Paul

Marty

 
 

Boufarik. 1882

Tunis. 1938

 

Toute la vie de Paul Marty, mue par un idéal supérieur, a été vouée à l'action. Il a compris l'Islam et l'a aimé, ainsi sut-il obtenir la confiance de tous ceux qui l'approchaient.

Lyautey disait de lui : "esprit cultivé. profond observateur de l'Islam. capable des missions les plus délicates".

Né le 6 juillet 1882 à Boufarik (Algérie), Paul Marty était, par son père, originaire d'une famille paysanne du Lot et, par sa mère, des Basses-Alpes. De cette ascendance paysanne, il avait hérité la simplicité de vie, une ténacité patiente et l'amour du travail. D'abord élève de l'école primaire de Castiglione (Alger), il poursuivit des études secondaires au Petit Séminaire de Saint-Eugène (Alger). Cette éducation chrétienne qui était dans la ligne et la tradition familiale, eut sans doute une influence décisive sur ses convictions religieuses. Il fut toujours un catholique fervent. Puis il fit des études de Droit à Alger.

 Il eut très tôt une inclination particulière pour l'étude de la langue arabe. Il s'engage au 1er régiment de Zouaves le 9 novembre 1901, passe le concours d'interprète militaire stagiaire dans le Sud Tunisien, où il restera cinq années. Durant cette période, non seulement il accomplit les devoirs de sa fonction, mais il complète ses études en préparant sa licence ès-lettres. Il trouve encore le temps de composer un vocabulaire du dialecte arabe du Sud Tunisien et surtout de recueillir patiemment auprès des poètes et troubadours du bled, les ghenaïas, les chants populaires, manifestation du folklore régional, du plus grand intérêt pour la connaissance des mœurs et coutumes des indigènes. Les ghenaïas racontent les faits guerriers de la tribu , et surtout les tourments de l'amour, qui sont dépeints sous toutes les formes. Il faut savoir gré à Paul Marty d'avoir recueilli le premier la production des poètes populaires tunisiens et d'avoir apporté une contribution sensible à la connaissance du folklore local.

En décembre 1907 Marty quitte le Sud­Tunisien, dont le séjour qu'il y fit, compta durablement dans son existence. Interprète au Conseil de guerre de Tunis, il est désigné en mars 1908 pour faire partie du corps du débarquement de Casablanca, l'intervention française ayant été jugée nécessaire pour opérer la pacification du Maroc, alors livré à l'anarchie intérieure.

De janvier à juillet 1909, Paul Marty occupe le poste d'officier, interprète personnel du général Moinier. De juin 1909 à novembre 1911, il est à Oujda en qualité d'adjoint civil au Commissaire du Gouvernement français, président du tribunal consulaire et contrôleur des juridictions marocaines. C'est là qu'il rencontrera celle qui devint son épouse et avec laquelle il fonda un foyer uni. Après Oujda, il est nommé à Taourirt, au Bureau des Affaires indigènes, puis au Conseil de Guerre d'Oran. En octobre 1912, il part pour Dakar, comme directeur des Affaires musulmanes au Gouvernement Général de l'Afrique Occidentale Française. Durant ses huit années de séjour, il parcourt l'Afrique.

De ses randonnées administratives, il rapporta des matériaux de premier ordre, au moyen desquels il composa ses Etudes sur l'Islam Noir, qui font autorité.

On retrouve Paul Marty au Maroc en juin 1921, où il est nommé à la Direction des Affaires indigènes à Rabat. Il est chargé de l'enseignement supérieur musulman. On lui confie en même temps à titre personnel, le secrétariat du Conseil de politique indigène. Il entre de plain pied dans les arcanes de la nouvelle politique musulmane marocaine instaurée par Lyautey, qui lui témoigna la plus vive estime. En septembre 1921, nommé directeur du collège musulman de Fez et conseiller de l'université Karaouine, il sut être à la hauteur de cette tâche nouvelle à laquelle il était préparé par sa connaissance de l'âme musulmane. " L'enseignement secondaire destiné aux musulmans, écrit-il dans la monographie du collège qu'il dirige, doit préparer les jeunes Marocains à recevoir une culture générale qui, sans les détourner de leurs traditions, les rend aptes à s'intéresser à toutes les manifestations de la vie moderne. " Il aboutissait à cette formule fondamentale : culture musulmane et instruction française.

