Gabriel

Germain

 

 

Paris. 1903

Chantilly. 1978

 

Ci-contre:

Gabriel Germain dédicace un livre (debout Henri Bosco).

Gabriel Germain est né à Paris en 1903. Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure et agrégé de lettres, il décide à vingt-quatre ans de s'installer au Maroc, où il enseignera la littérature au lycée Gouraud de Rabat (aujourd'hui lycée Hassan II) et où il se liera avec son collègue, l'écrivain Henri Bosco. Il est directeur du collège d'Azrou de 1941 à 1944, puis responsable du Bulletin de l'nstruction Publique au Maroc. De 1948 à 1954, il termine sa carrière marocaine en retrouvant le lycée Gouraud, en charge de la classe de Lettres supérieures. En 1954, il est nommé en France, à la Faculté de Lettres de Rennes. Il meurt en 1978 à Chantilly, où il s'était retiré. Il s'était marié en 1940, et sa femme, Odette Germain, pendant de nombreuses années, a enseigné l'anglais au lycée de filles de Rabat (aujourd'hui lycée Lalla Aïcha). Elle est morte en 1993. Gabriel Germain avait soutenu, en 1952, ses thèses de doctorat d'Etat: Essai sur la genèse de I04Yssée et Homère et la mystique des nombres, qui furent publiées. Au Maroc, Gabriel Germain peut mettre en œuvre les multiples dons de son esprit ou, comme il écrit, "tous les claviers de ses orgues intérieures" : helléniste, poète, romancier, essayiste, homme de théâtre, journaliste ... Mais il est d'abord professeur : il aime son métier auquel il se donne avec passion et rigueur. "Seul est un maître celui qui a le secret de communiquer son souffle", nous dit-il. Ses anciens élèves ont gardé un souvenir inoubliable de son enseignement et de ses relations avec eux, comme en témoignent MM. Kacem Zhiri, ancien ministre, et Ahmed Salmi(1) ou Jean-Pierre Luccioni et Guy Franco. Ce rayonnement a d'ailleurs contribué à l'organisation d'un colloque, en janvier 1993, en hommage à Gabriel Germain.

Les séances de ce colloque se sont tenues à Salé puis à Rabat. Pourquoi Salé? Parce que c'est dans la ville ancienne de Salé que Gabriel Germain a voulu vivre, dès son arrivée au Maroc, pour une insertion dans le monde marocain, proche du petit peuple, loin des mondanités du milieu européen de Rabat, et même loin de l'Occident, comme le proclame le héros de son roman,

largement autobiographique: "Et si je n'en veux pas de votre civilisation ? Si c'est elle que je trouve barbare ?"(2) Beaucoup ont reconnu l'authenticité de cette démarche, de cette "symbiose" avec le monde marocain(3), accompagnée d'une excellente connaissance de l'arabe, puis plus tard du berbère. "On peut dire que Germain compte parmi ces auteurs du temps du Protectorat qui furent les plus proches et les plus à l'écoute du Maroc", reconnaît Mme Naïma Harifi, professeur à la Faculté des Lettres de Rabat(4).

A Rabat, en 1932 et 1933, une troupe d'amateurs présente les pièces de théâtre de Germain: Les aigles meurent, Ibokadem et une comédie Madame et sa Fatma, satire du comportement de femmes de colons, qui constitue une tentative originale puisqu'elle veut refléter la réalité sociale jusque dans son langage, où se mêlent français et arabe. "Un vrai théâtre marocain, déclare-t-il, qui cherche à être l'image fidèle de la vie populaire, doit se faire polyglotte comme la rue".

Son premier recueil de poèmes Chants pour l'âme de l'Afrique, publié en 1936, manifeste, comme le dit M. Lahjomri, "son attachement violent pour l'Afrique" et "son amour sincère pour cette terre nouvelle"(5), Un vers comme celui-ci, qui s'adresse aux Africains, en dit long sur cet amour: "Tous ces mépris font des plaies à ma chair et je me rebelle pour vous". Plus tard paraîtront deux autres recueils de poèmes: Chants secrets pour la nuit et l'aurore (Cahiers du Sud, 1961), Chants du souvenir et de l'attente (Rougerie 1976).

 Pendant un quart de siècle, au Maroc, Gabriel Germain déploie une intense activité journalistique, avec une chronique régulière dans la Jeune République de Paris, héritière du Sillon de Marc Sangnier; puis, en 1943-1946, dans l'hebdomadaire Combat, publié à Alger. Il fait paraître dans le Bulletin de l'instruction publique au Maroc d'innombrables recensions d'ouvrages, qui vont de brèves présentations à de longues études, résultant de la masse impressionnante de ses lectures. En 1934, il publie une brochure de 76 pages, œuvre de militant, Colonisation et civilisation, dans laquelle il développe, avec une grande liberté d'esprit, sa critique de la colonisation, et il souhaite, dès cette époque, pour les pays colonisés, "une émancipation progressive qui aille jusqu'à l'indépendance" .

Pour achever cet aperçu de la vie marocaine de Gabriel Germain, notons ses amitiés avec Henri Bosco(6) et François Bonjean. Quand en 1960 se fonde l'association des Amis de François Bonjean, Gabriel Germain en devient l'actif président.

C'est après son retour en France qu'est édité, chez Plon, en 1958, son unique roman La lampe de Sala, rédigé en partie au Maroc et dont l'action se déroule en 1930 dans la médina de Salé.

Explorant les domaines de la poésie et du rêve, il écrit deux livres importants, dont le second ne paraîtra qu'après sa mort: La poésie corps et âme (1973) et L'aventure onirique (1986). C'est surtout Le regard intérieur (Le Seuil, Paris 1968), véritable autobiographie spirituelle, qui élargira son audience et suscitera dans la presse d'élogieux commentaires. Dans ces pages, Gabriel Germain fait cette déclaration qui le peint, lui l'humaniste, l'esprit libre, "hérétique de toutes les religions", "qui n'est pas né dans son lieu et dans son siècle" : "Mon XXe siècle à moi n'est pas fait des soixante ans que j'ai vécus; cinq millénaires l'habitent: je les tiens tout vifs dans mon sang".

Michel Lafon

Notes:

 

1 Cf Cahiers - Henri Bosco, N° 28 (1988), p.203-205.

2 La Lampe de Sala, p. 8.

3 D. Rivet, Lyautey et l'institution du Protectorat français au Maroc, L'Harmattan, Paris 1988, tome 2, p. 55, 124, 146.

4 Maroc .. littérature et peinture coloniales, Faculté des Lettres de Rabat, 1994, p. 35.

5 L'image du Maroc dans la littérature française, SNED, Alger 1973.

6 Quarante ans d'amitié par G. Germain, Cahier Henri Bosco, N° 25.

 

 

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