Frédéric

Weisgerber

 
 

Sainte Marie aux Mines 1868
Rabat
1946

 

Médecin avant tout, il fut fidèle à la France à travers son action efficace au Maroc.

A la fin du XIXe et au début du XXe siècle le Maroc est encore un pays assez fermé et il faut être un intrépide "explorateur" pour le parcourir et le faire connaître. Certes, il y avait eu l'admirable exploit de Charles de Foucauld et la publication de sa Reconnaissance au Maroc en 1885, mais de nombreux sites restent à visiter, de nombreuses tribus à reconnaître ...

C'est pourtant comme médecin, exerçant son métier que Weigerber commence sa vie au Maroc en s'installant à Casablanca en 1896. Comme Charles de Foucauld, Frédéric Weisgerber est né en Alsace, à Sainte-Marie-aux-Mines le 30 mars 1868. Il est donc Français. Il est arrière-petit-neveu du vainqueur de Valmy, le général Kellermann.

 A partir de 1886 il étudie la médecine à la Faculté de Strasbourg puis à celle de Kiel et obtient en 1892 le diplôme allemand de docteur en médecine . Durant toutes ses années d'études il milite avec des groupes estudiantins pour préserver la culture française malgré l'occupation germanique. Puis il passe en France, reprend ses études et obtient le doctorat français qui lui permet d'exercer en France.

"Mais il a l'esprit aventureux et lors d'un court séjour à Londres, en 1895, il s'engage comme médecin navigant à bord du Bellérophon, navire qui assure la ligne des Iles de la Sonde (actuelle Indonésie). A Noël de cette même année son navire entre en collision, au large d'Alger, avec un bâtiment de la Cie Schiaffino. Débarqué, pour une quinzaine de jours, à Alger, il prend ainsi contact avec l'Afrique du Nord, et l'année d'après, décide de s'installer à Casablanca, qui n'est alors qu'une petite bourgade de vingt mille Marocains (musulmans et Israélites) et quatre cent cinquante Européens. Ces derniers sont, pour un médecin libre, les seuls clients potentiels, ce n'est donc pas la fortune qui l'attend. De plus, Weisgerber arrive à un mauvais moment: l'année 1896 voit des invasions de sauterelles, des récoltes déplorables; l'insécurité règne aux abords de la "ville", le choléra fait sa réapparition. La population européenne a tendance à diminuer. Et il Y a déjà trois médecins dans la bourgade.

Weisgerber pratique la médecine pendant un an, apprend l'arabe et étudie les mœurs. Mais, tout au long de sa vie, il n'en continue pas moins à observer, noter, les pratiques médicales traditionnelles marocaines : il publie dans la Revue des Sciences pures et appliquées un long exposé sur les guérisseurs et leurs pratiques dans le traitement des maladies infectieuses (fièvre typhoïde, variole, lèpre ... ) ou parasitaires (paludisme, syphilis) ... Il décrit les "interventions" relevant de la chirurgie, fractures (correctement appareillées), luxations, (laissées sans réduction) plaies par armes blanches (sur lesquelles on met du henné et des toiles d'araignées pour arrêter l'hémorragie). Cinquante ans avant le Traité de toxicologie marocaine de Charnot, il dresse un lexique de matière médicale locale, mentionnant un grand nombre de plantes et produits utilisés qui va de l'aloès (purgatif) à l'ambre gris (aphrodisiaque) dont on parfume le thé à la menthe dans les milieux aisés ... Fin 1897, le Dr. Linarés (médecin, de la mission militaire française auprès du jeune sultan Moulay Abd-el-Aziz) étant absent, Weisgerber est appelé par le grand vizir, vieillissant, Ba Ahmed. Il se rend auprès de son malade, au camp de Sokhrat ed Djeja où une mehalla chérifienne réprime des troubles en tribu.

Weisgerber en profite pour noter tout ce qu'il voit. L'organisation de la mehalla, la vie ­du sultan dans son camp, la façon dont sont traités les prisonniers ... Il relate tout cela dans Trois mois de campagne au Maroc publié par le Journal d'Alsace-Lorraine de Strasbourg en avril 1905.

Malheureusement, à son retour à Marrakech en mars 1898, Weisgerber est atteint du typhus exanthématique. Il est alors soigné par le docteur Linares, revenu de France, et par un médecin du consulat d'Allemagne. Il regagne Casablanca en juin et y passe deux mois de convalescence.

Cette randonnée dans le Maroc profond a réveillé en lui des désirs d'exploration. À peine rétabli, en septembre, il part pour une grande tournée dans le nord du pays, visite Rabat, Meknès, Ouezzane, El Ksar, Tanger etc ... Lors de son passage à Fès il se rend, déguisé en arabe, aux sources sulfureuses de Moulay Yacoub (interdites aux "infidèles") et effectue des prélèvements pour analyse et décrit longuement l'usage qu'en font les Marocains dans la revue LA Géographie en 1902.

"C'est un misérable hameau d'une centaine de masures au plus, entourant le sanctuaire et les 1 deux principales sources qui lui ont valu sa célébrité. .. Ces sources se trouvent à quelques mètres de distance {une de {autre au milieu du village. Leur eau a une température + 53° C. Elle est limpide, incolore, d'une saveur salée et nauséeuse, dégageant une odeur peu accentuée d'hydrogène sulfuré."

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"Tous les scrofuleux, syphilitiques, ladres, perclus de l'Empire Chérifien semblent s'y être donné rendez-vous et étalent sans honte leur corps ... attendant leur tour de participer aux bienfaits de l'eau miraculeuse, à l'odeur d'œuf pourri en invoquant à grands cris Allah et Moulay Yacoub ! "

Il a été le premier à s'intéresser scientifiquement à cette importante source thermale. Il décide, dès son retour à Casablanca, de procéder à l'exploration systématique du pays.