La mission pédagogique de Paul Marty prit fin en mars 1925. A cette date, il est nommé chef de la section d'Etat à la Direction des Affaires Chérifiennes, Une tâche délicate lui incombait : mettre au point une série de problèmes touchant, d'une part, à la structure culturelle arabo­musulmane qui est à la base du Makhzen, et d'autre part, à la vie sociale des Berbères marocains, qui forment la plupart des tribus montagnardes. Nul plus que lui n'était respectueux de la culture islamique, mais il était aussi de ceux qui ont une vue exacte des possibilités de pénétration de l'Islam en Berbérie marocaine, restée elle-même, par ses traditions ancestrales, ayant conservé sa langue et son armature sociale malgré plus de mille ans de tentatives d'islamisation.

Il exprima le fond de sa pensée dans une étude sur la " politique berbère du Protectorat ", parue dans l'Afrique française de juillet 1924 : " nous voici aujourd'hui à pied d'œuvre, écrit-il dans sa conclusion, en face de ces Berbères que les progrès de la pacification amènent dans notre orbite. C'est à nous d'éveiller leur intelligence et à faire vibrer leur cœur. C'est notre devoir et c'est la justification de notre occupation. Nous savons par l'expérience algérienne que notre action bienfaisante ne s'accompagne d'aucune décadence, ni pour leur civilisation, ni pour leur langue ... ce n'est pas sans émotion que revenus sur cette terre africaine, nous apportons à nouveau, après quinze siècles d'absence à la population berbère qui a donné Tertullien, Apulée, Saint-Augustin et combien d'autres, les fortes, ordonnées et claires disciplines de la civilisation latine ... " Il suffisait d'ailleurs de lire le préambule du dahir du 16 mai 1930 pour se rendre compte que ces dispositions ne faisaient que continuer la politique berbère inaugurée par Lyautey. Ce dahir rencontra cependant dès sa parution une hostilité immédiate, tant au Maroc qu'en Tunisie et jusqu'en Egypte et en Inde. On accusa Marty de favoriser un vaste plan d'évangélisation des Berbères. Aux attaques des calomnies, Marty opposa le silence. En août 1930, il dut quitter Rabat et fut muté à Tunis en tant qu'officier interprète à l'Administration centrale de l'armée tunisienne, poste qui ne correspondait pas à la haute situation qu'il occupait au Maroc. Ainsi dut-il quitter ce Maroc qu'il aimait et qu'il avait servi passionnément.

Le voilà revenu dans la Régence où il avait commencé sa carrière militaire et amorcé ses travaux d'orientaliste. Il retrouva d'ailleurs à Tunis une ambiance musulmane à laquelle, plus qu'aucun autre, il était sensible.

Il se remit au travail et put traiter à la fois de questions d'histoire et de folklore, se livrer à des études d'ensemble sur les origines de l'Islam et sur les courants politiques qui traversaient le monde musulman. Ces travaux sont énumérés dans la bibliographie en annexe. Le travail au cours duquel il donna la parfaite mesure de ses connaissances d'orientaliste et d'islamologue, fut le cycle de conférences qu'il donna en 1936 et 1937, aux officiers des Affaires indigènes et officiers interprètes de Tunisie sur les origines religieuses de l'Islam. En octobre 1935, Paul Marty, qui avait reçu son- cinquième galon, était appelé à l'Etat-major du général Hanote, commandant supérieur des troupes de Tunisie, qui lui confia le soin d'organiser une filiale des Amitiés Africaines, (Dar-el-Askn), fondée par le maréchal Franchet d'Espérey pour donner aux anciens soldats musulmans " l'aide matérielle et morale qui leur est bien souvent nécessaire " . " A cette œuvre encore trop peu connue, déclara le général Hanote, lors de l'inauguration du Dar-el-Askri, le 28 juillet 1938, le colonel Marty consacra toutes les ressources de sa belle intelligence et de son cœur ".

