Maurice

Le Glay

 
 

Bordeaux, 1868

Casablanca, 1936

Le Glay (à droite) avec le Sultan Moulay Hafid (à gauche). Fès, vers 1910.

 

Peintre de l'âme marocaine, La Glay a, dans son œuvre littéraire, fait vivre un peuple qu'il a compris profondément.

Avant la guerre de 1939, Maurice Le Glay "est peut-être l'homme qui connaît le mieux le Maroc"(l). Aujourd'hui, malgré son talent, il est devenu "un écrivain oublié"(2). Pourtant, son œuvre, témoin privilégié de l'époque du Protectorat, peut favoriser chez les lecteurs francophones, une meilleure compréhension des hommes et des femmes du Maroc, de leur culture, de leur histoire, et devrait retenir l'attention des spécialistes de l'histoire littéraire.

Maurice Le Glay, né à Bordeaux en 1868, s'engage dans l'armée à l'âge de 19 ans. Peu après sa sortie de l'Ecole de l'Artillerie et du Génie, où il est élève-officier, on l'envoie en Algérie puis en Tunisie. Jusqu'à sa mort il restera fidèlement attaché au Maghreb.

En 1909, le capitaine Le Glay débarque au Maroc, où il est affecté à la Mission militaire chargée d'encadrer l'armée chérifienne. Sur ces années, qui précèdent le traité du Protectorat (1912), il a publié son journal(3) : il y manifeste une indépendance d'esprit, qui accompagnera l'ensemble de son œuvre et soulèvera quelques polémiques, en particulier avec des militaires qu'il n'a pas ménagés. Avec les troupes auxiliaires marocaines, les goums, il prend part, pendant la guerre de 1914, aux combats de ce que l'on appelle "la pacification".

En 1918, il quitte l'armée et devient contrôleur civil à Safi. En déposant l'uniforme, son intention est de se consacrer plus librement à ses projets littéraires. Il se rend vite célèbre par des croquis ou des contes, où d'une plume vive, il met en scène les habitants de ce pays devenu sien. Ce que trop d'Européens ne voient que de l'extérieur, lui, il le saisit de l'intérieur. Cela paraît non seulement dans ses beaux Récits marocains de la plaine et des monts, mais aussi, par exemple, dans Les sentiers de la guerre et de famour, où il relate la bataille d'El Herri qui, le 13 novembre 1914, ensanglanta le Moyen­Atlas tout en exaltant le prestige du grand chef berbère Moha ou Hammou le Zaïani. Dans ce dernier livre, les combats de la pacification sont décrits non pas à partir des actions des militaires français, mais à travers les sentiments, les aspirations, les souffrances du peuple contre lequel luttent les compatriotes de l'auteur.

Le Glay a donné le ton, à cette époque, à une pléiade d'auteurs de "croquis marocains" qui s'abritent plus ou moins ouvertement sous son patronage, tels Moïse Nahon, Saïd Guennoun,(4) René Euloge, Henri Duquaire ... etc. Lui-même ne s'est pas contenté d'écrire des récits et des nouvelles, mais il a mis en valeur les qualités de son style et la [messe de ses analyses dans plusieurs romans. (5) En ceux-ci il met volontiers en scène des héroïnes berbères, ce qui a d'ailleurs inspiré le scénario du film Itto qui sort sur les écrans en 1935. Mais ces jeunes filles de la montagne ne sont pas seulement des personnages de roman, puisqu'il arrive à l'auteur de nous livrer ce qui semble bien une confidence: "Sa route de retour (en France) s'est trouvée barrée par deux bras bruns annelés d'argent", et puis surtout par la fascination d'un regard:

"Vous ne savez pas ce que c'est que deux yeux comme ceux-là". Et de conclure "On goûte au poison des choses défendues ailleurs permises ou faciles ici. Et l'Orient retient, absorbe, dévore"(6).

Il semble bien que son chef-d'œuvre soit ce roman au titre énigmatique Le chat aux oreilles percées. A la manière d'un conte philosophique, vont, viennent, dialoguent, dans une ambiance de mystère, des acteurs français et marocains, et se trouvent minutieusement analysés les sentiments et les problèmes que suscite chez eux la rencontre des deux cultures, .l'occidentale et l'orientale, et des deux religions, la chrétienne et la musulmane. Et, sous­jacent, à toutes les pages de ce drame, transparaît l'envoûtante attraction qu'exerce l'islam maghrébin sur un Français immergé dans le monde marocain. Un théologien musulman y déclare à son ami chrétien :

"Matériellement vous nous avez maîtrisés par votre force guerrière et votre puissance économique ; du point de vue religieux, vous êtes restés les vaincus ... " (p. 193). Et si la récente guerre de 14 provoque l'admiration du courage des soldats marocams, elle est aussi l'occasion de mettre en cause l'idéal de progrès des Européens : "Ce fameux progrès dont vous vous prévalez sur nous, remarque avec malignité le même théologien, est surtout, un progrès dans l'effroi, la souffrance, l'horreur" (p. 180). Ces thèmes se trouvent à nouveau esquissés dans quelques pages de La Mort du Rogui, qui sortira en librairie trois ans plus tard.

