Alberte

Sadouillet-Perrin

 
 

Saint-Cyprien 1899

Saint-Cyprien 1999

 

Devenue journaliste à Alger presque par accident, elle consacrera sa vie à l'écriture et ne reviendra en Périgord, sa terre natale, que pour des motifs familiaux.

Le plus vieil écrivain journaliste d'Algérie vient de disparaître dans sa centième année. Plusieurs centaines de personnes ont accompagné Alberte Sadouillet-Perrin au cimetière de son village natal, Saint Cyprien en Périgord, où elle était revenue à son départ d'Algérie.

Rien, au début de sa vie, ne destinait au métier des lettres la jeune Périgourdine issue d'une très ancienne famille d'agriculteurs, épouse d'un officier d'artillerie. Rien sinon la guerre.

Au printemps 1941, Alberte s'installe avec ses trois enfants à Alger où son mari vient d'être nommé au service cinématographique de l'armée. Dix huit mois plus tard, le capitaine Perrin quitte Alger pour les combats de Tunisie, participe au débarquement en Corse, retrouve la France dans les rangs de l'armée de Lattre. Il est tué aux environs de Lons-le-Saulnier.

Restée seule avec trois enfants, coupée de sa famille, sans ressources, sans diplôme, sans aucune relation dans cet Alger qu'elle était encore en train de découvrir, Alberte se jette dans sa passion gardée secrète jusque-là dans la quiète vie de garnison, elle écrit des bouts d'articles, un projet de roman, des contes pour enfants ...

Entrée à la préfecture comme auxiliaire, le Service des Réquisitions de logements (le bureau des pleurs et misères, écrit-elle) lui donne la matière de son premier ouvrage Les mémoires d'une auxiliaire. Elle y décrit avec un mélange d'humour malin et de tendresse le petit monde des employés de l'administration algérienne où les jalousies existentielles, entre Juifs, Arabes, Kabyles, "Français de souche" s'affrontent dans une camaraderie étonnante pour cette Périgourdine plutôt cartésienne, qui joue souvent les arbitres.

Outre l'écriture de son livre, elle adresse aux journaux locaux des articles et assure le secrétariat de l'Union Féminine Civique et Sociale où elle rencontre des hommes et des femmes de qualité. Elle se-lie d'amitié avec une grande figure de la Résistance, Yvonne Pagniez.

Peu à peu ses articles font autorité. Son exceptionnelle curiosité, mise au service d'une culture qu'elle enrichit d'innombrables lectures, lui fait aborder les sujets les plus divers, agriculture, grands travaux, art et artisanat locaux, interview de personnalités ... Ses enquêtes paraissent en particulier dans Dimanche Matin, chaque semaine, et dans Algéria la très belle revue algéroise.

La brutalité des événements (il ne fallait pas encore parler de guerre !) bouscule à partir du mois de novembre 1954 le bonheur que lui donnait l'exercice de son métier dans cette Algérie à laquelle l'attachait des liens devenus passionnés. La Francaoui cherche à comprendre le drame qui se noue. Elle ne voudra jamais admettre que les oppositions qui séparent Français de souche et autochtones puissent se perpétuer. Elle adresse aux journaux d'Algérie mais aussi de Métropole des articles de protestation contre la haine qui monte et le désastre économique qu'elle entraînera à coup sûr. Elle y assure sa foi dans l'avenir de l'Algérie française régénérée par le Plan de Constantine. Comme elle l'écrit dans un journal de la France de l'est, en février 1957, elle appartient au monde des passe-murailles, ces gens "sachant maîtriser leurs complexes de peur, de colère, de rancune, pour continuer d'aller les uns vers les "autres et passer les murailles, franchir les fossés ".

Les Editions Baconnier publient en 1956 :

En Algérie au fil du drame, écho tragique des deux premières années de la rébellion et protestation véhémente de l'ignorance manifestée par Paris de l'œuvre pacifique accomplie en Algérie au cours des cent trente années de présence française. Ce sera là un leitmotiv de ses écrits postérieurs. Elle ne cessera pas de décrire ces exemples de passe-murailles que sont les officiers SAS, les nouvelles municipalités, ou cette admirable femme médecin ophtalmologiste qui, chaque année, consacre aux confins du Sahara, une saison bénévole au profit des grands malades du sud-algérien ... (1) "Passe­murailles", mot inventé par Marcel Aymé, que n'eut pas désavoué Albert Camus ... Dans ces années-là, Alberte parcourt l'Algérie dans d'incessants voyages à travers la Kabylie, le Constantinois, le Sahara. Elle les effectue dans des conditions souvent aussi inconfortables que périlleuses : l'Inox, dernière création

du réseau ferré algérien, n'est pas son moyen de locomotion habituel, davantage la Jeep d'un officier SAS, la voiture obsolète d'un agriculteur, un rafiot au long de la côte de Didjelli-Bougie. Voire, un poids lourd chargé de matériel de forage. " . C'est ainsi qu'au printemps 1958, elle part à la demande de son journal enquêter du côté de Tamanrasset où l'on vient de découvrir des traces de tungstène, de platine, de diamant. Elle refuse de prendre l'avion, elle choisit la route, de "taper la tôle", de "piquer la krechba", comme disent les routiers du Sahara, ceci pour visiter au passage les oasis. Après deux étapes satisfaisantes, en deux camions successifs, l'équipage d'un troisième la laisse au bord de la piste, à l'ombre précaire d'un buisson d'épineux, sous le prétexte que dans cette zone interdite les camions ne peuvent transporter de passagers ! Alberte, 49 ans, sous son buisson d'épineux, apprend en plein désert à faire du stop.

Jusqu'aux derniers moments de la présence française, Alberte Sadouillet­Perrin attendra, de ce Sahara qu'elle aime viscéralement, le miracle économique qui en fera la pièce maîtresse de l'Eurafrique à naître. Elle termine l'un de ses derniers articles par une citation d'un ancien Gouverneur de l'Algérie: "Le Sahara illumine l'avenir".

1961. Pour des motifs familiaux graves, elle retourne en France. Elle continue pendant quelques mois à donner des conférences dans diverses villes du centre et du sud-ouest. Mais quand nos troupes quittent l'Algérie, elle cesse définitivement d'évoquer le sort de celle qu'elle appelait la "Nouvelle France". Elle a tourné la page et passe les quarante dernières années de sa vie à des recherches historiques sur le Périgord, sa terre natale, auquel elle consacre une douzaine d'ouvrages et d'innombrables articles.

Silence mais non pas oubli d'une terre aimée avec passion.

En 1995 (année où elle donne sa démission de journaliste) elle écrit France-Algérie, un manuscrit de mémoires, 150 pages dédiées "à ma descendance ", ce qui en dit long sur l'importance qu'elle attachait à sa vie en Algérie. Au lendemain de sa mort, ses enfants ont découvert avec stupeur un manuscrit de 300 pages, daté de 1965, intitulé: Les avant

dernières journées (carnet d'un témoin), dont elle n'avait jamais parlé, où elle relate une fois. encore, avec de précieuses précisions, son expérience algérienne et les étapes inexorables d'un drame auquel elle ne se résigna jamais.

 

 

Anne de Mazières.
Fille de madame Sadouillet-Perrin

 

1 - Il s'agit du docteur René Antoine

 

 

PARMI SES ŒUVRES:

- En Algérie au fil du drame. 1956. Editions Baconnier

- Les captives du Banel, La Bonne Presse1956

- Les avant-dernières journées (carnet d'lm témoin). 1965 - 1999.

 

 

 

 

 

 

 

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