Louis Albert Truphémus

 
 

Rémoulins (Gard), 1873

Pointe-Pescade (Alger), 1948

 

Sans être véritablement hostile à la colonisation, Albert Truphémus en avait décelé les imperfections et souhaité une union fraternelle entre les différentes communautés.

Albert Truphémus naquit à Rémoulins (Gard) le 17 septembre 1873. Son père était maçon; il travaillait sur des voies ferrées dans le Midi, parcourant ainsi la région du Languedoc. Le jeune Albert se mêla donc très jeune à la vie des chantiers ainsi qu'à la vie simple de la campagne.

Après sa sortie de l'Ecole Normale Primaire Supérieure de Saint-Coud et deux années dans les universités de Leipzig et de Graz, il fut professeur des écoles normales de Mâcon, Orléans et Avignon, puis inspecteur de l'enseignement primaire à Brassac.

En 1909, il obtint sa mutation pour Constantine comme inspecteur de l'enseignement indigène, et ce fut le déclic qui allait bouleverser sa vie. Aux paysages verts et mesurés du Tarn succédaient les immensités ocre-rouge. A une société archaïsante où l'on s'acharnait. entre rouges et blancs, calotins et laïcs, se substituaient les problèmes de coexistence de deux civilisations.

Le poète parnassien qu'Albert Truphemus croyait être céda la place à un observateur lucide quoique passionné de ce monde nouveau qui l'entourait et dans lequel il s'identifiait mal. Cela nous valut cinq romans ou récits, tous différents, car l'auteur n'aime pas se répéter ou exploiter un filon tel un chercheur d'or.

Dans L 'Hôtel du Sersou, le premier et le plus connu de ses romans, c'est la vie d'un centre de colonisation qui est évoquée au quotidien, avec ses zizanies, ses petits conflits et ses grandes amours. Cette parution, l'année où l'on célébrait le centenaire de la prise d'Alger, fut controversée. Les Khouan du Lion Noir sortirent en 1931; l'auteur y relate la vie d'un petit cireur de Biskra sans famille, exploité durement par le gang des mendiants professionnels qui habille parfois sous des formules coraniques son exploitation du plus naïf ou du moins nanti.

L'arrière-cour de la Paisible ouvrage paru à compte d'auteur en 1932 est qualifié d'esquisse de vie simple. Il y sera plus question de son chien Kiss, de sa (seconde) femme, de son poulailler que des grands problèmes de la colonie ou du monde. La scène se place à Blida, mais c'est presque un détail.

L'histoire prodigieuse de Master Cork screw milliardaire américain est une fantaisie en trois courts volume parue chez Soubiron en 1933.

En 1935 parut Ferhat, instituteur, sans doute le plus important des ouvrages de Truphémus. C'est le drame vrai d'un jeune indigène (comme on disait alors) qui, grâce à son intelligence, sa volonté et son amour pour la famille d'instituteurs français qui l'a pris en amitié, parvient à devenir à son tour instituteur; il ne se sent plus en communion de pensée avec sa famille et souhaite ardemment l'amour de la fille de ses bienfaiteurs ; mais celle-ci lui préférera l'archétype du petit blanc et Ferhat mourra et de ce refus et surtout de n'avoir pu trouver place dans une communauté multiraciale.

Albert Truphémus dont la carrière administrative avait pris fin en 1925 comme inspecteur de l'enseignement à Blida s'était retiré à la Pointe Pescade dans une villa dominant la falaise à côté du restaurant de " La Réserve " et il se consacrait enfin à plein à l'écriture mais aussi à la politique et au journalisme.

Albert Truphémus et sa seconde femme, Jeanne Coulon, furent des militants actifs et des responsables du socialisme en Algérie. Il fut rédacteur en chef de Demain, organe officiel des fédérations socialistes S.F.I.O. en Algérie de 1924 à 1929, mais il écrivit aussi fréquemment dans Le travailleur, dans Alger socialiste, dans La voix des humbles, comme il avait, auparavant, collaboré au Rappel de Vauduse.

Posant des candidatures de principe aux élections législatives en 1928 et 1931, son rôle fut surtout d'animation des sections locales et d'organisation de débats contradictoires où ses talents d'orateur faisaient merveille. Déçu du " Front populaire " il cessa peu après toute activité politique militante.

On ne saurait évoquer Albert Truphémus sans parler de son appartenance aux loges maçonniques d'Algérie. Il avait été initié le 29 avrïl1906 à la loge " La Sincère Union " à l 'Orient d'Avignon, loge rattachée au Grand Orient, mais il poursuivit son cheminement vers la Lumière dans des loges dépendant, cette fois, de la Grande Loge de France: " Les Hospitaliers de Constantine ", de rite écossais, puis " l'Evolution mutuelle " à l'Orient d'Alger où il recherchait une société parfaite dans un monde idéal ; ses talents firent beaucoup notamment auprès des membres indigènes de la loge et son appartenance maçonnique apparaît en filigrane dans ses écrits.

