Paul

Buttin

 
 

Rumilly, Hte Savoie, 1893 Paris, 1966

 

Héritier de Péguy et de Bernanos, Paul Buttin a mis sa plume de journaliste et de polémiste au service de la foi chrétienne, essayant d'apporter plus de sens humain dans les relations entre les hommes et les communautés d'Afrique du Nord.

Paul Buttin est né à Rumilly (Haute-Savoie) le 27 février 1893, de souche savoyarde. Son père est notaire comme l'ont été ses ancêtres depuis la première moitié du 17è siècle. Il aura sept fils : Paul, le cinquième, fait ses études primaires et secondaires au petit séminaire de Rumilly. Il est bachelier en 1910 et suit sa famille à Paris, son père ayant en effet abandonné son étude pour se consacrer aux armes anciennes, comme conservateur d'une des plus remarquables collections de la capitale. Entré à la Faculté de Droit, Paul est licencié en 1913. Il songe à la magistrature, mais sa candidature n'est pas retenue car il est un ancien élève d'un collège libre. Il s'inscrit dès lors au barreau de Paris.

Appelé sous les drapeaux en août 1914, il est grièvement blessé en juillet 1915 à la grande offensive de Champagne. Evacué vers la Bretagne, il rencontre et épouse, en août 1918, Marie-Antoinette Selliès, également d'origine savoyarde qui, outre sa qualité d'infirmière, est licenciée en sciences. Démobilisé, il est tenté par les vastes perspectives offertes au Maroc, où il retrouve son frère aîné qui exploite déjà dans ce pays une affaire de transports. Il est bientôt rejoint par son épouse et son jeune fils Henri. Installé à Meknès en octobre 1920, il s'inscrit au barreau de Rabat, siège du Tribunal.

Les débuts sont difficiles. Son épouse, professeur de mathématiques, dans un lycée français encore embryonnaire, l'aide à équilibrer le budget familial. Sept enfants viendront enrichir son foyer.

Le cabinet et la vie familiale absorbent la majeure partie des activités de Paul Buttin qui constitue en outre, aux portes de Meknès une petite propriété agricole. Il y installera un lotissement. Mais, le Maroc étant touché par la crise économique mondiale de 1930, cette opération immobilière lui cause quelques déboires. Ses réflexions le conduisent alors à s'intéresser aux problèmes sociaux dans le contexte économique spécifique du Protectorat de la France au Maroc.

En 1936, Paul Buttin devient propagateur au Maroc de l'hebdomadaire  Sppt, puis de Temps Présent. Il crée un groupe des Amis de Secpt. Il se lie avec le Père Maydieu, dominicain. Les entretiens qu'il a avec lui sont déterminants pour sa vocation ; tout en poursuivant sa carrière d'avocat, il se consacre à sa mission de laïc chrétien. Il lance un premier bulletin local destiné aux agriculteurs catholiques de la région de Meknès, conscient que ceux-ci représentent la force vive de la région.

Elu bâtonnier du barreau de Fès-Meknès, il le demeurera jusqu'à sa démission en mars 1944.

Les années de guerre sont pour lui l'occasion d'aborder une nouvelle phase de sa carrière. Parfaitement indépendant de toute tendance gouvernementale, sans attache politique, il défend des gaullistes, des francs-maçons, des juifs, des communistes atteints par les lois de Vichy ou poursuivis devant les tribunaux militaires.

Le 10 novembre 1942, Paul Buttin assure la défense du général Béthouart et de ses compagnons devant le tribunal militaire de Meknès constitué en cour martiale. En mars 1944, il défend Pierre Pucheu ex-ministre de l'Intérieur du gouvernement de Vichy, devant le tribunal militaire d'Alger. Malgré sa brillante plaidoirie, qui lui vaut une grande popularité parmi les Européens d'Afrique du Nord, Pierre Pucheu est condamné à mort et exécuté. Paul Buttin démissionne alors du Bâtonnat et du Conseil de l'Ordre.

En 1944, l'Afrique du Nord est encore coupée de la métropole. C'est alors que Paul Buttin crée Terres d'Afrique, revue mensuelle d'inspiration catholique, étrangère à tout parti politique. Son but : diffuser la pensée chrétienne, en mettant l'accent sur le côté social et économique des problèmes du jour. Il animera la revue, d'abord seul et sans autres ressources que les siennes propres, puis avec quelques collaborateurs jusqu'à sa disparition en 1950. Son épouse en assurait l'administration. Pour développer l'audience de Terres d'Afrique, il lance avec quelques chrétiens engagés, un hebdomadaire Méditerranée. Ce journal n'aura que quarante numéros, les positions prises n'étant pas admises par la colonisation. En 1945, il lance un appel à tous les catholiques d'Afrique du Nord. Cinq associations pour la diffusion de la pensée catholique voient le jour au Maroc, en Tunisie et dans chacun des départements d'Algérie. Il fait une série de conférences dans toutes les grandes villes du Maroc. En 1949, il crée une chaire de sociologie et de questions sociales à l'Ecole d'Agriculture de Meknès; après quelques mois de cours, de vives protestations le forcent à mettre fin à cet enseignement.

