Yves de

Boisboissel

 
 

Paris, 1886 Paris, 1960

Le général de Boisboissel a bien connu le maréchal Lyautey dont il fut un collaborateur privilégié. C'est son fils qui retrace ici la vie exemplaire de ce grand soldat.

De souche bretonne, Yves de Boisboissel ne naquit pas, comme l'aurait voulu la tradition, dans le manoir familial des Côtes d'Armor, mais à Paris. Il perçut néanmoins à quinze ans, en vrai "breznek" l'appel de la mer, et prépara l'Ecole Navale, au collège Saint-Charles à Saint-Brieuc.

Admissible, deux années de suite, il échoue de très peu. L'appel de la mer étant toujours là, il envisagea une carrière d'officier au long cours.

Après l'examen théorique, à l'Ecole d'Hydrographie du Havre, il embarque pour la partie pratique, comme "pilotin"(l) sur un Grand Voilier, le trois-mâts "Eugène Pergeline", de la Compagnie des Voiliers Nantais, pour un tour du monde de neuf mois.

Le trois mâts fait le transport du nickel, de la Nouvelle-Calédonie à Glasgow. Le jeune pilotin double "les trois Caps" de l'Hémisphère Sud, dont le fameux Cap Horn, ce qui, dans l'instant, l'autorise à "cracher au vent" et, plus tard, vaudra à la légion des Cap-Horniers de compter un général dans ses rangs.

Les possibilités de carrière dans "la Royale" ne s'annoncent pas brillantes, l'accès aux étoiles étant pratiquement réservé aux sortants du "BORDA"(2).

Il se tourne alors vers Saint-Cyr, où il est reçu, en 1906, 23ème sur 270 candidats.

A la sortie, il choisit l'infanterie Coloniale, "l'Infanterie de Marine" des années passées, dont elle a gardé l'emblème, l'Ancre d'or. Sous-lieutenant en octobre 1909, il est affecté au 22ème régiment d'Infanterie Coloniale, à Hyères.

Lieutenant le 1er octobre 1910, désigné pour le 2e Bataillon de Sénégalais à Tombouctou, il va mener pendant trois ans la rude vie de nomade. Pour le jeune officier, la vie de méhariste continuera, harassante et exaltante à la fois, jusqu'en juin 1913.

En fin 1911, il escorte l'azalai(3) sur Taoudenni. En 1912, il entre à Oualata, une ancienne capitale de l'empire du Mali, avec la colonne Roullet qui effectue la liaison avec les méharistes de Mauritanie. La jonction A.F.N.-A.O.F. est réalisée ...

Le 16 décembre 1912, il est cité à l'ordre de la Région de Tombouctou pour avoir mené de main de maître la poursuite d'un razzi. En mars 1913, il est proposé pour la Croix de la Légion d'Honneur, à 26 ans, fait exceptionnel pour l'époque.

Le 13 octobre 1913, il épouse Cécile de Gennes, qui l'aura attendu trois ans. De cette union naîtront quatre fils (dont la moitié choisiront le métier des armes mais qui, tous, seront des "coloniaux") et deux filles qui, elles aussi, passeront une partie de leur vie outre-mer.

Après quelques mois de "lune de miel" à Bordeaux, au 7e colonial, l'ancien méhariste est affecté au Maroc, c'est-à-dire qu'il est appelé à servir sous Lyautey. Le lieutenant ne tarde pas à conquérir l'estime et l'affection de ce chef, et lui-même s'attache sans réserve à son "patron". Cette vénération pour son grand aîné se reflétera plus tard dans la biographie(4) qu'il lui consacrera et cette admiration et cette affection seront partagées par les autres biographes du maréchal.

Fin juillet 1914, le Résident Général reçoit l'ordre de ne maintenir au Maroc que le minimum de forces indispensables et de réduire l'occupation à celle des principaux ports.

