Emile

Mauchamp

 
 

Chalons-sur-Saône, 1870

Marrakech, 1907

Le docteur Mauchamp passant à cheval devant la Kotoubia, à Marrakech

 

Médecin courageux et dévoué aux populations marocaines. Mauchamp fut victime d'une cabale engendrée par la jalousie.

Sa mémoire fut réhabilitée après son assassinat.

 

Parmi les médecins qui ont laissé un nom dans l'Empire Chérifien, le docteur Mauchamp occupe une place un peu spéciale. Non seulement il a été un praticien dévoué à ses malades, mais son nom reste attaché, bien qu'à son corps défendant, à l'irruption militaire de la France au Maroc. Benoît, Pierre, Emile Mauchamp est né le 3 mars 1870 à Châlons-sur-Saône. Il fait ses études de médecine à Paris où il est l'externe de Lucas Championnière. Dans le service, il fait preuve d'un tel mépris du danger que lui est décernée la médaille de l'Assistance Publique.

Il soutient sa thèse (sur l'allaitement artificiel du nourrisson) en 1898, obtient deux prix de la Faculté et est nommé médecin-aide major de réserve en 1899. Il aime les voyages et pour satisfaire ses goûts il entre dans le cadre des " médecins sanitaires maritimes ". À ce titre il étudie diverses épidémies telles celles de la peste à Porto et au Brésil (1899), celle du typhus, en Grèce ... Le ministère des Affaires Etrangères le nomme à l'Hôpital Saint-Louis de Jérusalem où il restera de 1900 à 1905. Là encore il s'investit beaucoup au chevet des victimes de la variole, de la peste et du choléra. Le gouvernement turc lui octroie une décoration pour son "mépris tranquille du danger et sa foi inébranlable dans sa bonne étoile".

En 1905, le ministère des Affaires Etrangères décide la création de dispensaires d'assistance médicale au Maroc, dans les ports et quelques grandes villes. Mauchamp est désigné pour celui de Marrakech. Il arrive dans cette ville le 28 octobre 1905, admiratif, "par un beau soleil couchant qui nous fait traverser l'immense palmeraie dans une apothéose de féerie, mais horrifié par les têtes des vaincus qui pendent comme oignons qui sèchent au soleil aux créneaux 'des portes et des remparts."

Il est mal accueilli et personne ne veut le loger. Il est injurié dans la rue. On veut le contraindre à s'habiller à la marocaine et quand il demande un serviteur, on lui rétorque qu'il n'a qu'à aller au marché aux esclaves. Pourtant, dès qu'il. ouvre ses caisses de médicaments, dans la rue, les résistances tombent et, un mois plus tard, il note qu'il a déjà plus de quarante consultants par jour. Il loge alors dans une maison située en médina au fond d'une impasse (un derb) qui appartient au docteur Linarés(1). C'est là qu'il fait ses consultations et ses interventions chirurgicales, d'abord sur des notables de la ville, plus ouverts que le pauvre peuple.

En 1906 le typhus apparaît, tuant cinq mille personnes, auquel se rajoute la famine. Mauchamp, sur ses propres deniers, distribue lui-même une soupe aux malheureux. Il gagne rapidement une réputation de savant et de bienfaiteur, mais c'est compter sans les sournoises manoeuvres des Allemands(2) qui tentent par tous les moyens de s'opposer à la pénétration française. En particulier un certain docteur Holtzmann(3) qui fait courir le bruit que les médecins français font prendre "aux malades des drogues qui les guérissent momentanément mais les tuent sûrement quelques années plus tard.".

Mauchamp aurait pu facilement réfuter ces allégations, mais il n'en a cure et ne se rend pas compte du danger. Il étudie les pratiques de sorcellerie dont il se plaint amérement. S'il est bien en cour auprès du frère et khalifat du sultan, Moulay Abdelhafid qui lui offre même un magnifique cheval avec une selle marocaine brodée d'or et d'argent en remerciements de ses soins, il est en guerre ouverte avec le pacha de la ville, El Ouarzazi, personnage xénophobe et, de plus, jaloux de Moulay Abdelhafid.

Holtzmann a beaucoup d'influence dans le peuple car il s'est converti à l'Islam, a épousé une fille du pays. Il fait répandre le bruit que Mauchamp "n'est pas un médecin mais un espion envoyé pour préparer l'arrivée des troupes françaises au Maroc". Mauchamp n'en tient pas compte et tout le monde s'accorde pour dire que son dédain à braver l'opinion et les susceptibilités populaires frise l'inconscience. Attaqué un jour par une bande de fanatiques du marabout Ma el Aïnine, il est obligé de faire feu pour se dégager ...