En 1950, Paul Buttin crée un Secrétariat social à Meknès qui fonctionnera trois ans. Il organise de nombreux "carrefours", ceux de 1951-1952 portant sur le problème des relations intercommunautaires franco­marocaines, car la situation politique se dégrade. En 1953, le Maroc s'engage dans une lutte pour l'indépendance. Au procès des "terroristes" à Fez, Paul Buttin, à la barre, provoque un véritable scandale en affirmant que la politique suivie par la France a contribué à faire éclater des actions de terrorisme. Une partie de sa clientèle quitte son cabinet. Malgré les insultes et les menaces, il restera jusqu'au bout dans son rôle de défenseur de tous ceux qui, pour leurs actes ou leurs opinions, sont poursuivis devant les tribunaux .

En 1955, il publie aux Editions du Cerf Drame du Maroc où il prend position pour "une indépendance progressivement réalisée, dans le respect des droits de la France et des Français du Maroc". Il tente surtout une analyse sociologique, la seule qu'un Français du protectorat ait jamais publiée. Les 7 et 8 mai 1955, il participe à Paris à la "conférence nationale pour la solution du problème franco-marocain" où il présente le premier rapport intitulé "la vérité sur le Maroc".

Le 2 mars 1956, la France reconnaît l'indépendance du Maroc. Pour Buttin, rien n'est résolu ; depuis des années, il œuvre pour un rapprochement des communautés française et marocaine, et il est parfaitement conscient de ce que les vicissitudes de la politique franco­marocaine n'ont pas modifié les données fondamentales du problème. Il reprend son bâton de pèlerin. Il lance Confluent, revue mensuelle, recherchant, en un premier temps, dans un climat d'amitié, un rapprochement entre les deux cultures, les deux civilisations, les deux humanismes en présence. Il quitte le barreau à soixante­trois ans et désormais, pendant dix années, il va se consacrer à Confluent et à sa mission de chrétien engagé en terre maghrébine. Il s'installe à Rabat.

En 1958, il crée à Rabat un Centre d'études et de recherches pour le développement des relations intercommunautaires. Il organise de nombreuses rencontres sur des problèmes aussi divers que le bilinguisme, le syndicalisme, le patronat, l'Orient, l'Occident. En 1959, la revue change de formule; elle se consacre désormais aux problèmes de la coopération franco-marocaine en même temps qu'à ceux des pays en voie de développement. Voyages en Tunisie et en France. Nombreuses conférences sur le thème de la coopération. Il crée un "centre Confluent" à Rabat et prend .la décision de faire de Confluent un organe de liaison et de développement entre la France et le Maghreb. La revue est transférée à Paris. Une équipe Confluent est crée à Tunis puis à Alger en 1962. Elargissant le contexte franco-maghrébin, il fait un long voyage en Afrique (Côte d'Ivoire, Niger, Haute-Volta). En 1965, la revue a atteint ses dix années et ne semble plus répondre à un besoin. Paul décide de la supprimer.

C'est au cours d'un nouveau voyage en Afrique noire qu'il contracte une grave maladie. Il rentre très affaibli à Paris, mais entend achever une longue étude sur le problème du sous-développement de ce continent. Le 20 avril, l'ouvrage est achevé et porté chez un éditeur qui ne le publiera pas. Deux jours après il est terrassé par un infarctus du myocarde.

Georges Botbol, ancien bâtonnier de Fès, a pu dire de Paul Buttin : "partout et toujours, il fut le type même de l'avocat engagé, accomplissant avec une égale conscience et un égal talent son métier de défenseur et sa tâche de citoyen, manifestant une personnalité vigoureuse, marquée d'un souci de dignité qui lui conférait une austérité où quelques-uns voyaient une certaine aspérité. Mais il narguait les conformistes et semblait éprouver une prédilection pour la navigation à contre-courant, ce qui, en plusieurs cas, nécessitait un grand courage.

 

Odette Goinard
article revu par Henri Buttin

 

 

 

Bibliographie:

 

Confluent, revue mensuelle, dernier numéro avril 1967 : Paul Buttin 1893-1966.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

- L’O.P.réformes  de structures au Maroc par l’organisation professionnelle. Meknès, 1942.

- Le procès Pucheu. Paris, Amiot-Dumont, 1947.

- Positions d'un chrétien en terres d'Afrique de 1944 à 1950. Meknès, Editions C.R.E.E.R., 1951.

- Le drame du Maroc. Paris, Editions du Cerf,

- L'Afrique est-elle condamnée à s'occidentaliser? Ouvrage posthume en cours d'édition.

- Essai sur la vie existentielle et sur la spiritualité des laïcs. Manuscrit posthume.

Nombreux articles écrits en particulier dans les revues Terres d'Afrique (1944-1950) et Confluent (1956-1965). Une liste plus complète peut éventuellement être fournie.

 

 

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