Louis

Machuel

 
 

Alger, 1848
Tunis, 1908

 

 

Louis Machuel fut le premier Directeur de l'Instruction Publique en Tunisie, après l'établissement du Protectorat.

Très attaché au bilinguisme, il fut le créateur des écoles franco-arabes.

Louis Pierre Machuel est né à Alger le 2 juin 1848 au sein d'une famille arabophone arrivée dans le pays quelques années après l'expédition de 1830. Dés son plus jeune âge, il fréquente à la fois l'école coranique pour apprendre à lire, à psalmodier le Coran et l'école primaire française. Lors de ses études secondaires au lycée d'Alger, il a pour maître d'arabe, Bresnier, disciple de l'illustre orientaliste Sylvestre de Sacy, alors professeur à la chaire publique d'arabe à Alger. Ayant approfondi ses connaissances, il obtient le certificat d'aptitude à l'enseignement de cette langue. Il sera successivement professeur au collège de Constantine, puis au lycée d'Alger où il fréquente les cours de la Grande Mosquée pour occuper ensuite la chaire publique d'enseignement de l'arabe littéraire à Oran. Il a ainsi le privilège de posséder une connaissance complète de l'arabe parlé comme de l'arabe écrit. Il fréquente le milieu musulman avec aisance.

 En 1880, il est appelé à Tunis pour effectuer une mission d'information et d'études concernant la Faculté théologique de la Zitouna et le collège Sadiki, deux établissements à Tunis, l'un très ancien rattaché à la mosquée du même nom et d'esprit conservateur, l'autre de création récente, datant de 1875, fondé par le ministre d'Etat Khereddine sur le modèle des établissements scolaires européens. Au lendemain de l'établissement du Protectorat en 1883, il apparaît à Paul Cambon(1), résident général depuis avril 1882, que Louis Machuel partage ses identités de vues concernant les structures de l'enseignement dans la Régence et les principes émis par Jules Ferry lors d'un voyage en Tunisie. Il décide donc de nommer Machuel premier directeur de l'Instruction Publique en Tunisie, créant à la fois le poste avec son titulaire, et lui laissant un large pouvoir d'innovation. Son autorité s'étend à la fois sur les médersas, les écoles coraniques, les écoles privées et congréganistes. Il lui faudra structurer un enseignement laïque qui attire à la fois les Tunisiens, musulmans et juifs, comme les Européens. Son but est de faire apprendre le français aux Tunisiens et l'arabe aux fils et filles de Français qui viennent s'installer, afin de faciliter une certaine interpénétration entre les deux communautés. Machuel désire que les enfants tunisiens et les enfants des colons s'assoient sur les mêmes bancs dès leur plus jeune âge, chacun apprenant à comprendre l'autre. Autre élément non négligeable, le petit budget tunisien ne pouvait supporter un double système d'enseignement.

C'est ainsi que Louis Machuel crée les écoles franco-arabes non seulement en milieu citadin, mais aussi dans les villages de l'intérieur. Le programme scolaire rappelait celui des écoles primaires en France, programme allégé et axé sur la connaissance du français pour les Tunisiens, apprentissage de l'arabe parlé pour les jeunes Européens dans le même local. En même temps, il invitait, moyennant une prime, les maîtres tunisiens (les moueddeb) des écoles coraniques (les khouttab) à envoyer quelques heures par semaine leurs élèves dans les écoles franco­arabes. Mais pour réaliser ce projet, il lui fallait des instituteurs et institutrices parlant français et maîtrisant la langue arabe. Un essai d'envoi en France de futurs maîtres tunisiens échoua; aussi en octobre 1884 ouvrit-il à Tunis dans des locaux annexes du collège Sadiki une Ecole Normale appelée collège Alaoui en hommage au souverain régnant Ali bey. Il fit en même temps une propagande active en France pour attirer des candidats et demanda à des instituteurs français enseignant en Tunisie et parlant arabe de former des élèves tunisiens un an avant leur entrée au collège Alaoui. Sept localités furent choisies dans ce but. La durée des études à l'Ecole Normale fut fixée à trois ans en internat. Chaque jour Machuel y donnait lui même un cours d'arabe. Le système fut une réussite et fonctionna jusqu'à l'indépendance.

Le nouveau directeur se voulut également l'intermédiaire entre les professeurs de la Grande Mosquée, les mouderrés, et la colonie française, il intervint auprès d'eux pour qu'ils encouragent ce type d'ensei­gnement, tâche difficile, car certains étaient peu enclins à accepter cette innovation venue d'un Français. Cette action devait permettre aussi le développement de ces écoles franco­arabes grâce à l'assentiment de ces conservateurs très écoutés par la population. En général sur le plan local, les garçons tunisiens furent envoyés par leurs parents, des réticences se firent sentir dans le Sud et dans quelques endroits où les responsables tunisiens s'opposaient au Protectorat.