En août, les opérations consistèrent donc dans l'évacuation des six batteries et des vingt bataillons demandés par le gouvernement, et par la mise en place des Territoriaux venus de France, et qui vont être encadrés par des officiers ayant la pratique de la guerre en Afrique, comme le lieutenant de Boisboissel.

Le 9 mai 1915, celui-ci se distingue avec sa section de mitrailleuses, à l'attaque du Djebel Helfa, ce qui lui vaudra une citation.

En 1916, son tour est venu de partir pour le Front de France. Malgré les regrets que lui cause son départ du Maroc, le capitaine de Boisboissel ne cherche pas à l'éluder.

Il est remplacé dans son rôle d'officier d'ordonnance par Vladimir d'Ormesson, le futur académicien.

Le capitaine de Boisboissel ne tarde pas à se distinguer, notamment devant le Moulin de Laffaux, dont il couvre les abords avec sa Compagnie de mitrailleuses du 22e Colonial. Premiè~e citation, à l'ordre du Corps d'Armée, le 14 mai 1917.

Il reste seize mois sur le front français, où il reçoit une citation très élogieuse pour sa conduite au Chemin des Dames.

Le 15 juin 1918, il retrouve le Maroc, à l'Etat-Major du 1 er Corps d'Armée Colonial. Le 16 juin 1920, il est nommé Chevalier de la Légion d'honneur (la "proposition" était partie en 1913 ! ... ).

Encore un séjour en France, pour suivre les cours de l'Ecole de Guerre. Quand il en sort en 1923, il repart auprès de Lyautey, comme Chef du 3e Bureau ("opérations") de l'Etat-major.

Le 25 décembre 1924, il est promu Chef de Bataillon. A ce moment, aucune cour n'est aussi brillante que celle du proconsul Lyautey l'Africain. "Qui n'a pas connu le Maroc, et plus spécialement Rabat, de 1919 à 1924, n'a pas connu la douceur de vivre ou plutôt, et plus virilement, la joie de travailler, l'orgueil de créer, c'est-à-dire la grande passion humaine". C'est Boisboissel qui parle .

Il sait qu'il fait partie de "l'Equipe", de cette équipe qui, après avoir assuré la paix et l'ordre, la sécurité des transmissions, travaillait à donner à ce pays un outillage économique, une vie moderne, tout en assurant la sauvegarde de ses institutions traditionnelles.

De tout cela, il est fier. Dans l'entourage du Résident Général, lui, breton, il est l'un de ceux qui exigent que soient préservées les richesses artistiques et culturelles du pays, s'opposant au vandalisme des autochtones eux-mêmes.

Mais le chef riffain Abd-el-Krim se révolte, soulève les tribus, lance contre nous la "Djihad" (la guerre sainte) et marche sur Fès. Le sort du Maroc est en jeu. Cette marche est stoppée -de justesse- par le général de Chambrun.

"Abd-el-Krim tente alors la manœuvre par les ailes et, cette fois, ce sont les troupes du général Freydenberg qui le repoussent" .

Or, le commandant de Boisboissel est le Chef d'Etat-Major de Freydenberg -un fameux baroudeur-. En juin et début juillet 1925, alors que 5000 Riffains s'avancent dans la région de Taza, que des tribus se révoltent, menaçant de nous faire perdre l'Atlas, le Groupe Freydenberg "pion mobile qu'on promenait à la demande du danger, sur l'échiquier des coups durs", livre 32 combats en 19 jours.

En août 1925, le général Naulin, à qui le maréchal, à bout de force, a donné le commandement des opérations, cite à l'ordre de l'armée le commandant de Boisboissel "dont les brillantes qualités se sont à nouveau affirmées ... " et loue sa coopération à la coordination des troupes françaises et espagnoles.

