Angèle

Maraval-Berthoin

 
 

Oran 1875

Sainte-Eugénie 1961

 

 

Je suis particulièrement heureuse d'évoquer une grande dame des lettres et un cœur généreux qui fut intimement liée à ma famille puisqu'elle était l'amie de ma grand-mère paternelle, Léopoldine Herelle. J'ai donc, dès mon enfance, fréquenté la propriété de Sainte-Eugénie où elle recevait tous ceux qui, venus de métropole, de l'étranger ou de nos provinces algériennes, étaient artistes ou mécènes.

C'est dans son salon que j'ai dit, à quinze ans, mes premiers poèmes. C'est auprès d'elle, qui réunissait chaque année, à Paris, dans un salon de l'Hôtel Régina, Place des Pyramides, ses amis de la capitale, que j'ai eu le privilège de rencontrer Maurice Genevoix, Georges Lecomte, Pierre Paraf, et surtout le délicat poète parnassien Emile Moussat.

Angèle Maraval-Berthoin a raconté dans Le Drac l'histoire de son père, Jean-Louis-Joseph Berthoin, parti tout jeune de Grenoble, son pays natal, pour Marseille où, au sein des usines Bérard, il s'était élevé de simple ouvrier à fondé de pouvoir et enfin, associé. Puis, enrôlé volontaire dans l'Armée d'Afrique, il devint armateur, exportateur, colon. Le général de Montauban, commandant la division d'Oran disait: "Où passe Berthoin, passent le courage, l'intelligence et la bonté." Ce sont bien ces hautes qualités qu'il avait transmises à sa fille.

Il est vrai que son épouse n'en était pas dépourvue : Célina était la dernière des six enfants des Labuxière-Lasniers, et la plus artiste, élève pour le chant et le piano d'Émile Prudent et du célèbre Marmontel. Amédée et Arthur Labuxière étaient amis d'enfance et camarades de collège des fils du roi Louis-Philippe. Ils les suivirent tout naturellement avec les troupes levées en métropole pour l'Algérie.

La paix conclue en Algérie, toute la famille des Labuxière de Lachaise vint s'installer à Oran où les deux fils étaient enrôlés dans l'armée et les quatre jeunes-filles, aidées de leur mère et de leur tante Adélaïde de Lasniers, filleule de Madame Adélaïde de France, sœur du roi, fondèrent la première institution de jeunes filles en Algérie

Angèle Maraval-Berthoin a mis son cœur et son esprit d'organisation au service des plus pauvres tant à la Croix-Rouge qu'à la Goutte de Lait et son talent d'artiste au service de cette Algérie qu'elle aimait de toute son âme, cette Algérie qu'elle a su écouter et traduire. Elle a écouté le Hoggar: "il est encore pareil au Targui mystérieux qui garde la pensée secrète de son front à l'abri du litham, le voile noir enroulé à ses tempes."

A une époque où bien rares étaient les voyageurs qui osaient se rendre dans le grand sud, elle a séjourné par trois fois à Tamanrasset. Elle disait : "J'ai pu pénétrer plus avant dans l'âme de ce Hoggar fier et distant qui, suivant sa propre expression, barricade la porte de sa demeure, comme celle du coffre de sa pensée et de tous ses autres coffres par une serrure à trois clefs ( ... ) J'ai écouté les vieilles mamans fredonner leurs berceuses à leurs tout petits enfants, et les jeunes vierges, les jeunes femmes échanger leurs confidences avec le jour, avec la nuit, et rire au soleil et à la lune."

Elle a écouté la parole de l'amenokal Moussa-Ag-Amastan et celle de Dassine, la douce, la belle, la forte, celle qui fut l'amie confiante du père Charles de Foucauld qui lui avait dit : "Je crois que notre pensée, passée par tes chants à toi, serait écoutée ... " C'était une pensée d'amour et de respect.

Et elle a porté la parole du Hoggar vers les rives frelatées de la Seine où ses contes, ses légendes, sont apparus comme une source d'eau fraîche. Ce furent Les Clefs du Hoggar, Le chapelet des vingt-et-une Koubas, Les sultanes du jour et de la nuit, Les voix du Hoggar. L'Académie Française, couronna cette œuvre. Angèle Maraval-Berthoin avait fondé une association, les 4 A : Association Amicale des Artistes Africains, qui, par ses prix, récompensait chaque année romanciers et poètes, peintres et sculpteurs et qu'elle dotait généreusement.

Paul Reboux à qui les Allemands avaient proposé de reprendre la direction de Paris Soir, sous leur contrôle, avait préféré mettre entre eux et lui la Méditerranée et, coupé de la métropole en 1942 par l'arrivée des Américains en Algérie, il séjourna quatre ans à Oran. Il écrivait :

"C'est pendant ces quatre années que j'ai pu juger combien la ville d'Oran, où je m'étais fixé, devait de gratitude à madame Maraval-Berthoin, tant pour son activité artistique et littéraire que pour son sens admirable des organisations sociales ( ... ) De son salon, elle avait fait un centre littéraire et artistique, digne des grandes dames du XVIIIe siècle et des salons qui, à la Belle époque, groupaient à Paris les écrivains et les artistes en des réunions où brillaient perpétuellement les étincelles de l'esprit français. L'intérêt qu'elle attachait à l'âme musulmane et l'art avec lequel elle exprimait la poésie des décors africains montrent à quel point les Français d'Afrique du Nord avaient su se mettre en accord d'ondes avec les traditions et les réactions psychiques indigènes nées au pays des oueds, des palmiers, du ciel toujours limpide et du soleil généreux."

