Armand

Point

 
 

Alger, 1861

Naples, 1932

 

Autoportrait 1882. collection particulière

 

Bien que peu connues, les œuvres d'Armand Point, artiste-peintre de grand talent, sont parmi les fins morceaux de l'orientalisme et du symbolisme du temps.

Armand Point naît à Alger le 23 mars 1861 dans une famille modeste. Son père est plâtrier et sa mère modiste. Sa prime enfance se passe dans le quartier populaire de Bab-el-Oued. Ses parents étant morts prématurément, le petit orphelin est pris en charge à Paris par sa tante, madame Mestas.

Ayant quitté Alger à l'âge de neuf ans, il fait ses études à Paris, au collège Rollin, établissement de très bon niveau. C'est un changement de vie considérable pour le jeune garçon, aggravé par le déclenchement de la guerre de 1870.

 Après une courte interruption, due aux bombardements ennemis durant le siège de Paris, la vie du collège a repris son cours normal. Armand a des camarades de classe, qui, tout au long de sa vie, seront pour lui de fidèles amis : Emile Demelette qui lui apportera souvent de substantiels soutiens financiers, Emmanuel de Sainville, devenu peintre, Pierre Muron qui sera, plus tard, à l'origine de quelques œuvres de l'artiste.

Si ses résultats scolaires sont assez bons dans l'ensemble, Armand, sous l'influence d'Auguste Herst, professeur de dessin au collège, développe une véritable passion pour le dessin. Il est classé premier en dessin durant toute l'année scolaire 1876-1877, obtient le huitième accessit au concours général de dessin d'imitation alors qu'il est en classe de troisième.

C'est sans doute au dernier trimestre de 1878, que le jeune homme prend la décision d'interrompre brutalement ses études, probablement poussé par la nostalgie de sa terre natale. Agé de dix-sept ans, il quitte le collège avec, pour tout bagage, un carton à dessin sous le bras et arrive à Alger fin 1878. Armand Point commence sa carrière d'artiste à Alger, où il expose deux peintures, Labourage en Kabylie et Maréchal-ferrant arabe et dessine de nombreux sujets animaliers (chevaux, dromadaires).

Il est alors l'élève et ami d'Hippolyte Lazerges (1817-1887), artiste d'origine narbonnaise qui travaille régulièrement en Algérie et a dessiné le blason d'Alger. Ce peintre est, durant plusieurs années, installé à Mustapha (villa Roux) où il travaille avec son fils Paul et le caricaturiste Salomon Assus. Avec Herst, Lazerges est, sans doute, l'artiste qui a le plus contribué à la formation technique du jeune Algérois. Cormon et Gonzague­Privat l'ont également quelque peu influencé.

En août 1880, Point est incorporé, pour une année de service militaire, au 26éme régiment d'artillerie. En Algérie d'abord, il participe ensuite à la campagne de Tunisie et laisse de ce pays quelques témoignages réalisés sur le vif comme Une fontaine à Béja et Une mosquée au Kef puis, après son retour à la vie civile, Tunisie-campagne de 1881. C'est là sa première œuvre exposée au Salon de Paris, en mai 1882 ; il Y montre un groupe de zouaves faisant halte au bord d'un chemin caillouteux, manifestement épuisés, sous un soleil implacable.

De retour en Algérie, le jeune peintre expose, en mars 1882, quelques toiles d'un coloris charmant, représentant pour la plupart des vues des environs d'Alger. En 1882, encore, il réalise quelques eaux-fortes comme Petit âne algérien ou Chameaux traversant un gué et dessine au fusain un de ses très rares autoportraits dans lequel l'intensité de son regard témoigne de sa passion pour l'art et de son enthousiasme pour la carrière qui s'ouvre à lui. Il représente aussi des sujets de caractère militaire et des scènes des environs d'Alger. En 1883, il donne une Diseuse de bonne aventure, un thème cher à la peinture européenne des siècles précédents. Dans ces deux tableaux, comme dans Etude d'intérieur à Alger, un grand tableau daté de 1886, le jeune artiste rend avec beaucoup de sincérité et de vérité, l'atmosphère sereine et tranquille de l'activité locale.