Le 24 septembre 1925, le maréchal Lyautey donne sa démission ; non sans un grand déchirement, il va quitter ce pays auquel, depuis treize ans, il a donné toutes ses forces. On peut imaginer la peine d'Yves de Boisboissel. En décembre de cette année cruciale 1925, il est Officier de la Légion d'Honneur (après avoir reçu la Croix du Mérite Militaire espagnol) et l'objet d'une citation à l'ordre de l'Armée.

En 1926, il est Chef d'Etat-Major de la Région de Meknès, et participe activement à la réduction de la "tache de Taza". Troisième citation à l'ordre de l'Armée. Au cours d'une permission de cette année 1926, Yves de Boisboissel passa deux jours à Thorey auprès de son ancien patron, le vieux lion désabusé, qui "se consumait de n'être plus Lyautey" :

"Le Maroc? Connais pas !" avait-il répondu un jour à Pierre Laval. Mais il parle tout autrement à son ancien collaborateur. "Nous sommes seuls, parle-moi du Maroc !".

En 1929, on trouve encore le chef de bataillon de Boisboissel, commandant le cercle de Missour depuis janvier 1928, en opérations dans l'Aït Yacoub. Il ne refuse pas son estime à l'adversaire: "Une guerre n'est jamais joyeuse, mais c'était du beau combat, franc, à vue, braves contre braves." Il reçoit sa quatrième citation. Le 25 septembre 1929, il est promu lieutenant-colonel. "hors tour", au titre du Conseil supérieur de la Guerre.

Il va encore, comme Chef de son état-major, servir Lyautey à qui, enfin,   le Gouvernement a trouvé une tâche à sa mesure : l'organisation de l'Exposition Coloniale. Pour l'ancien proconsul, auquel la République rendait un hommage de reconnaissance bien mérité, ces quelques mois constituent "une bouffée d'air ensoleillé dans un long hiver". De nouveau, il crée, il bâtit. Il sait qu'il peut se reposer sur l'activité et la vigilance de "son" Boisboissel, qui est partout et fait merveille.

En août 1931, le lieutenant-colonel de Boisboissel prend les fonctions de Chef d'Etat-Major des troupes de l'A.O.F., auprès du général Freydenberg, qui l'a fait venir à Dakar. A Noël 1933, il est colonel et quand il est rapatrié, le 24 juillet 1934, le général Thiry, Commandant Supérieur, souligne ses qualités "qui en font un Chef d'Etat-Major modèle".

Lyautey venait de mourir, le colonel de Boisboissel fit partie de l'escorte qui emmena les restes mortels de Lyautey, de la Chapelle des Cordeliers, à Nancy jusqu'au croiseur Dupleix, à Marseille, où il embarqua pour ce Maroc que l'illustre défunt "avait tant aimé". De la fin de 1934 au 1er janvier 1937, le colonel de Boisboissel commande le 21 e Régiment d'Infanterie Coloniale, vieux régiment de Paris. Soit dit en passant, l'année 1936 ne fut pas de tout repos pour un régiment caserné à Paris même, et dans un quartier populaire de surcroît... C'est après ce commandement exercé dans des conditions difficiles, qu'il est désigné comme commandant en Second de l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Une consécration ...

Hélas, au lendemain des élections de 1936, sa nomination est annulée dans le contexte politique de l'époque. Il suit alors les cours du Centre des Hautes Etudes Militaires (CHEM), dont il sort, en juillet 1938, avec la mention "apte aux plus hauts emplois de la hiérarchie".

Il reprend alors la mer pour l'Indochine où il prend le commandement de l'infanterie de la Division "Cochinchine-Cambodge" et reçoit ses étoiles de général: En octobre 1940, il est chargé de la défense du Cambodge et "a la tâche bien lourde, étant données les circonstances politiques et la pénurie de nos effectifs d'arrêter la ruée siamoise sur le Cambodge" (Général Charbonneau) .

