Pol

Lapeyre

 
 

Paris 1903

Beni Derkoul (Maroc) 1925

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le courage exemplaire de ce jeune sous-lieutenant de vingt-deux ans a incité la promotion d'élèves de Saint-Cyr de 1926-1928 à prendre son nom.

Pol Lapeyre est né le 8 mai 1903 à Paris, d'une famille originaire du Midi près de Carcassonne. Son père était commis à l'administration centrale de la Marine. La famille, très unie, fut le véritable creuset, plein d'affection, qui forgea l'âme de Pol.

En 1913, il entre au Collège d'Etampes où il fait des études sérieuses, manifestant un. net intérêt pour les belles lettres, l'histoire et le latin. Quand son frère aîné entre à l'Ecole Navale, il se sent lui aussi attiré par le métier des armes. Il souhaite préparer Saint-Cyr et choisir la Coloniale.

Son père ayant été nommé à Marseille en 1917, il est pensionnaire au Lycée Saint­Louis, mais rejoint très vite la cité phocéenne où il poursuit ses études au Lycée Thiers. Puis c'est l'entrée à Saint-Cyr en 1921.

C'est alors un grand garçon longiligne, au sourire franc, et aux dires de ses professeurs " charmant et plein d'entrain".

A la sortie de l'école, dans un rang assez modeste, le sous-lieutenant Lapeyre est affecté pour son plus grand bonheur, au 22e Colonial, en garnison à Marseille. Les terres lointaines fascinent le jeune officier et il rêve déjà de l'Indochine, du Cameroun, mais en 1924, son stage à Marseille achevé, il choisit, dans l'ordre : l'Indochine, le Maroc, Madagascar, et c'est au Maroc qu'il est envoyé. Il fête son affectation en dansant toute une nuit avec des amis faisant preuve

d'une formidable joie de vivre. Pourtant, cet été 1924 est le dernier qu'il devait connaître .. Débarquant au Maroc, Pol y est reçu par Urbain Blanc dont son père avait été le secrétaire particulier au ministère de l'Intérieur. Par amitié, on lui propose de choisir entre deux postes disponibles : officier d'ordonnance auprès du commandement d'Agadir ou au 1er Régiment de tirailleurs sénégalais à Fès.

"C'est ce dernier qu'il me faut, réplique-t-il vivement, un Saint-Cyrien ne débute pas dans l'Infanterie Coloniale par un emploi de bureau !"

Il est maintenant à la Se Compagnie, sous les ordres du capitaine Pietri, et il est désigné pour prendre le commandement du poste de Beni-Derkoul. Ce poste n'existe que sur le papier. Il faut le faire sortir de terre, là-haut sur son piton du Rif, dominant les fertiles plaines de la vallée de l'Ouergha convoitées par Adbdelkrim, le chef de la rébellion rifaine.

Pour construire le fort, il s'improvise architecte, charpentier... il faut tout faire venir de Fès, vivres pour neuf mois, munitions, canon de 75 (dont il faut apprendre le maniement et y former les hommes), installer le téléphone de campagne ... Il fait des projets d'avenir: planter un jardin pour avoir des vivres frais, un poulailler, ménager l'accès aux sources ...

La population alentour, fidèle - pour le moment - l'accepte et il est reçu par les chioukh et le Caïd. Les lettres qu'il écrit à sa famille sont pleines d'optimisme. Ce Caïd s'enquiert même de sa famille et apprenant qu'il est célibataire lui propose de le marier à de charmantes femmes de la tribu ... Rien ne laisse penser durant cette période d'octobre 1924 à mars 1925 qu'un drame puisse éclater. En mars 1925 il apprend qu'il devra se rendre à Rabat pour trois mois dès que son remplaçant sera arrivé, mais il ne veut pas abandonner son poste où les événements peuvent changer car on vit maintenant un doigt sur la détente. En "effet, en mars la situation bascule. Des alertes, quelques balles et quelques grenades atteignent Beni Derkoul. Il se réjouit de n'avoir eu aucun blessé dans sa troupe qui ne comprend qu'un sous­officier, deux soldats français et trente-et­un tirailleurs sénégalais.

Le 16 avril, les choses se gâtent vraiment et le poste doit riposter vivement à une attaque. Tous les postes du Rif sont attaqués. Le 3 mai le poste de Beni Derkoul est encerclé une première fois. Le siège dure dix jours. Pol Lapeyre écrit alors "Mon poste vient d'être libéré. Je me porte comme un charme et je n'ai pas de blessé". Hélas quelques jours plus tard, les Rifains, conseillés par des instructeurs allemands encerclent de nouveau le poste. Cette fois l'étreinte ne se relâchera pas. Le 17 mai il envoie un message optique ; "ai été attaqué. Moral excellent. Envoyez eau pour neuf jours. Réserve de bois s'épuise." Mais il ne reçoit rien car les secours ne peuvent passer. Le 25 mai il fait une sortie pour aller chercher de l'eau et il télégraphie: "avons rentré huit jours d'eau et de bois. Un tirailleur blessé au bras. Tout va bien."

