Henry

Dunant

 
 

Genève 1828

Heiden 1910

Carte postale avec timbre éditée par la Croix-Rouge Française en Algérie en 1954

 

On connaît Henry Dunant comme fondateur de la Croix-Rouge mais on sait moins qu'il a participé activement à l'implantation de colons suisses en Algérie.

Jean-Henry Dunant, fondateur de l'œuvre internationale de la Croix-Rouge et promoteur de la Convention de Genève, naquit dans cette ville le 8 mai 1828. Sa famille était protestante. Ses aïeux avaient rempli pendant plusieurs siècles d'importantes fonctions dans la magistrature de la République Genevoise. Son père, Jean-Jacques Dunant était membre du Conseil représentatif. Il dirigeait plusieurs affaires commerciales. Sa mère, Anne-Antoinette Colladon, eut sur son fils aîné beaucoup d'influence. Les ancêtres de madame Dunant étaient français, originaires du Berry. Ils avaient quitté Bourges lors de la Réforme.

 L'éducation que Dunant reçoit l'oriente dès son jeune âge vers la souffrance d'autrui. Il débute dans le monde des affaires en 1849 dans la maison des financiers Lullin et Sautter de Beauregard. Parallèlement, il participe à "1'Union chrétienne des jeunes gens" qui devait par la suite connaître un développement considérable. Recevant ses amis dans la propriété familiale, il édifiait des projets d'ordre international, cherchant à établir et à multiplier les contacts, les correspondances avec l'étranger, les voyages. Il continuera toute sa vie à penser et à agir à l'échelle universelle.

De cette période, datent de nombreux voyages en Hollande, en Belgique, en Alsace, en France, et naturellement dans toute la Suisse, pour la création de nouvelles Unions chrétiennes. En 1855, aura lieu à Paris la première Conférence Universelle des Unions. Les financiers Lullin et Sautter avaient l'ambition de créer en Algérie une colonie de peuplement vers laquelle pourrait être dirigée une partie de la jeunesse suisse. Après de nombreuses démarches, un domaine de 20.000 ha leur fut concédé par décret impérial du 26 avril 1853. L'aventure algérienne de Dunant commence le 18 août 1853, lorsque, au cours d'une séance du conseil d'administration, il est décidé "vu l'obligation d'avoir quelqu'un sur les lieux pour effectuer les paiements à faire à la fin du mois courant", d'envoyer à Sétif un des employés de la maison. Le destin des hommes tient parfois à peu de choses ; celui sur lequel on avait compté ne pouvant faire le voyage, c'est Dunant qui, au pied levé, va le remplacer. Il s'embarque, le 1er septembre pour l'Algérie.

Arrivé à Sétif, il se met à l'œuvre et consacre l'essentiel de son temps au service de la Compagnie et aux préparatifs rendus nécessaires par l'arrivée imminente des premiers colons. Il prend même certaines initiatives qui ne rencontrent pas toujours l'assentiment des autorités de Genève. Rentré à Genève après une absence de plus de deux mois, il rend compte de son activité devant le Conseil d'administration. Homme à tout faire de la nouvelle Compagnie Genevoise, il fait paraître dans la Presse des articles en faveur de l'émigration, accomplit une tournée de propagande dans le canton de Vaud, menant à bien une campagne de recrutement, tâche difficile compte tenu de certains intérêts antagonistes.

Une nouvelle mission lui étant confiée, il retourne à Sétif à la fin du mois de mai 1854. Ce second séjour se poursuivra pendant plus de trois mois, jusqu'à la mi-septembre. Il permet à Dunant de réaliser certains projets personnels ; il obtient notamment l'autorisation de commencer les travaux d'un premier moulin.

De retour à Genève, Dunant peut dresser un premier bilan du comportement de la compagnie Vaudoise qu'il a contribué à diriger vers Sétif. Hélas, le tableau est plutôt sombre. Depuis un an la petite communauté a connu des désillusions. Arrivés avec des ressources insuffisantes, les colons vivent dans des logements précaires, dans des conditions d'hygiène déplorables. Pour comble, ils sont victimes d'une double épidémie de choléra et de thyphoïde qui, en quelques semaines, a décimé le petit village d'Aïn-Arnat. C'est dans ces tristes circonstances que s'achève fin 1854 la mission officielle que la Compagnie genevoise avait assignée à Dunant.

Le 1er mars 1855, six mois à peine après son précédent séjour, Dunant entreprend un troisième voyage en Algérie, accompagné de son frère Daniel. Il trouve une colonie en plein désarroi, au paroxysme du mécontentement et du découragement. Il entreprend alors des relations d'affaires avec la Compagnie Genevoise qui se poursuivront jusqu'en 1867. Henri Nick, que la Compagnie envisage d'ailleurs un instant de prendre à son service, est alors, avec Daniel Dunant, la cheville ouvrière de la plupart des transactions. Ils font le commerce des céréales et des bestiaux. Les marchés conclus sont nombreux. Mais les difficultés ne manquent pas. Dunant se heurte au refus du Conseil d'administration de la Compagnie concernant l'achat d'une chute d'eau destinée à l'établissement d'une minoterie. Après de nombreuses démarches, il obtient du Gouverneur de Constantine une concession de 8 ha et il fonde en 1856 La Société Anonyme des Moulins de Mons-Djemila.

