Charles

Jagerschmidt

 
 

Paris 1830

Paris 1894

Un séjour relativement court au Maroc permit néanmoins à ce diplomate de servir les intérêts de la France par son intelligence efficace.

Parmi tous les diplomates qui représentèrent la France au Maroc au XIXe siècle, une mention spéciale doit être faite pour Charles Jagerschmidt qui fut en poste à Tanger de 1850 à 1855.

Né à Patis d'une famille alsacienne protestante le 3 juin 1830, Charles Jagerschmidt après de brillantes études, fur reçu à l'Ecole Navale, mais par suite d'un fâcheux accident, il ne pur concrétiser sa vocation de marin. Il s'oriente alors vers le Droit et opte pour la carrière diplomatique des consulats.

Après une affectation comme agent non rétribué au Liban, il est nommé secrétaire de légation et débarque à Tanger le 11 juillet 1850. Tanger est à l'époque, la ville des consulats. La plupart des pays européens y sont représentés par des consuls généraux ou des chargés d'affaires. Les intrigues y sont le pain quotidien des diplomates. Notre vice-consul à Rabat était alors la proie des calomnies et des chicanes du caïd Hadj Abdelatif. D'autre part, la Grande-Bretagne, représentée par Sir John Drummond Hay, s'efforce de contrecarrer l'influence de la France.

A ce moment, l'Emir Abdelkader, assigné à résidence au château d'Amboise, avait demandé au gouvernement français d'avoir auprès de lui son neveu Mohammed Es­Saddok, qui était détenu par les autorités marocaines depuis 1847. On fit appel à Jagerschmidt pour résoudre ce délicat problème. Sur son initiative, le neveu fut « enlevé » pendant la nuit par une chaloupe d'un navire de guerre français, le « Solon », tandis que notre agent en profitait pour avoir avec le caïd de Rabat des entretiens qui résolurent tous les problèmes locaux. Cette intervention améliora la position de la France au Maroc. Il obtint même de pouvoir visiter la ville de Salé à cheval, ce qui est un grand honneur quand on sait l'hostilité des Slaouis envers les chrétiens et obtint des forts de Rabat le salut de vingt et un coups de canon au départ du navire qui l'avait amené.

Puis de graves incidents se produisirent, auxquels Jagerschmidt eut à faire face :

- agression du drogman1 français Auguste Beaumier par l'attaché du consulat anglais, Frank Hay, frère du consul,

- viol de l'exterritorialité de la Maison de France par un chérif fanatique,

- vol commis au préjudice du censal2 juif de la Mission de France,

- pillage en avril 1851 du brick-goëlette, le « Courraud-Rose », échoué dans l'estuaire du Bou-Regreg face à Salé, par les habitants de cette ville.

Ce dernier incident revêt aux yeux de notre agent un caractère d'extrême gravité car il met en cause le prestige et la crédibilité de la France à Tanger. Le gouvernement français exige une réparation financière de la part de la ville de Salé. Devant l'inertie du sultan, et après un essai de négociation infructueux, Jagerschmidt se résout à demander à son ministère une démonstration de force navale. Une escadre, sous les ordres de l'amiral Dubourdieu, bombarde Salé. La nouvelle du bombardement cause une grande inquiétude dans tout le Maroc et amène un changement d'attitude de la part des autorités. Le 12 mars 1852, Jagerschmidt, qui s'était installé à Algésiras, revient à Tanger en grande cérémonie et reçoit l'assurance du Maghzen3 d'accorder dorénavant sa protection à toute personne chrétienne, maure ou juive, couverte par le pavillon français.

Par son habileté et sa détermination, Charles Jagerschmidt joue durant toute cette période un rôle primordial. Son action est reconnue et il est fait chevalier de la Légion d'Honneur le 15 décembre 1851. Les incidents continuent pourtant, comme l'attaque au poignard de notre vice-consul à Rabat par un Marocain. L'énergique intervention de Jagerschmidt permet d'obtenir la bastonnade du coupable sur les lieux du délit, comme c'était alors la coutume.

Les rapports avec les autorités consulaires britanniques s'améliorent. Le bombardement de Salé a fait baisser dans l'esprit des Marocains la croyance au soutien inconditionnel de l'Angleterre et John Hay, en prenant conscience, se rapproche de notre représentant. Tous deux se mettent même d'accord pour obtenir des concessions du Maghzen.

La tâche et les attributions de Jagerschmidt sont alors multiples et variées. En tant que chargé d'affaires, il a un rôle diplomatique : il renseigne et informe le ministre des Affaires étrangères de la situation du Maroc. Notre agent a toujours été à la hauteur de ses attributions, ne pensant qu'à l'intérêt de son pays. A ce titre, il a une nette vue de la situation du Maghreb dont il analyse parfaitement tous les aspects politiques, sociaux, économiques.