En février 1941, il quitte l'Indochine pour Alger où, comme adjoint au général Koeltz commandant le 19c Corps d'armée, il "manœuvrera", à la barbe des Commissions d'armistice allemande et italienne, pour maintenir en état l'Armée d'Afrique, et la préparer à la reconquête de la France aux côtés des Alliés.

Le 25 décembre 1942, ayant pris le Commandement du 19ème Corps, il est promu général de Corps d'Armée.

En juin 1943, il va prendre un poste à sa taille, celui du Commandement Supérieur des troupes de l'A.O.F.

Le 26 janvier 1944, il recevra une lettre officielle de félicitations du général De Gaulle, pour "la belle tenue des troupes sous son commandement".

Le 7 mai 1945, il est atteint par la limite d'âge et doit cesser ses fonctions.

Comme Lyautey vingt ans auparavant, l'activité qu'il vient de déployer pendant trois ans (et pour laquelle il sera élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur) dans des circonstances bien difficiles, ne l'a pas préparé à cette retraite "réglementaire". De plus, en France, il se sent un peu perdu dans l'atmosphère trouble des lendemains de la Libération. Mais il reprend vite le dessus: de multiples tâches, le sollicitent.

D'abord celle de chef d'une famille nombreuse, tâche où il est d'ailleurs secondé par une épouse dévouée et pleine d'initiative, et tous deux vont s'occuper activement, aux œuvres locales de leur lieu de résidence, Vaucresson, dans les Hauts­de-Seine, où ses six enfants viendront régulièrement lui rendre visite ou lui demander des conseils éclairés.

La proximité de la Capitale lui permet une activité culturelle inlassable dans tous les domaines, en particulier l'outre-mer.

- Comme adhérent, ou dirigeant de nombreuses associations, Sociétés ou Académie (et notamment la Société de Géographie Commerciale de Paris ... ).

- Comme conférencier : avec la Ligue Maritime et d'outre-mer, il parcourt la France entière. A l'Académie des Sciences d'outre-mer, il prend part aux débats, avec toute l'autorité que lui confère sa connaissance des questions africaines, notamment en ce qui concerne l'influence de l'Islam, religion et culture.

Prenant la parole à un déjeûner de la Société de Géographie Commerciale, quelques jours avant sa mort, Yves de Boisboissel concluait par ces mots à propos de l'Algérie: "Comme se plaisait à le répéter mon maître Lyautey, tout ce que nous avons fait de grand, outre-mer, ne l'a été que parce que nous y avons apporté une parcelle d'amour". Ce fut en somme son testament public.

Colonel Henry de Boisboissel

 

 

1- Elève-officier de la marine marchande.

2- Navire "Ecole Navale", un ancien "Vaisseau du Roi" ancré dans la rade de Brest.

3- Convois de chameaux qui transportaient le sel depuis Taoudenni (Soudan) jusqu'à Tombouctou.

4- Dans j'ombre de Lyautey.

 

 

Bibliographie :

 

* Henry de Boisboissel : La vie d'Yves de Boisboissel relatée ci-dessus a paru dans la Revue Economique Française, organe de la Société de Géographie Humaine de Paris. N° 2/2001.

* Ernest Le Barzic : Le Général de Boisboissel, un intime du lorrrain Lyautey. Imprimerie Simon à Rennes 1967.

 

 

Parmi ses œuvres :

 

* Dans l'ombre de Lyautey. Préface du    maréchal Juin. 1954.  Réédition l'Harmattan, Paris 1999.

* Nombreux articles dans des revues militaires ou traitant des questions d'outre­mer ou de politique générale, notamment dans les Cahiers Charles de Foucauld, du général Charbonneau, où il évoque de hautes figures de notre histoire militaire et coloniale.

* Peaux noires, cœurs blancs. Ed. Peyronnet Paris 1954.

* Lyautey, Maréchal de la plus grande France. Les publications coloniales, Paris 1937.

* Le Capitaine Georges Mangin, un baroudeur. Ed. Peyronnet. Paris 1954.

 

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