Il est vrai que madame Maraval-Berthoin avait un caractère indomptable. Pourtant les épreuves ne l'ont pas épargnée. Son fils aîné, Julien, disparut prématurément. Puis son cadet, José, esprit fin et cultivé devait mourir durant la guerre de 1914-1918 et la douleur de sa mère s'est sublimée en des vers admirables: Les Vainqueurs et D'argent, d'azur et de flamme. Des trois fils qui lui faisaient couronne, seul survivra Théo, qui deviendra médecin, épousera Germaine Sendrars et aura un fils Henri et une fille Hélène.

Angèle Maraval-Berthoin, qui s'exprimait alors en tous sens : peinture, musique et poésie, ne tarda pas à conquérir Paris en ce qu'il avait de meilleur.

Le vieux Charles Lecoq, auteur de La Fille Angot, mit ses vers en musique. François Coppée, se souvenant qu'il dut son renom à un acte en vers créé par Agar et Sarah Bernhard, fit bon accueil à celui qu'elle apportait: Rêve d'un soir qui fut monté par Irénée Mauget au Pré-Catelan, en ce fameux Théâtre des Fleurs de l'impératrice Eugénie, avec Andrée Pascal, la créatrice des Bouffons dans le principal rôle. Adolphe Brisson, dans Les Annales, reproduisait ses premiers vers illustrés par Suréda et consacrait une grande place dans son feuilleton du Temps à ce frais dialogue. Franc-Nohain, dans L'Écho de Paris saluait ses Poèmes Algériens et ses Terres de Lumière et Gaston Deschamps, dans Les Débats, disait très longuement sa sympathie à la débutante. En résumé ce fut un salut unanimement élogieux de la grande presse parisienne à celle qui allait, pour nous, faire tomber le voile magique et mystérieux du Hoggar. Le reste de l'histoire appartient à la Renommée.

Angèle Maraval-Berthoin était très coquette. Elle cachait avec soin sa date de naissance en 1875, probablement au mois de mars. Toujours vêtue de noir, très élégante, avec de ravissants chapeaux à voilette, elle gardait grande allure à un âge avancé. A Oran, elle était une "Institution" . Nous la croyions immortelle. Lorsqu'elle fit une mauvaise chute en 1956 et, je crois, se cassa le col du fémur, l'Algérie était la proie du terrorisme FLN et son monde, notre monde, chancelait sans que nous nous en rendions bien compte. C'est à cette époque que je fus le plus près d'elle. Souvent, je me rendais à Sainte-Eugénie, Je lui faisais la lecture et l'écoutais parler littérature et poésie. Elle aimait à rappeler qu'elle fut la première femme à survoler le Sahara en avion.

Elle me parlait aussi de son amitié pour ma grand-mère et confirmait ce que celle-ci m'avait raconté. Alors qu'elles étaient toutes deux très jeunes, paraissait à Oran une feuille hebdomadaire satirique: Le Charivari Oranais et Algérien. Son rédacteur-directeur, Zimmerman, y déversait l'esprit montmartrois. Il avait une fille devenue madame Lerebourg dont l'époux était préfet. Ces trois espiègles racontaient dans ses colonnes les potins de la ville sous le nom de La Tia Bolbassa et chacun s'étonnait de cette mystérieuse personne au courant de toutes les petites intrigues ...

Ma mère, Yvonne Herelle, succéda à Angèle Maraval à la tête de la Croix-Rouge d'Oran alors que le docteur Malméjac prenait la direction de la Croix-Rouge pour le département.

En dépit de sa volonté farouche, Angèle ne put reprendre une Vie active. Les "événements" la bouleversaient. Elle eut, comme nous tous, un peu d'espoir en mai 58, hélas! vite déçu. L'Algérie entière était la proie du terrorisme FLN. Se rendre à Sainte­Eugénie devenait hasardeux : on frôlait les quartiers de la Ville Nouvelle et du Village Nègre où les enlèvements, les assassinats étaient fréquents. Seul, le téléphone nous reliait à elle mais sa voix n'était plus qu'un souffle. La providence miséricordieuse a permis qu'elle parte en janvier 1961 et, ainsi, ne connaisse pas l'exode du printemps et de l'été 1962 qui emportait avec cent-trente-deux ans d'histoire, le beau rêve d'un pays de cultures conjuguées.

Pourtant, la belle histoire ne s'arrête pas là. En 1999, la fille d'Henri et Jacqueline Maraval a soigné une jeune musulmane à l'hôpital de Nanterre. A la vue de l'ordonnance, celle-ci lui dit qu'elle portait le nom de l'endroit où vivaient ses parents à Oran : Maraval ! Ce n'était pas comme on pouvait le penser au quartier Maraval, mais bien à Sainte-Eugénie. La mère de cette jeune femme, lui expliquait alors qu'ils avaient protégé Sainte-Eugénie du pillage. Ils y habitaient et l'entretenaient, mais surtout, en souvenir de tout le bien fait par madame Maraval-Berthoin, ils s'efforçaient de donner à plus malheureux qu'eux des vêtements et du lait. Ainsi, quarante ans après sa mort, Angèle Maraval-Berthoin continue de rayonner et son oeuvre sociale se perpétue tandis que son œuvre littéraire murmure à l'oreille les mots des sultanes du jour et de la nuit.

 

Geneviève de Ternant

 

 

 

 

Parmi ses œuvres:

 

Editions Fasquelle :

Les Clefs du Hoggar Dassine, sultane du Hoggar

Le Drac

 

Alphonse Lemerre :

Poèmes algériens

Terres de lumière

 

Albin Michel :

Miguel

Cœurs rouges (couronné par l'Académie Française)

 

Piazza:

Légende de Lalla Marnia

Le chapelet des vingt-et-une Koubas

Chants du Hoggar (couronné par l'Académie Française)

La sultane rose

Les voix du Hoggar

Sultanes du jour et de la nuit

 

 

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