Petit à petit, Dunant s'est éloigné de ses anciens employeurs. Divers incidents ont conduit au relâchement graduel des liens étroits tissés par des années de travail et de vie en commun avec la Compagnie Genevoise. Malgré tout, il entretiendra encore de bons rapports avec quelques-uns des anciens membres du conseil d'administration.

Selon ses biographes, Dunant aurait été particulièrement en butte au mauvais vouloir de l'administration. Il semble cependant qu'il ait fait l'objet d'une attention bienveillante des autorités puisque, dans sa chasse aux concessions, il obtiendra deux chutes d'eau et plus de deux cents hectares de terres ainsi que des concessions de mines et plusieurs centaines d'hectares de forêts de chênes­lièges à Akfadou. Ce sont les garanties fournies par sa fortune personnelle, ainsi que les appuis de hautes personnalités genevoises qui permirent à Dunant la réalisation de tels projets.

Tour à tour cependant, dès 1864, toutes ces entreprises périclitèrent. Les intérêts de Dunant, bien que diversifiés, reposaient sur des bases peu solides. Les dettes devinrent considérables et conduisirent Dunant, par le jeu de spéculations successives, en 1867 à la faillite et à la ruine. Par jugement du 17 août 1868, la Cour de Justice de Genève le considère comme le principal responsable de la faillite du Crédit genevois. Ce fut la fin tragique de son aventure algérienne.

Il ne nous appartient pas de développer le rôle de Dunant dans la création de la Croix-Rouge. Il faut cependant tenter d'établir le lien entre cet épisode algérien et ce qui fut la grande œuvre de sa vie. En 1859, il est au Piémont(1). Y était-il, pour obtenir de Napoléon III qui se trouvait alors en Italie, une concession très désirée, ou, selon ses propres dires, comme

"touriste, tout préoccupé des questions d'humanité ?" D'après Jacques Pous, il est difficile de le préciser.

Il n'assiste pas à la bataille de Solférino, n'arrivant dans le village que le lendemain, mais la vision d'horreur du champ de bataille suscite en lui un désir subit d'agir sans retard pour porter secours à la masse de blessés. Il oublie alors pour un temps les soucis de ses affaires algériennes pour ne plus penser qu'à l'urgence des souffrances à soulager. C'est à Solférino qu'il a véritablement rencontré son destin.

La recherche des profits n'avait pas été le seul aiguillon de l'enthousiaste colonisateur. Dunant s'est vivement intéressé à la civilisation arabe, persuadé de la mission civilisatrice et religieuse des chrétiens dans les pays islamisés. La fréquentation de l'Islam a été l'occasion pour lui d'affermir sa foi. Philanthrope, idéaliste, Dunant, frappé par la catastrophe financière de 1867, devait sombrer vers l'âge de quarante ans, dans un état dépressif. Il connut alors plus de quarante années d'exil et de solitude que ne compensera pas un prix Nobel de la Paix, décerné en 1901, reconnaissance bien tardive de l'œuvre accomplie.

 

Odette Goinard

 

 

1 Pour libérer l'Italie du Nord de l'occupation autrichienne, les forces françaises de Napoléon III, alliées des Piémontais, battent les Autrichiens à Palestro, Magenta et Solférino.

 

 

 

Bibliographie:

 

* Jacques Pous, Henry Dunant l'Algérien ou le mirage colonial. Editions Grunauer Genève 1979.

* Gilbert Sigaux, D'hommes à hommes, la vie d'Henry Dunant, récit historique inspiré du film de Christian Jaque et Charles Spaak. Editions de Flore. Paris 1948.

* De l'utopie à la réalité : actes du colloque Henry Dunant tenu à Genève au palais de l'Athénée et à la chapelle de l'Oratoire les 3, 4 et 5 mai 1985, publiés par Roger Durand. Genève, Société Henri Dunant 1988.


 

Principales œuvres d'Henry Dunant:

 

* Mémoires, texte établi et présenté par le professeur Bernard Gagnebin. Ed. L'Age d'homme, Genève 1971.

* Notice sur la Régence de Tunis, Genève 1858, * L'empire de Charlemagne rétabli ou le Saint­Empire Romain reconstitué par sa Majesté l'empereur Napoléon III, Genève 1859,

* Mémorandum au sujet de la Société financière et industrielle des Moulins de Mons-Djemila en Algérie, au capital de un million, Genève 1859,

* Un souvenir de Solferino (première édition en 1864), suivi de l'Avenir sanglant, Genève 1969.

* L'Algérie, le passé, le présent. Accompagne les statuts de la Société l'Omnium Algérien destinée à favoriser le développement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture en Algérie (Genève 1865),

* Projet de société internationale pour la rénovation de l'Orient, Paris 1866,

* Société internationale universelle pour la rénovation de l'Orient, exemplaire unique, confidentiel, Paris 1866.

* Adresse aux nations de l'Extrême Orient, Dunant H. et Suttner B. Communiqué et approuvé au Congrès de Hambourg, séance du 14 août 1897.

 

 

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