Il parcourt toute la Chaouïa et en dresse la cartographie ainsi que le plan de Casablanca. La passion de tout visiter ne le lâchera plus. Il se rend à Mazagan, à Mogador d'où il embarque pour Madère et les Canaries.

Se retrouvant sans ressources, n'étant conventionné par aucun organisme, il est contraint de reprendre du service à bord de navires anglais avec lesquels il se rend en Chine et au Japon. Il publie de nombreux articles sur ces pays et même un Vocabulaire et éléments de grammaire de malais vulgaire.

Lors d'une escale en Europe, en 1903, il défend l'intégrité du Maroc dans un article paru dans Le Temps:

"La seule solution équitable, écrit-il, du problème marocain est le maintien du Sultan dans {intégrité de son patrimoine far le fait et sous {égide bienveillante et loyale de la puissance la plus capable de lui venir en aide et de lui fournir les moyens de rétablir son autorité et de réorganiser son pays. Cette puissance est incontestablement la France. "

Après la visite éclair de Guillaume II à Tanger (31 mars 1905) il défend les intérêts de la France au Maroc lors de conférences publiques.

En août 1907, lors du débarquement français à Casablanca, il est en France et ce n'est qu'en 1909 qu'il peut revenir au Maroc en qualité de correspondant du journal Le Temps. Il fait alors réellement un travail de journaliste en envoyant des articles sur ce qui se passe au Maroc. Il est reçu par le nouveau sultan Moulay Abd-el­Hafid.

Il visite de nouveau Fès et Marrakech et en dresse les plans de ville et des environs.

Cartes et plans qui seront des aides précieuses pour l'expédition du général Moinier en mai 1911, quand il se porte au secours du sultan et des Européens encerclés, à Fès, par les tribus berbères, et du raid, sur Marrakech, du colonel Charles Mangin contre les hommes d'El-Hiba en septembre 1912.

Il se trouve à Fès, où il loge chez notre consul Henri Gaillard, dont il devient l'ami, au moment des tragiques "journées sanglantes" (17-18-19 avril 1912). Il pressentait le drame qui allait arriver quand il écrivait dans les colonnes du Temps:

"II s'est produit quelques attentats isolés, commis par des fanatiques, mais .rymptôme plus significatif, les enfants dans les rues commencent à insulter les passants européens. Or c'est par la bouche des enfants qu'on apprend les sentiments de leurs parents."

Il fait partie, comme médecin (et corres­pondant de guerre) de la colonne Dalbiez qui doit installer une garnison chérifienne à Sefrou, au sud de Fès. Il échappe de justesse à un enlèvement organisé par la tribu des Aït Youssi. Il est alors décoré de la Légion d'Honneur. Par son prestige il réussit, en 1912, quelques missions de diplomate entre le Maghzen et les tribus tant autour de Fès que de Marrakech.

En 1913, notre consul à Fès, Henri Gaillard, qui vient d'être nommé Secrétaire Général du Gouvernement Chérifien, lui propose de la part de Lyautey de devenir Conseiller pour les affaires marocaines, poste qu'il accepte avec enthousiasme. Eclate alors la Guerre de 1914. Il est affecté comme officier interprète à la 2e Division Marocaine puis à la 96e Territoriale, en Champagne où il participe à la bataille du 13 juillet 1915 et est cité à l'ordre de la Division avec attribution de la Croix de Guerre. Mais le général Lyautey le réclame au . Maroc où il reprend son poste de Conseiller. A quarante-huit ans, en 1916, il se marie, à Rabat, avec une réfugiée belge, mère de deux enfants, secrétaire dactylographe à la Résidence. Il passe alors dans l'administration des Contrôles Civils où il exerce successivement en qualité de Contrôleur Civil à Settat (en Chaouïa) puis à Mazagan (dans les Doukkala), poste qu'il occupera pendant dix ans jusqu'à sa retraite en 1926.

N'ayant pas de pension ni de fortune il accepte alors de devenir Chef du Personnel de la Banque d'Etat du Maroc, poste qu'il occupera jusqu'à sa retraite définitive en 1936. Là encore, il continue à s'intéresser aux affaires marocaines ; les Marocains, les fonctionnaires de la Résidence viennent le consulter. Il est l'ami de nationalistes pour lesquels il s'efforce d'assouplir les positions trop drastiques des autorités. Il participe activement à la création du Château-Musée de Thorey, à la mémoire de ce chef qu'il admirait, le maréchal Lyautey. Il continue à donner des conférences et à faire des cours aux futurs officiers des Affaires Indigènes, écrivant de nombreux articles et livres. Son oeuvre de géographe, cartographe et ethnologue (ethno-médecine notamment) est considérable. Frédéric Weisgerber s'éteint à Rabat en 1946 à l'âge de soixante-dix-huit ans. Sa vie, aux multiples facettes fut tout entière consacrée au service de la France et du Maroc, sa patrie d'adoption.

 

Docteur Maxime Rousselle

 

 

 

 

PARMI SES ŒUVRES

 

- Au Seuil du Maroc Moderne, 1947

- Nombreuses notes médicales, scientifiques, ethnologiques.

- Articles dans L'Illustration, Le Temps, etc. ..

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

- Laurence Weisgerber : Le Docteur Weisgerber, médecin, géographe, administrateur, pionnier du Maroc moderne, thèse de médecine, Strasbourg, 1982.

 

 

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