Fin 1906, il vient en France et profite de son séjour à Paris pour demander que le dispensaire soit érigé en hôpital et qu'on lui accorde un médecin-adjoint, de préférence ophtalmologiste. Les Affaires Etrangères font la sourde oreille. Furieux, Mauchamp s'en prend à la Légation de France "On joue au polo à Tanger, alors qu'il s'agit de l'influence de la France et que je suis là pour ça !" Il se sent abandonné et démuni et revient à Marrakech le 1er mars 1907 accompagné du géologue Louis Gentil(4) apportant des cadeaux pour Moulay Abdelhafid.

Quelques jours plus tard, le 19 mars, Mauchamp installe sur sa terrasse un roseau avec un chiffon blanc pour signaler à Louis Gentil sa présence au dispensaire. Ce signal est l'occasion pour Holtzmann d'exciter la populace qui s'attroupe devant le dispensaire, faisant passer cet innocent signal pour une antenne de cette invention diabolique qu'est la T.S.F. Le pacha convoque le médecin, mais ne le défend pas, et c'est au retour de cette entrevue que la foule étant devenue très dense, compacte et hostile, Mauchamp est assailli, lapidé puis poignardé de trente-cinq coups de couteau, tandis que les femmes du haut des terrasses excitent la foule de leurs you-you . Les émeutiers pillent la maison de Maucharnp(5).

Louis Gentil, lui aussi, est menacé et ne doit son salut qu'en se barricadant dans sa maison et sur l'intervention de Moulay Abdehafid qui envoie ses troupes pour protéger tous les Européens et les évacuer, en pleine nuit vers la côte.

Plus tard, dans le dispensaire, on avait placé sur la cheminée du bureau un buste du médecin : il avait de fines moustaches en croc, de petits yeux vifs et décidés, les cheveux assez clairsemés avec une raie à droite.

La France demande aussitôt réparation pour cet assassinat et en gage fait occuper la ville d'Oudjda le 27 mars, par l'armée d'Algérie sous les ordres du général Lyautey. Cette occupation, qui devait être temporaire, devint définitive après les graves événements du mois d'août et le débarquement des troupes françaises à Casablanca. Aftn d'éviter de nouveaux incidents, le corps de Mauchamp sera transporté à dos de chameau, vers Mazagan et embarqué sur le croiseur Lalande qui, via Tanger, le rapatriera en France où il sera inhumé dans sa ville natale. Le ministre des Affaires Etrangères, en personne, vint à la cérémonie et décerna, à titre posthume, la Légion d'Honneur à Mauchamp.

Le docteur Guichard alors titulaire du poste du dispensaire de Mazagan lui succédera à Marrakech, en 1910. Mauchamp a laissé le souvenir d'un médecin dévoué à ses malades et curieux du milieu marocain, n'en déplaise à certains qui, critiquant son étude sur la sorcellerie au Maroc, osent écrire: " le Dr. Mauchamp, type extrême et caricatural de ces condottiere républicains, forcené fanatique de la libre­pensée, exaspéré par tout l'inconnaissable du Maghreb, prétendait faire l'autopsie morale de la société marocaine dans son enquête sur la sorcellerie au Maroc ". Cet auteur semble ignorer le Maroc profond encore actuel où le couscous roulé dans la main d'un mort, le mélange de sang d'une victime assassinée avec du cerveau de rat ... entrent encore dans les sortilèges (expérience personnelle 1950­1975, alors à plus forte raison au début du siècle).

En 1908 un nouveau consul de France est nommé à Mogador, M. Kouri, arabisant d'origine syrienne. Il a pour mission entre autres, d'enquêter sur l'assassinat de Mauchamp. Hélas ses recherches n'aboutiront jamais.

 

Maxime Rousselle.
Ex-Médecin de la Santé Publique au Maroc

 

Notes:

1 -Le sultan Moulay Hassan 1 l'avait offerte à Linarès lors de leur retour du fameux "voyage au Tafilalet" en 1893. Linarés ne voulut d'ailleurs jamais percevoir de loyer.

2 -Et, en moindre part des Anglais avec leur agent consulaire Lennox.

3 -Un faux médecin juif dont Mauchamp avait démasqué l'imposture, dit Deverdun (dans sa belle monographie sur Marrakech)

4 -Celui-ci devait devenir le " découvreur " des phosphates au Maroc.

5 -Le lendemain ce qui a pu être sauvé est envoyé à la Légation de France à Tanger. Il ne restera sur place que les livres.

 

 

Bibliographie :

 

Dr. Maxime Rousselle: Médecins, chirurgiens et apothicaires français au Maroc de 1577 à 1907. Chez l'auteur 140, avenue Vieille Tour 33400 Talence.

 

Parmi ses œuvres:

La sorcellerie au Maroc. Ed. Dorbon, Paris, 1910 (livre posthume à partir des notes prises par le docteur Mauchamp).

 

 

retour à la page des biographies