Marcel

Isman

 
 

Sidi-bel-Abbès 1906

Saint-Maur-des-Fossés 1996

 

 

Ingénieur à l'esprit inventif, Marcel Isman s'intéressa à la vinification pour en améliorer le processus et mit au point l'utilisation du gaz de fumier comme carburant.

Sa silhouette mince, élancée, son élégance discrète et naturelle lui conféraient davantage l'allure d'un gentleman britannique que celle d'un fils de la Méditerranée.

Marcel Isman naquit le 26 août 1906 à Sidi-Bel-Abbès, d'une famille très anciennement installée en Algérie, tant pat sa mère que par son père. Celui-ci, ingénieur de l'Ecole d'agriculture de Grignon, était venu en Algérie en 1885 et était devenu le troisième directeur de l'Ecole d'agriculture algérienne, fondée en 1905, qui prit le nom d'Institut agricole d'Algérie.

Ses qualités, reçues dans sa jeunesse au sein d'une famille exemplaire, s'épanouirent tour au long de sa vie: honnêteté et droiture, attachement profond à la patrie, esprit d'entreprise, courage et détermination. Son cursus scolaire fur particulièrement brillant, tant à l'école primaire supérieure de Maison-Carrée, dans la filière préparant à l'école des Arts et Métiers, qu'au lycée Bugeaud d'Alger. Etant fort en toutes matières, mais particulièrement en physique et chimie, il obtenait régulièrement le prix d'excellence mais pratiquait aussi la gymnastique, l'escrime et l'aviron.

En 1924, il entra à l'Institut agricole d'Algérie dont l'enseignement, très diversifié, comportait des stages obligatoires sur le terrain, et c'est au cours de l'un d'eux qu'il créa une installation de culture de levure sélectionnée pour ensemencer le moult de raisin.

 En juin 1926, reçu à moins de vingt ans major de sa promotion, il obtint le diplôme d'ingénieur. Il commença alors une carrière d'enseignant à l'Institut Agricole: préparateur stagiaire du laboratoire de génie rural, il fut chargé de cours de mathématiques dès 1927. Ses obligations militaires accomplies, il fut nommé répétiteur en 1929, puis chef de travaux, chargé de cours, il enseigna l'électronique, la topographie et la mécanique.

Il épousa en 1933 Georgette Buis, fille d'un conseiller à la cour d'appel d'Alger, elle-même pied-noir de la troisième génération par sa mère.

Survint la deuxième guerre mondiale. Il rejoignit en 1939 le front de Lorraine au sein d'un régiment de tirailleurs algériens. Après sa démobilisation en 1940, il devint professeur titulaire de la chaire d'électronique, nouvellement créée, et dispensa son enseignement avec expérimentations et travaux pratiques d'application, ceci avec l'appui d'Electricité et Gaz d'Algérie (E.G.A.) dont il assura aussi la formation des agents. Mais sa vocation était surtout la recherche qui l'attirait dès son plus jeune âge. A treize ans, il avait réalisé un poste récepteur, puis un émetteur à lampes avec haut-parleur. Sa curiosité scientifique le poussa à fréquenter le laboratoire de physique industrielle de l'Institut. Une première mission de recherche lui fut confiée: étudier la possibilité d'utiliser les excédents de production de l'huile d'olive. Ses essais sur la viscosité montrèrent qu'elle pouvait servir au graissage des moteurs.

En 1934, il entreprit des recherches sur la vinification avec le professeur Gilbert Ducellier, également ingénieur et chargé de cours et de travaux à l'Institut. Les viticulteurs se heurtaient en effet à une grave difficulté lorsque la température extérieure dépassait 34°, ce qui arrêtait la fermentation du jus de raisin. Œnologues et constructeurs de caves avaient sans succès cherché à résoudre ce problème, Au bout de deux ans, Isman et Ducellier mirent au point « l'autovinification thermostatique » grâce à un appareil très judicieusement conçu. Tous les traitements physiques que devaient subir le moult et le marc au cours de leur fermentation étaient réalisés automatiquement et gratuitement permettant d'obtenir des vins meilleurs et, surtout, ôtant tout souci au vinificateur.