La vie culturelle est déjà organisée à cette époque à Alger: le Carnaval, le théâtre et l'art lyrique sont très appréciés. L'Ecole des Beaux-Arts est créée en 1881. Des expositions artistiques sont présentées. Toutefois, il n'existe alors aucun local régulièrement disponible pour présenter les œuvres des artistes locaux Ceux-ci profitent donc des vitrines des photo­graphes comme Famin et Geiser (pour la plupart installées rue Bab-Azoun) pour montrer leurs derniers travaux. La presse indique à ses lecteurs les œuvres les plus importantes. Celles d'Armand Point sont souvent signalées avec des commentaires montrant que la réputation de l'artiste se développe progressivement.

Le peintre participe activement à la vie de l'agglomération algéroise: il fait partie du comité des Fêtes à organiser à Mustapha Supérieur. En 1888 , il offre une œuvre lors d'une tombola en 1889, tout comme Sintès, Raynaud, Salomon Assus et Charles Landelle. il se signale aussi en janvier 1888, lors de la venue de l'hypnotiseur Pickman qui se produit au théâtre municipal, avec le même succès qu'en métropole et en Belgique. Celui-ci, détectant sans doute la réceptivité du jeune peintre à ses pouvoirs paranormaux, le choisit dans un groupe d'amis, l'endort, et lui enjoint de se rendre le lendemain à la brasserie du Nord, où il viendra l'attendre. Réveillé et informé par ses amis des prescriptions de l'hypnotiseur,

Point décide de ne pas obtempérer. Mû par une force qu'il ne maîtrise pas, il s'exécute cependant et arrive à l'heure fixée par Pickman, à la brasserie où une foule bruyante l'accueille. Le lendemain, la Dépêche algérienne, dans sa chronique locale, rend compte de l'événement!

Par ailleurs, l'artiste peint quelques portraits datés de 1883 et 1884 (Portrait d'Algérien) .

A partir de 1884, au plus tard, Point travaille aussi à l'oasis de Bou-Saâda située à 250 km d'Alger. Pour parcourir les 135 km de piste entre Aumale et Bou-Saâda, il faut emprunter une voiture à sept chevaux transportant seulement cinq voyageurs. Le voyage dure 22 heures. Le ksar, construit en amphithéâtre autour de la palmeraie est occupé par l'armée depuis 1849.

Point a peut-être rencontré à Bou-Saâda le peintre orientaliste Gustave Guillaumet ; il manifeste en effet quelque parenté avec lui, dans le choix des sujets, dans les attitudes réalistes des personnages mis en scène, mais avec plus de sentiment de bonheur et une plus grande exaltation de la lumière éclatante du désert.

Parmi ses œuvres sahariennes, entre 1884 et 1891, citons Femmes au bord de l'oued Bou­Saâda, Halte dans le désert, Cavalier arabe dans le sud et Jeunes filles lavant du linge dans l'oued Bou-Saâda.

Armand Point a laissé aussi un grand nombre de croquis et de dessins très élaborés, décrivant Alger et ses environs, ainsi que le désert à Bou-Saâda, comme Tente et chevaux au piquet dans le désert.

Point s'est marié, probablement vers 1885, avec Marie-Lisne Chambon de Cauvin. A partir de 1884, il fait des séjours limités en métropole et expose régulièrement au Salon. Il est nommé membre du Comité départemental du département d'Alger, chargé de la préparation de l'Exposition Universelle de 1889. Le Palais algérien , construit par les architectes locaux Ballu et Marquette est édifié sur l'esplanade des Invalides, à l'emplacement actuel de l'aérogare. Des orfèvres, tisseurs, bijoutiers, brodeurs y obtiennent un grand succès. Outre divers tableaux de chevalet, Armand Point (sur le thème du Printemps) Marzocchi, Hippolyte Dubois et Noailly réalisent de grands panneaux décoratifs, consacrés aux saisons en Algérie, présentés à Alger avant d'être installés dans le Palais algérien. Aucune reproduction de ces œuvres, vraisemblablement perdues, n'a malheureusement pu être retrouvée.