A son actif d'orientaliste et d'ami de l'Islam, il faut mettre la sympathie agissante dont il entourait l'Institut des Belles-Lettres Arabes de Tunis, vers lequel il aimait à aiguiller les bonnes volontés susceptibles de collaborer à l'œuvre d'entente franco-musulmane poursuivie par les dirigeants de cet Institut dans le domaine spirituel et social.

Paul Marty fut un grand travailleur sa vie durant, ne s'accordant guère de repos, quel que fut le climat où il se trouvait à raison de ses fonctions administratives. Qu'il eut le travail assez facile (il rédigeait vite, couvrant d'une écriture rapide, aux caractères à peine formés, tous les papiers qui lui tombaient sous la main) , cela n'empêche pas que son esprit était toujours sous tension, entraînant une dépense nerveuse hors de proportion avec sa résistance physique. Cet excès de travail eut certainement des conséquences fâcheuses pour sa santé, qu'il négligeait malgré l'avis de ses proches. Terrassé par une grave maladie, il mourut le 11 mars 1938 à l'hôpital militaire de Tunis. Il avait reçu, entre autres distinctions, un prix du collège de France et la médaille d'or de la Société géographique de Paris.

 

Arthur Pellegrin.

 

 

Bibliographie:

 

* La Kahena, novembre 1938. Le lieutenant-colonel P. Marty, sa vie, son œuvre.

* La Dépêche tunisienne, 29 juillet 1938.

Compte-rendu de l'inauguration du quartier Foch de Tunis, au Foyer lieutenant-colonel Marty.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

- Le Maroc de demain, publication du Comité de l'Afrique Française. Société Générale d'Imprimerie et d'Editions, Paris, petit in-8, 317 pages (1925).

- La Justice Civile Musulmane au Maroc, in Revue des Etudes Islamiques, cahiers 1 et 2 (1923).

- La Corporation Tunisienne des Soyeux (Heraïria), in Revue des Etudes Islamiques : Cahier II (1934).

- La Mission Militaire Française en Tunisie, de 1927 à 1882, in Revue Tunisienne, N° 22, 23 et 24 (1935).

- Etudes d'onomastique arabe en Tunisie, in Revue des Etudes Islamiques.

- Le Théâtre arabe à Tunis (1932-33).

- L'année Liturgique Musulmane à Tunis, in Revue des Etudes Islamiques, Cahier 1 (1935), 2e édition revue et augmentée. Librairie Jeanne d'Arc, Tunis (1937).

- Les Chants lyriques populaires du Sud Tunisien, in Revue Tunisienne, N° 25, 26, 29,31 et 32 (1936-37).

- La Prière musulmane, in La Kahéna, février 1937.

- Enigmes et Devinettes, in La Kahéna, mai, juin, juillet 1937.

- Définition de la mystique musulmane africaine, in La Kahéna, mars-avril 1938.

- Conférences faites en 1936 et 37 aux officiers des Affaires Indigènes et officiers interprètes de Tunisie

1.Les 0rigines religieuses de l'Islam (I. Les origines dogmatiques - Il. Les origines des obligations morales - III. Les origines du culte - IV. L'éclosion de l'Islam, Mahomet).

2.Les tendances actuelles du monde musulman, vues de Tunis.

3.Le Communisme et l'Islam

4. L'œuvre scolaire du Protectorat  (2 conférences)

 

 

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