Nicolas

Décaillet

 
 

Salvan-en-Valais (Suisse).

1832 Rouïba.1912

 

Nicolas Décaillet est le prototype des pionniers qui, par son intelligence, son labeur de tous les instants et son énergie indomptable ont contribué au développement de l'Algérie à ses débuts.

Né en 1832 dans le Valais, Nicolas est le descendant d'une famille protestante que la révocation de l'Edit de Nantes a lancée sur le chemin de l'exil. Mais, en Suisse, dans cette région de la Confédération Helvétique, la famille Décaillet s'est convertie au catholicisme et l'adolescent songe même à revêtir la soutane après avoir fait retraite dans un séminaire. Cependant, il renonce à son projet et devient instituteur ou, comme on dit en Suisse " régent breveté ". L'enseignement sévère des séminaristes l'y a aidé. Quittant la Suisse pour l'Italie, Nicolas reçoit la bénédiction paternelle, accompagnée de cette recommandation " j'ai fait le même chemin que toi, mais à pieds, mais pas un pas n'a été entrepris sans une prière ".

Voilà notre jeune instituteur, à 18 ans, sur la route des Alpes, couverte de neige. A Turin, en 1850, il trouve une place de maître d'école de langue française. Presque aussitôt, il devient précepteur des enfants du Duc d'Aoste. Mais le risorgimento(1) bouleverse son existence. Alors, il tourne ses regards vers ce nouveau pays que la France est en train d'organiser : l'Algérie.

Muni d'une lettre de recommandation, il est reçu en 1852 par M. Isnardi, pharmacien algérois et ami de la famille. Il lui faut passer le brevet français. Il réussit et seconde M. Simon, directeur d'un établissement privé de la rue Sainte. Le vieux monsieur, confiant dans les qualités du jeune instituteur, lui propose d'acheter son école. Nicolas accepte et, à crédit, devient directeur de l'établissement qui reçoit des internes et des externes de toutes confessions.

En 1854, Nicolas épouse la fille de Barthélémy Mélia, Françoise, née en 1836, à Alger, d'origine mahonnaise. Celui-ci avait acheté quelques arpents de terre du côté de Rouïba (la petite forêt). C'est alors un pays perdu, inculte, couvert de palmiers nains, de lentisques, de genêts épineux et de marécages. La ferme est un ancien caravansérail que les militaires avaient aménagé en poste. Elle devient café-restaurant, puis propriété agricole. Bien que n'ayant aucune expérience de l'agriculture, Nicolas se lance dans l'exploitation de cette ferme. Il s'y penche avec le même sérieux avec lequel il a instruit des générations d'enfants algérois.

La famille Décaillet s'agrandit. Il y aura 14 enfants. Les premières années ne sont pas roses. On se débat entre la broussaille, les hyènes qui hantent la cour de la ferme chaque nuit et les fellahs du voisinage qui "empruntent " les pâturages pour leur bétail ou font main basse sur les bêtes enfermées dans l'étable.

Le nombre de ses enfants contraint Nicolas à mener tout son monde à la baguette. Il n'est pas possible d'avoir un instituteur à Rouïba, aussi les instruira-t-il lui-même. Le soir, dès 21 heures, tout le monde est au lit, après avoir fait sa prière. Le père bénit ses enfants en baignant ses deux doigts dans un pot à eau pour les en asperger. Nicolas a abjuré le catholicisme pour embrasser la foi protestante, rejoignant ainsi la voie spirituelle de ses ancêtres.

La vie à la ferme s'organise tant bien que mal. Certaines parties du domaine ont été défrichées. On sème avec joie. Les premiers résultats sont satisfaisants. Sélection de graines, essais, comparaisons, recherches, se succèdent avec succès. Le blé dur de la ferme Décaillet prime bien vite sur les marchés de l'époque. Les semences sélectionnées seront ensuite à la disposition de tous.

Le « roumi » de Rouïba joue, à l'occasion le rôle de médecin. Il prépare, par litres entiers, un collyre, à chaque automne, servant à soigner les maux d'yeux qui font des ravages chez les musulmans des environs. On défile à la ferme toute la journée. Le « toubib » est aimé, estimé. A l'Aïd-el-kébir, plats de couscous et de viande arrivent en abondance.

De 1865 à 1880, le chef de famille est également le boulanger. On fait un " pain mahonnais " à la mie compacte, ce qui, à l'occasion, permet d'apprécier le bon pain blanc venu d'Alger.

On achète un troupeau de moutons, puis une vingtaine de porcs. La culture du tabac, 10 à 12 hectares, fait son apparition sur le domaine. Les routes empierrées sont poussiéreuses, défoncées, ce qui rend les déplacements périlleux. Entre 1874 et 1876, l'inauguration de la ligne de chemin de fer permet de gagner Alger un peu plus rapidement et sans danger.

En 1880, Nicolas Décaillet va voir se réaliser un vieux projet qu'il caresse depuis fort longtemps : l'aménagement d'une école pratique d'agriculture et de viticulture installée par l'Etat sur son domaine. Cette école est la première en Algérie. L'ancien pédagogue est tout désigné pour en assurer la direction. Une commission d'étude vient visiter la ferme. Le Ministère de l'Agriculture donne son accord et apporte son aide financière. L'école reçoit ses 20 premiers élèves en février 1882. Nicolas abandonne alors un projet de 60 hectares de vigne pour se consacrer à sa nouvelle tâche.

L'école voit sa renommée dépasser rapidement les limites restreintes de sa région et les trois départements algériens, ainsi que la métropole et même l'étranger, lui envoient nombre de jeunes gens qui viennent apprendre les méthodes culturales de l'Algérie.

Nicolas Décaillet est secondé par des collaborateurs dévoués. Le " Livre d'Or " du département d'Alger cite les noms de Borgeaud, Trabut, Deloncle, Barbier, Lépiney, Guérineau, Foussat, Légault.

Le contrat passé entre Nicolas et l'Etat arrive à expiration. Le domaine se prête mal aux transformations qu'exige l'établissement d'une école d'enseignement supérieur. En 1905, l'école de Rouïba ferme ses portes et fait place à l'Institut Agricole de Maison-Carrée qui deviendra par la suite l'Ecole Nationale d'Agriculture. Nicolas retourne à son exploitation. En 1906, il fait donation de sa propriété à huit de ses enfants. La Société Décaillet est fondée. De nombreux petits-enfants ont pris la suite. Ils sont devenus : assureurs, ingénieurs, agriculteurs, sportifs du monde automobile. Tous ont vénéré le souvenir de l'aïeul dont l'existence a été vouée à un labeur acharné. Son exemple avait préparé la voie aux générations futures.

 

O.G.
D'après les documents fournis par son arrière petit-fils,
Philippe Escande, notamment une enquête pratiquée par
Jean Bisgambiglia sous la rubrique
les grandes familles qui en cent ans
ont fait la France africaine
(Dépêche Quotidienne d'Alger
du 19 janvier 1960).

 

 

1 Risorgimento: terme italien qui signifie "Renaissance" et par extension "Résurrection" employé au xrxe siècle pour désigner le mouvement idéologique et politique instauré par Cavour, qui contribua à unifier et à démocratiser l'Italie en la débarrassant des régimes étrangers et despotiques.

 

 

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