Un avion lui largue des provisions et un message disant que dès la délivrance du poste il sera décoré de la Légion d'Honneur pour sa conduite héroïque.

Et puis plus rien. On sait qu'il tient toujours car au lointain on entend la fusillade et les coups de canon. Le premier juin, des secours tentent de passer mais en vain. Mais le 8 juin, les autres postes Archane, Bibane, Aoudour tombent. Il fait passer un message "moral excellent. .. mes types ont été formidables, faites récompenser les survivants. " Il reste calme, mais lucide et ne semble pas se faire d'illusion sur l'issue des combats.

Il ne lui reste plus que onze hommes avec leurs fusils mais seulement 120 grenades, 20.000 cartouches et 700 coups de canons. Le cercle se resserre. " Je redoute un coup de main. Nous n'avons plus d'eau que jusqu'au 14, secours nécessaires avant le 13 au plus tard. Ferons notre devoir. " On lui répond par message par avion : "Tenez jusqu'au 16. Opérations en cours empêchent venir à votre secours avant cette date. Armée et pays suivent votre résistance avec anxiété et admiration. Etes autorisés, si cela est possible, à abandonner le poste ... "

Le 9 et le 10 il repousse trois attaques. Le 14 au matin un canon pilonne le fort. Le supérieur de Pol Lapeyre lui donne l'ordre de repli -comme si cela était encore possible !- dans la nuit du 13 au 14, après avoir détruit toutes les armes laissées sur place! Mais il sait, et la petite garnison sait aussi, que personne ne sortira.

 Le 14 juin au matin le Caïd de la tribu, son ami, est assassiné ce qui entraîne la dissidence de toute la tribu. Et le poste qui n'a plus ni grenades ni canon, se défend encore au fusil ; à 16 heures, par optique , il signale que le poste est envahi "tirez (nous) dessus ... " Les hordes dissidentes, excitées, fanatisées hurlent des menaces aux défenseurs : "Nous vous couperons le cou ... vous ouvrirons le ventre ... " A 19 heures 30 les Rifains sont dans la place et le capitaine d'artillerie chargé d'aider à l'évacuation signale "une épaisse fumée noire s'élève et on perçoit trois explosions, j'ai l'impression que le poste s'est fait sauter". Et c'est vrai ! Les 300 kilos de poudre qui devaient servir aux travaux de piste ont trouvé là leur dernière utilité. Le petit sous-lieutenant l'avait prédit quelques semaines plus tôt "s'ils rentrent dans le fort... je leur jouerai une bonne farce."

Ce dimanche 14 juin 1925 le sous-lieutenant Pol Lapeyre avait vingt-deux ans. Ainsi s'achève la vie du jeune cyrard qui avait fait sienne la devise de l'Ecole "plutôt mourir que se rendre".

Dans cette période de l'entre-deux-guerres, où la frivolité et le matérialisme animaient la jeunesse de France, un tel geste de glorieux devoir militaire paraît anachronique et dérisoire. Pourtant, ce sont ces valeurs qu'il eût fallu exalter face à la barbarie naissante et contagieuse de ce XXe siècle.

En France, on danse le charleston tandis que des jeunes meurent pour unifier le Maroc, le pacifier et l'ouvrir à la modernité. Il est de bon ton de déprécier tout ce qui est militaire et s'y rapporte. Ceux qui tuent des soldats français trouvent des défenseurs et des encouragements jusqu'à l'Assemblée Nationale ... L'idée de Patrie, d'Honneur, de Devoir, devient objet de risée. Et pendant ce temps-là la barbarie s'installe depuis le Rhin jusqu'au fin fond de la Sibérie et se prépare à détruire l'Europe et à empoisonner le monde entier.

Petit sous-lieutenant Pol Lapeyre, tu aurais dû être un exemple à suivre, mais à part tes amis et tes supérieurs tu as été bien vite oublié. Certes, on t'a décerné la Légion d'Honneur à titre posthume, bien faible consolation pour ta famille. Le général Gouraud a baptisé la promotion de Saint-Cyr 1927 " Sous-lieutenant Pol Lapeyre". On a donné ton nom à quelques rues à Rabat, à Casablanca, à Etampes où tu fus élève, et puis l'oubli ... Amis, ayons une pensée pour cet adolescent qui. porta si haut le sens du devoir et de l'abnégation.

 

Dr Maxime ROUSSELLE

 

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