Les recherches furent une nouvelle fois interrompues par la deuxième mobilisation de Marcel Isman en 1942. Il revêtit à nouveau l'uniforme pour participer à la campagne de Tunisie. En 1943, le prix Faucon de l'Académie d'agriculture, récompensait ses travaux. De 1945 à 1953, Isman et Ducellier améliorant encore leurs recherches, mirent au point la compression du gaz de ferme, son épuration simple et économique avec l'élimination de la totalité de l'hydrogène sulfuré et de la presque totalité du gaz carbonique, ce qui le débarrassait de l'effet corrosif et de la mauvaise odeur.

Parallèlement, Marcel Isman étudia l'utilisation du gaz de fumier pour l'alimentation du moteur à explosion et en 1946, il réussit à équiper un premier tracteur pour la marche au gaz de ferme. Faute de crédits, il devait attendre 1949 pour faire fonctionner la première automobile et démontrer que l'alimentation, par ce gaz, des moteurs diésel et semi-diésel était possible.

En 1957, la Revue des Chambres d'agriculture reconnut que la rentabilité des installations de gaz de ferme était largement prouvée. A ce moment, elles dépassaient le millier, tant en France qu'en Algérie où elles jouaient le rôle de complément d'électricité dans les zones rurales et augmentaient beaucoup les rendements par l'amélioration de la qualité des fumiers. Mais un temps nouveau commençait, celui de l'énergie abondante et à bon marché (électricité, pétrole) et les perspectives d'avenir du gaz de ferme s'évanouirent. pour un temps. Cette invention devait cependant renaître lorsque survint la crise du pétrole en 1973. Marcel Isman, arraché de son Algérie natale par le « vent de l'histoire» devait entreprendre à 56 ans, et durant quatorze années, une nouvelle carrière en qualité de titulaire de la chaire de Génie Rural à l'Ecole nationale d'agriculture de Paris-Grignon.

Ayant pris sa retraite, il fut sollicité d'urgence, à près de soixante-dix ans, pour animer colloques, conférences et rédiger des articles en vue de faire connaître le gaz de ferme susceptible de doter les occidentaux d'une certaine indépendance énergétique. Ses efforts aboutiront en 1975 à la conclusion d'un contrat de redéveloppement pour la « mise au point d'un fermenteur modulaire pour déjections animales et sous-produits agricoles en vue de la production de méthane ». Marcel Isman va alors concevoir une cuve de fermentation moderne où le travail de manutention sera le plus faible possible. Celle-ci sera réalisée en une station de trois cuves au centre d'expérimentation de l'Institut technique des céréales et des fourrages à Boigneville (Essone). Cette station produira journellement 10 m3 de gaz par tonne de matière sèche, soit un rendement très satisfaisant. Avec la société Seral de Pau, il mit aussi au point la solution pour la fabrication industrielle des installations futures.

Devant l'Académie d'Agriculture de France, le 28 février 1979, le dynamique professeur septuagénaire pouvait affirmer que l'installation de production de bio-méthane, outre l'importance d'énergie fournie, donnait aux matières fermentées une qualité d'engrais supérieure, réalisait une épuration efficace d'effluents, était amortissable en six ans et pratiquement inusable.

Ressentant alors le poids des ans, Marcel Isman s'éloignera discrètement, laissant à l'INRA le soin d'avancer désormais dans ces recherches. Certes celles-ci perdirent leur caractère d'urgence, mais elles ne furent pas abandonnées. Le 13 janvier 1998, un appel d'offres de la CEE avec un budget de 400 millions de francs, eut pour objet « la valorisation énergétique de la biomasse et des déchets, les économies d'énergie et l'application des énergies nouvelles et renouvelables ». En outre, les pays économiquement sous-développés ont su saisir pour leur agriculture, la chance énergétique représentée par le gaz de ferme. Des centaines de milliers de « digesteurs » souvent rudimentaires existent en Inde et des millions fonctionnent en Chine.

Après une vie aussi riche et intense, Marcel Isman s'éteignit le 8 juillet 1996 dans sa quatre-vingt-dixième année, ayant toujours été viscéralement arraché à sa patrie perdue, l'Algérie.

Sa conduite héroïque pendant la guerre lui avait valu d'accéder au grade de lieutenant-colonel. Il était décoré de la croix de guerre 39-45 et était Chevalier de la Légion d'honneur à titre militaire. Il était aussi officier des palmes académiques et officier du Mérite agricole.

 

Simone Legrand

d'après une biographie rédigée par le gendre de Marcel Isman,

maître Pierre Paquin.

 

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