Le Glay a beaucoup aimé le monde berbère. Il a admiré la passion de la liberté qui anime ces rudes montagnards de l'Atlas dans leur résistance à l'occupation française (7) "Ils sont pauvres et pensent sans doute que la liberté même peineuse, est préférable à la servitude la plus douce [ ... ] Sur les plateaux élevés et les. hautes montagnes du Maroc central, ils vivent à leur guise depuis des siècles Ce sont des êtres qui ignorent ce que peuvent être le confort et un gouvernement. Ils se disent "hommes libres". imaziren, et parlent une langue rude nommée par eux tamazirt et par nous berbère. Ils sont indépendants jusqu'à l'anarcrue".(8)

Dans les milieux nationalistes, on a reproché à Le Glay d'avoir inspiré une politique de division, opposant les Berbères aux Arabes. Ses observations ne vont pourtant pas au-delà de ce que ressentent en réalité ceux dont il parle. En tout cas il s'est réjoui de l'unification du Maroc: "Le Maroc entier est revenu à l'obédience de ses maîtres traditionnels (les sultans)"(9) Cette unité ne doit cependant pas étouffer l'originalité de la langue et de la culture berbère de ce que l'on a appelé la "berbéritude". Le Glay a d'ailleurs eu l'occasion de défendre ses points de vue dans des conférences et de nombreux articles, parus dans La Vigie marocaine et le Bulletin de fenseignement public du Maroc. L'étiquette de "berbériste" collée à son œuvre a certainement fait obstacle à son rayonnement comme son indépendance d'esprit a nui à sa "carrière" militaire. Et "l'irrémédiable ironie dont il accueillait les spectacles de la vie" (10) ne lui a pas attiré que des amis. Défendant, dans un roman, deux points de vue opposés au sujet de "l’islamité" du monde berbère, il s'en justifie non sans une pointe de cynisme: "La variation est, en cette matière la sagesse même [ ... ] Beaucoup cherchent dans (mes) lignes la confirmation de leurs idées personnelles: il est élégant de satisfaire le plus grand nombre possible de lecteurs" .(11)

Ce conteur, cet humoriste aimant croiser le fer, cet écrivain racé est mort, le 3 avril 1936, à Casablanca où il s'était retiré et où une rue portera son nom. En son œuvre, comme on l'a dit, ne peut-on sentir battre le cœur du Maroc? N'est-il pas l'un de ceux "qui ont mieux vu le Maroc tel qu'il est, l'un de ceux qui, loin de toute littérature, en pleine action, ont écouté battre son cœur"(12).

 

Michel Lafon

 

1-Henry Bordeaux. Le miracle du Maroc. Plon, Paris, 1934, p. 177

2-Michel Lafon. Un écrivain oublié, Maurice Le Glay, in Regards sur les littératures coloniales, tome II. L'Harmattan, Paris, 1999.

3-Chronique marocaine Gusqu'en 1911). Berger-Levrault.

4-Said Guennnoun, biographie parue dans Les Cahiers d'Afrique du Nord, N° 6.

5-Cinq romans entre 1921 et 1930.

6- Le chat aux oreilles percées, p. 147.

7- "Les opérations de pacification, inaugurées en 1908, se sont poursuivies jusqu'en 1934" (général Guillaume).

8- Récits marocains de la plaine et des monts, p. 201-202.

9- Chronique marocaine,, p. 183.

10- Nouveaux récits marocains de la piaille et des monts, p.173.

11-La mort du Rogui, p. 118

12-Georges Hardy. L'âme marocaine d'après la littérature française. Ed. Larose, Paris, 1926, p. 11.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Badda, fille berbère et autres récits marocains, Plon, Paris 1921. (Prix de Littérature coloniale 1922)

* Ittto, récit marocain d'amour et de bataille, Plon, Paris 1923.

* Le Chat aux oreilles percées, histoire marocaine, Plon, Paris 1923.

* La Mon du Rogui, Berger-Levrault 1926.

* Les Sentiers de la guerre et de l’amour, Berger­Levrault 1930.

* Récits marocains de la plaine et des monts, Berger-Levrault, s.d.

* Nouveaux récits marocains de la plaine et des monts, Berger-Levrault, 1932.

* Chronique marocaine (Année 1911 jusqu'à l'arrivée des Français à Fez), Berger­Levrault, 1933.

* Les Passeuurs, album de luxe, 1929.

 

 

 

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