Sa position sur les problèmes coloniaux mérite d'être signalée car elle fut assez particulière et difficilement classable; il voyait essentiellement les défauts du colon enrichi du labeur passé et vivant un matérialisme terre-à-terre, comme il supportait mal la crasse du petit blanc ou le caractère voleur et impénétrable de l'indigène en qui il décelait une présence menaçante dans le bled. Mais il voulait croire à une " collaboration fraternelle " augmentant " le mieux être des uns et des autres " ; s'il condamnait le principe colonial au regard de ses convictions, il estimait que " les conséquences d'une évacuation seraient, pour les Indigènes eux mêmes, plus détestables que le maintien de notre autorité illicite " donc: " résignons­nous à garder notre empire colonial " mais prenons l'engagement " de nous faire agréer par les Indigènes à force de bienfaits et de sollicitude pour leur mieux-être global (intellectuel, économique, politique et moral) ".

Même ses amis n'étaient pas prêts à entendre ce message et Albert Truphémus mourut, bien oublié de tous, à la Pointe Pescade, le 27 février 1948. Comme l'a fort bien écrit Agnès Tartié : " Attaché aux valeurs républicaines et humanistes qui lui furent transmises par l'école et sa famille, Truphémus fut très tôt blessé de voir que ces valeurs n'étaient pas respectées. Cette blessure fut la source d'un combat à la fois individuel et collectif. L'originalité qui caractérise ce combat paraît, plutôt qu'un but, la conséquence d'une horreur de la platitude et des idées toutes faites, et l'expression d'un amour de la liberté qui ne souffre aucune concession ".

 

Georges Pons
petit-fils d'Albert Truphemus

 

 

Parmi ses œuvres :

* L 'Hôtel du Sersou; roman du Sud Algérois. Alger Soubiron 1930 in 8° - 351p.

* Les Khouan du Lion Noir, scènes de la vie à. Biskra. Alger. Soubiron 1931 - in 8° ­243p.

* L'arrière-cour de la Paisible, esquisse de vie simple. Alger. A compte d'auteur 1932 - in 8° 325p.

* L'histoire prodigieuse de Master Corkscrew milliardaire américain, trois livres gais pour les jeunes de tout âge et des deux sexes. Alger, Soubiron 1933 - 3 vol. in 8°: " Les trois accidents de Master Corkscrew " 124p.

* L'original Christmas de Master Corkscrew, 189 p. - Les îles Scalpelloïdes 222 p.

* Ferhat, instituteur indigène, Alger, à compte d'auteur 1935, in 8°, 236p.

 

 

Bibliographie :

 

* Agnès Tartié : Albert Truphénus (1873 - 1948) - biographie ; mémoire de maîtrise d'histoire - Université Paris IV, juin 1989 ­171 p. dactylographiées. ( L'ouvrage de référence sur le sujet).

 

* Christiane Achour:

- Abécédaire en devenir. Idéologie coloniale et langue française en Algérie. Alger Enal, 1985,607 p.

- Truphénus Albert . Parcours, l'Algérie, les hommes et l'Histoire; décembre 1986 ­pp.119-122 (en collaboration avec Jean Déjeux)

* Jean Paul Angelelli: Quatre romans sur l'Algérie de 1930. L 'Algérianiste N° 34 juin 1986), pp. 49-53, N° 35 (septembre 1986), pp. 61-67 et N° 36.

* Camille Bégué (dir.) Méditerranée nouvelle. Tunis - La Kahéna, 1937 - 278p.

 

* Jean Déjeux:

- La littérature algérienne contemporaine. Paris. P.U.F. collection que sais-je ? N° 1604, 1975. 128p.

- Albert Truphémus (1873-1948) in: Hommes et destins, tome VII, 1986, pp.464-466.

* Laurent Ropa : Pour les écrivains algériens - Afrique mars 1933, pp.4-5.

* Yvonne Turin: Littérature engagée et anticolonialisme européen dans l'Algérie du Centenaire: le cas singulier d'Albert Truphémus, Revue d'Histoire moderne et contemporaine tome XXIII, 1976 pp. 606-624.

* Anne-Marie Briat, Jeanine de la Hogue, André Appel, Marc Baroli : Hommes et destins. Ed. Harriet, 1995 (P 267).

* Jeanine de la hogue, Simone Nerbonne : Mémoire écrite de l'Algérie Les hommes, les œuvres. Ed. Maisoneuve et Larose.

 

 

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