 

En 1853, il favorise le pèlerinage à La Mecque du chérif d'Ouezzane. Celui-ci s'embarque à bord de « l'Albatros ", frégate de la Marine nationale et ne tarit pas d'éloges, à son retour, sur les attentions qui lui ont été prodiguées.

Charles Jagerschmidt se constitue ainsi un capital d'amitié et d'estime qui lui valent même à plusieurs reprises d'être le confident d'opposants au sultan qui auraient voulu que la France les aidât à renverser celui-ci et à moderniser le pays. Durant la campagne de Crimée, il use de son influence pour convaincre le Maghzen de rester neutre et d'interdire aux navires russes l'accès aux ports marocains, faisant ressortir que dans ce conflit, la France défend les musulmans.

S'intéressant à toutes les facettes de la politique de la France au Maroc, Charles Jagerschmidt était l'homme des situations délicates. Afin de mettre fin aux attaques incessantes des Marocains contre les tribus se trouvant à la frontière marocaine, Jagerschmidt se rend à Oran en mai 1852 où il rencontre le général Pélissier, puis à Alger pour voir le gouverneur général Randon. Celui-ci s'opposait à toute action armée contre les pillards, alléguant que la « diplomatie » ne le permettait pas. Jagerschmidt mer les choses au point. Sur la frontière, il rencontre le général de Montauban, lui donnant les coudées franches pour des actions contre le banditisme de la frontière.

En 1853, à l'instigation de l'ingénieur hydrographe Vincendon-Dumoulin, notre chargé d'affaires obtient du ministère de la Marine, qu'un relevé hydrographique sérieux soit fait de la côte sud du détroit de Gibraltar, alors fort mal connue. En août 1854, un aviso à vapeur, « Le Phare ", arrive à Tanger avec une équipe de scientifiques. La mission sera effectuée. Charles Jagerschmidt malgré toutes les objections soulevées par le Maghzen, en se joignant lui-même à l'expédition, en permet la réussite complète. Pour le remercier, la Mission hydrographique donne l'année suivante le nom de Jagerschmidt à deux îlots et un petit cap situés sur la côte du Rif.

La dernière grave affaire dont eut à s'occuper notre diplomate fut celle du meurtre d'un commerçant français, Paul Rey, par un chérif fanatique. Ce crime, commis sur une place de Tanger, en public, avait eu un important retentissement tant dans la population musulmane que chrétienne. Par ses interventions énergiques auprès des autorités locales et du sultan lui-même, Jagerschmidt obtint le châtiment du coupable qui fut exécuté sur le lieu même de son crime.

Jagerschmidt s'intéresse à la question de la piraterie qui sévit de façon endémique sur les côtes du Rif. Il suscite quelques interventions de notre marine de guerre sur des objectifs ponctuels, mais l'engagement de la France dans la guerre de Crimée ne lui permet pas d'obtenir une action d'envergure. Jagerschmidt suit en outre de près les questions commerciales. Il défend les intérêts du commerce français qui, se heurtant à l'avarice du sultan Moulay Abdallah, est rendu difficile par le monopole d'Etat et les variations arbitraires des droits de douane.

Afin de faciliter la navigation dans le Détroit, Jagerschmidt prend en 1852 l'initiative de faire ériger un phare au cap Spartel, par les puissances européennes. Ce phare ne fonctionnera qu'en 1861 et fit l'objet de la convention de 1865.

Si le séjour de Charles Jagerschmidt au Maroc fut de courte durée, il fut néanmoins capital pour résoudre toutes les difficultés de la crise franco-marocaine.

Comme l'a écrit Jacques Caillé : « Charles Jagerschmidt apparaît comme le type par excellence de ces hauts fonctionnaires qui, à toutes les époques, sous tous les régimes et quels que fussent leurs sentiments personnels, ont servi la France avec passion et largement contribué à sa grandeur ».

Par la suite, Jagerschmidt fut consul à Odessa et occupa des postes à haute responsabilité au ministère des Affaires étrangères où il joua un rôle important dans de nombreuses conférences internationales. Il finit sa carrière comme ministre plénipotentiaire de première classe et mourut à Paris le 10 mai 1894.

 

 

Odette Goinard

d'après les documents du docteur Maxime Rousselle

 

 

 

 

1 - Ancien nom des interprètes officiels au Levant.

2 - Nom des commissaires-interprètes dans les consu­lats au XIXe siècle.

3 - Gouvernement du sultan.

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

- Jacques Caillé, CharlesJagerschmidt, chargé d'affaires de France au Maroc, Librairie Larose, Paris, 1951.

- Jacques Caillé, La France et le Maroc en 1849, in Hespëris, 1946.

- Jacques Caillé, La représentation diploma­tique de la France au Maroc. Ed. Pédone. Paris, 1951.

- Dossier Jagerschmidt au ministère des Affaires étrangères, Paris.

 

 

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