Suivant le même pnncipe et grâce à l'ascendant qu'il exerçait, Louis Machuel fit quelques essais de modernisation de l'enseignement supérieur à la Faculté de théologie des 1885. Il valorisa les diplômes obtenus, par une ouverture de postes dans l'administration par cette voie. Il aligna les études secondaires du collège Sadiki sur les programmes français. Lui-même s'impliquant fortement dans ce bilinguisme publie une méthode d'enseignement de la langue dialectale et diverses monographies sur l'enseignement en Tunisie en 1885, 1889, 1900 et 1906. Il fonde une chaire publique de langue et littérature arabe en octobre 1884 destinée aux adultes et divisée en trois degrés et, en 1894, une école de formation pour les maîtres des écoles coraniques. Il lui apparaît rapidement qu'un enseignement professionnel est nécessaire. Ce sera l'ouverture du collège Emile Loubet le 1er avril 1898.

Son action s'étendit dans d'autres domaines, c'est ainsi qu'il patronna la création de l'Institut de Carthage dont le but était de promouvoir toutes les activités culturelles de la Régence, institut qui se dota dès 1894 d'une revue, la Revue Tunisienne, où il publia un article mémorable en 1897 sur l'enseignement musulman. Favorisant l'épanouissement de la culture arabe, c'est sous son égide que se constitua la Société Al Khaldouniyya en 1896, société d'études rassemblant des intellectuels tunisiens pour traiter de tous les sujets concernant l'Islam et le monde musulman.

Toujours désireux de développer la connaissance de la langue française chez les Tunisiens, Louis Machuel sera l'inspirateur à Tunis de l'Alliance Française fondée à Paris en 1885. Elle devàit représenter "la devanture de la culture française" et éveiller chez les habitants du pays le désir de mieux connaître le pays protecteur.

Les établissements scolaires antérieurs au Protectorat comme la Faculté de la Zitouna et le collège Sadiki étaient entretenus par les revenus de biens dévolués par les propriétaires sous forme de fondation. Ces biens étant inaliénables, les possesseurs étaient ainsi assurés de leur pérennité, ils étaient appelés "biens habous". Leur administration était très complexe, aussi fut-il créé une Jemala, sorte de conseil de contrôle dont fit partie Machuel en tant qu'inspecteur. Dans le but de coordonner la pensée scolaire française et tunisienne, il institua le 15 septembre 1888 un Conseil de l'Instruction Publique où il fit participer aussi bien le président français du Tribunal de Tunis qu'un professeur de la Grande Mosquée.

C'est ainsi qu'il resta à la tête de la Direction de l'Instruction Publique de 1883 à 1908 ouvrant dans toute la Régence des écoles primaires franco-arabes pout lesquelles il recrutait des instituteurs aussi bien en Tunisie qu'en France. Ainsi l'infrastructure de base de l'enseignement était en place lorsqu'il prit sa retraite à Maxula-Rades dans la banlieue de Tunis en 1908. Il laissait la place à Sébastien Charlety professeur à la Faculté des Lettres de Lyon. Jusqu'en 1922, date de sa mort, il continua à défendre le principe de l'enseignement de la langue arabe pour les Européens habitant le pays, afin que le bilinguisme assure une parfaite osmose entre autochtones et importés.

Il décéda le Il août 1922 et son tombeau situé dans le cimetière de Maxula-Rades fut, sur sa demande, érigé en style mauresque avec en frontispice au-dessous d'une coupole, un verset du Coran en arabe.

François Arnoulet

 

1 - Voir la biographie de Paul Cambon dans Les Cahiers d'Afrique du Nord n°2.


 

 

Bibliographie:

 

* R. Machen : Louis Machuel, et la réforme de l'Enseignement en Tunisie. Université de Malaisie.

* Direction de l'Enseignement Public, Régence de Tunis -. L'enseignement en Tunisie (1883-1930)

* Raoul Darmon : Cent années d'enseignement en Tunisie (1883-1930)

 

 

Parmi ses œuvres :

 

- L'œuvre scolaire en Tunisie

- Méthode pour l'étude de l'arabe parlé

- Grammaire d'arabe régulier

- Manuel de l'arabisant en deux volumes

- Les voyages de Sinbad le Marin tirés des Mille et Une nuits,

- L'arabe sans maître pour l'étude de l'arabe en caractères latins

- Eddalil ou guide de l'arabisant pour l'étude de l'arabe parlé

- Le guide de l'interprète (recueil de lettres particulières, administrations et judiciaires)

- Vocabulaire des principaux termes techniques de la grammaire arabe

- Anthologie des auteurs arabes

- Annotations à la grammaire arabe de Sylvestre de Sacy (nouvelle édition en deux volumes, 1904)

- Dictionnaire français-arabe. Manuscrit, non édité.


 

 

 

 

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