Emile

Masqueray

 
 

Rouen, 1843

St. Etienne du Rouvray, 1894

Timgad - Arc de Trajan

 

Archéologue, historien, linguiste, surtout sociologue, également écrivain, Emile Masqueray a été le promoteur des études sur les sociétés du Maghreb, et le premier organisateur de l'enseignement supérieur en Algérie.

 

Né à Rouen le 20 mars 1843, Emile Masqueray poursuit à Paris, au collège Sainte-Barbe, les études commencées au lycée de sa ville natale. Reçu à l'Ecole Normale Supérieure en 1866, agrégé d'histoire et géographie, il est nommé à Bastia en 1869. Appelé à choisir, après son service militaire dans l'artillerie, entre Versailles et Alger, il opte pour cette dernière ville, porte de l'Afrique et du monde musulman. De 1873 à 1875, il est professeur d'histoire au lycée d'Alger. D'esprit curieux et grand amateur de voyages, il s'était mis, dès sa nomination à Alger, à explorer le pays de façon approfondie, avec le désir de connaître les hommes autant que le pays.

Il commence ses recherches, sur le terrain, en Kabylie puis, à partir de 1875, campe deux ans parmi les Berbères des Aurès. Son don d'intégration, dans des milieux fermés, se montre encore plus en 1878, au Mzab, pas encore annexé par la France. Là, il obtient, durant deux mois de séjour, l'autorisation de copier un texte "sacré" : la Chronique d'Abou Zakaria.

En 1879, se constituèrent, sous l'impulsion de Paul Bert, ministre de Gambetta, chargé de l'Instruction publique, les premières écoles supérieures (futures Facultés de l'Université d'Alger). Masqueray fut désigné pour la chaire d'Histoire et d'Antiquités de l'Afrique et nommé directeur de l'Ecole Supérieure des Lettres.

Les observations de Masqueray sur le Maghreb ont été à l'origine d'une œuvre scientifique et littéraire.

Il épouse à Alger la fille d'un officier supérieur du Génie, mademoiselle Sauvé.

 

Une œuvre scientifique

Le résultat de prospections archéologiques, complété par l'analyse de témoignages anciens, mène à la conception de sa thèse secondaire de doctorat ès lettres, alors ,rédigée en latin. Elle porte sur les Aurès, au début du second siècle de l'ère chrétienne, au rétablissement de l'ordre par le gouverneur byzantin Salomon en 539. Cette étude, trop souvent oubliée, révèle que Masqueray était un remarquable historien des religions.

Sa thèse principale de doctorat, La Formation des cités chez les populations sédentaires d'Algérie, marque une date car elle est, en 1886, la première thèse d'ethno-sociologie. Elle influença la pensée de Durkheim(1).

De nombreuses communications aux Sociétés Savantes ont eu pour sujet ses recherches sur les ruines romaines d'Algérie (Timgad en particulier), mais aussi sur les diverses populations du pays.

Ayant visité à fond la Kabylie, il défendit avec passion l'idée d'une scolarisation professionnelle qui, en deux générations, aurait pu permettre l'assimilation du pays. Il participa à de nombreux échanges à ce sujet. Il mourut avant d'avoir connu l'échec de son projet.

Tous ces travaux avaient été rendus possibles grâce à sa connaissance parfaite des langues arabe et berbère.

 

Une œuvre littéraire

Celle-ci se résume à un seul livre : Souvenirs et visions d'Afrique. Il est constitué d'articles parus dans le supplément littéraire du Figaro et dans le Journal des Débats qu'il a choisi de réunir. L'ensemble du livre (il le précise bien dans son introduction) relate des choses vues, mais aussi entendues et imaginées. La chronologie est imprécise, mais le début a bien été vécu et daté de 1873 (l'année de son arrivée à Alger). Il s'agit du voyage qu'il fit à cheval, d'Alger à Laghouat, avec un spahi, et selon le parcours indiqué par son ami le général Wolff, commandant la Division d'Alger, qui lui avait remis quelques recommandations.