A partir de 1889, l'artiste réside de plus en plus longtemps en métropole et s'installe à Samois, près de Fontainebleau, avec son épouse. Il donne des œuvres de transition dans lesquelles s'atténue l'intensité de la lumière, comme Portrait de Madame Sacha Muron, compagne de Pierre Muron, peint à l'occasion d'un voyage du couple à Alger début 1890.

Les séjours d'Armand Point en Algérie se réduisent alors. Le dernier, à Bou-Saâda et Alger, intervient en mai et juin 1891. C'est presque un adieu à son pays natal, puisqu'il n'y reviendra qu'une seule fois, beaucoup plus tard, en mars 1926, pour y exposer une quinzaine d'œuvres qU1 seront toutes acquises par des collectionneurs locaux. Toutefois, l'intérêt d'Armand Point pour l'Algérie se maintient. De 1893 à 1898, il participe à plusieurs expositions orientalistes, présentées à Paris, et reste ensuite membre de la Société des peintres orientalistes français. Il envoie aussi, assez fréquemment, des peintures, des pastels et quelques objets produits par son atelier entre 1896 et 1924, au Salon des artistes algériens et orientalistes d'Alger. Ce sont des œuvres symbolistes ou d'inspiration mythologiques et des paysages, différemment appréciées selon les cas.

En 1892, l'artiste s'établit à Marlotte, près de Fontainebleau, où il vivra durant quarante ans. Ses préoccupations artistiques sont alors tournées vers le mouvement symboliste des Rose+Croix, puis ses déplacements en Italie l'influencent profondément. Artiste et chercheur, il retrouve des procédés anciens de peinture à fresque, et devient un expert en émaux. Il installe un atelier et des fours au logis de Haute-Claire à Marlotte. Là il fonde, en 1896, une véritable colonie d'artisans d'art et d'artistes, créant notamment des coffrets et des bijoux. Dans une atmosphère chaleureuse et raffinée, qui se prolongera plus de dix ans, il réunit dans ce haut lieu du symbolisme tout un cénacle intellectuel et artistique où se croisent peintres, musiciens et écrivains.

A partir de 1915, il peint de nombreux paysages de la Creuse et d'Auvergne.

Il meurt à Naples, le 9 février 1932, victime des suites d'un refroidissement. Dans le cadre du cinquantenaire de leur association, Les Amis de Bourron-Marlotte ont organisé une exposition du 8 au 16 novembre 2003 consacrée à Armand Point. Un de ses tableaux a figuré à l'Institut du Monde Arabe dans la rétrospective de l'Algérie, des peintres de Delacroix à Renoir (1 octobre 2003 au 18 janvier 2004).

 

Robert Doré

 

L'auteur, qui prépare actuellement une thèse sur Armand Point, serait heureux de recevoir des reproductions d'œuvres ou des renseignements inédits concernant l'artiste. Ecrire à Mémoire d'Afrique du Nord qui fera suivre.

 

 

Bibliographie:

 

* Archives du lycée Jacques Decour, Paris.

* L'orientalisme chez le peintre Armand Point, Robert Doré, mémoire de maîtrise présenté à l'Université de Paris I, Panthéon Sorbonne, Paris, Juin 2000.

* Presse d'Alger (Akhbar, La Dépêche Algérienne) de la période 1880-1891.

* Article paru dans le bulletin d'information et de liaison de l'association des Amis de Bourron-Marlotte (S-et-M) Numéro 44, année 2002 ..

* Catalogue de l'exposition Armand Point, Robert Doré, Bourron-Marlotte, 8 au 16 novembre 2003 (avec trente-sept reproductions d'œuvres de l'artiste).

 

 

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