voir un article sur Gustave Pelegri dans la revue L'AIgérianiste N° 45.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Isnard Hildeberr La Vigne en Algérie, étude géographique, Orphys, Gap, 2 tomes (1951­1954) er A.N.O.M. Aix-en-Provence.

Archives de la Chambre de Commerce de Palma de Majorque.

M. Angelini Le Livre d'or des colons algériens Alger 1903, A.N.O.M. Aix-en-Provence et correspondance avec Jean Pelegri.

Paul Birebent Hommes, vignes et vins de l'Algérie française (1830-1862) Éditions Jacques Gandini, 2007.

 

NOTA

L'auteur de l'article a conservé la graphie « Pelegri » sans accent, retrouvée dans les actes consultés et qui correspond à la graphie espagnole. Par la suite, deux accents aigus se poseront sur les voyelles e.

 

 

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