Emile Masqueray a été littéralement ébloui par la découverte du Sud avec sa lumière, son immensité, ses couleurs, ce qu'il a exprimé dans un style exalté, et parfois quasi baroque.

 La découverte d'hommes très variés l'avait convaincu que la géographie, au sein d'un même pays, influence fortement les comportements et les modes de vie. Ses préférences vont, et de beaucoup, aux nomades dont il admire la vie à la fois simple et noble, fondée sur un code de l'honneur et de valeurs guerrières à peine assoupies. Les modèles en sont les Touaregs du Sahara central. "Je me sens nomade jusqu'au bout des ongles" écrit-il, lui, le terrien normand, et il sent, avec peine, que cette civilisation est appelée à disparaître.

Les mœurs des sédentaires l'intéressent aussi. il relate comment en Kabylie, des affrontements sanglants peuvent opposer les hommes de villages voisins pour des contestations territoriales. Il fait aussi le portrait émouvant d'une femme kabyle, deux fois veuve, et mariée trois fois, vouée aux tâches de ses différentes maisons et à ses enfantements successifs.

Ses connaissances historiques et ethnologiques, son imagination aussi, lui font supputer des origines lointaines à tels ou tels personnages, ou à certaines coutumes. Il croit parfois vivre les actions de la Bible.

Devant l'immensité des paysages du Sud et au contact d'une spiritualité partout présente, il fut tenté de se convertir à l'Islam après avoir été guidé par un "maître". Il semble que cet élan fut arrêté par un spectacle d'Aïssaoua auquel l'avait conduit un "saint homme" qu'il avait rencontré et admiré. Il assista à la terrible

exhibition des souffrances que s'infligeaient, par le feu surtout, des adeptes que le saint homme encourageait, puis apaisait avec de pieuses paroles. Un jeune homme fut poignardé et mourut, sous les yeux horrifiés de Masqueray, devant le saint impassible.

Au cours de son exploration longue et détaillée de l'Algérie, Masqueray garde intact son attachement à la France et à son œuvre. Il a témoigné de la réalité d'une pacification encore récente et du respect que les indigènes manifestaient à l'égard de l'armée française en raison des qualités exemplaires de ses soldats, leur vaillance, leur désintéressement et leur sens de l'honneur. Un modèle de ces qualités fut le général Margueritte dont il fait un portrait remarquable.

Traversant la plaine du Chélif, il admire les résultats déjà évidents de la colonisation, tout en évoquant ce que furent, dans la région, les combats de la conquête, avec un éloge marqué d'Abd-el-Kader et de ses hommes.

Emile Masqueray fut un grand intellectuel que l'Algérie a passionné au plus haut point, suscitant chez lui une œuvre à la fois scientifique et littéraire qui mérite d'être connue. Un village des hauts plateaux, entre Aumale et Berrouaghia, portait son nom.

 

Henri Laffont et Odette Goinard

 

1 sociologue français (1858-1917)

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Chronique d'Abou Zakaria, Alger 1878.

* Note concernant les .Aoulads Daoud du Mont Aurès, Alger 1879.

* La Formation des cités chez les populations sédentaires d'Algérie. Thèse de Doctorat soutenue à Paris en 1886, rééditée à Aix­en-Provence en 1983 (Edisud - CNRS).

* Souvenirs et visions d'Afrique, 1892. Réédition en 1989 et 1997 par la Boîte à Documents, avec une belle présentation de Michèle Salinas.

* Dictionnaire français-touareg (dialecte de Taïtong), Alger, Paris, 1893-1895. Le dernier fascicule est paru après la mort de l'auteur, comme les Observations grammaticales sur la grammaire touareg publiées en 1896 par R. Basset et Gaudefroy-Demombynes.

 

 

Bibliographie :

 

* Augustin Bernard a publié deux notices sur Masqueray. Chacune est suivie d'une note bibliographique.

1)  Revue Africaine, t. 38, 1894, p. 350-375

2) en introduction à la réédition, en 1914, de Souvenirs et Visions d'Afrique.

* Hommes et Destins. Tome VII, p. 333-334, biographie d'Emile Masqueray par Jacques Fabulée.

 

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