Père

Louis Delattre

 
 

Deville-les-Rouen 1850

Carthage 1932

Devenu célèbre au point que l'on se déplaçait de loin pour le rencontrer, le Père était surtout un remarquable prêtre et un archéologue reconnu.

Louis-Alfred Delattre naquit le 26 juin 1850 à Deville-les­Rouen (Seine­Inférieure) dans une famille profondément chrétienne qui compta douze enfants. Son père, entrepreneur de peinture, ne songeait sans doute qu'à associer son fils à ses travaux. Toutefois, quand, encouragé par le curé de la paroisse, celui-ci manifesta le désir de devenir prêtre, il n'y fit aucune opposition.

Le jeune Louis entra au séminaire. Désireux de se consacrer à l'Œuvre des Missions, il débarqua à Alger le 19 juin 1873.

 

Mgr Lavigerie lui conféra le sacerdoce le 30 mai 1874 à Notre-Dame d'Afrique. Aussitôt après son ordination, tout en poursuivant son noviciat, il fut affecté à la surveillance des orphelins arabes. Puis, sur l'ordre de son supérieur, accompagné du père Charmetant, il s'embarqua le 21 novembre suivant pour le Canada avec mission de solliciter la charité pour le Sahara et le Soudan. Revenu en Europe en septembre 1874, il fut nommé à Saint-Louis de Carthage, où il devait exercer son apostolat durant cinquante-six ans. Avec l'assistance d'un père et d'un frère, le nouveau missionnaire cherche à gagner la confiance des populations indigènes en soignant les malades disséminés dans les villages alentours. Sa tâche particulière fut la tenue d'un dispensaire. Il s'y donna de tout son cœur et non sans succès. Il avait l'avantage de parler l'arabe dont il avait appris les rudiments durant son noviciat.

Ses relations avec les indigènes l'amènent à s'intéresser à l'archéologie. Ceux-ci, habitués à voir les Européens en quête de vieilles monnaies, de poteries anciennes, de pierres écrites, ne se présentaient guère sans avoir en main ce qu'ils appelaient des « antiques », espérant en tirer quelque argent. Il fut de plus encouragé dans cette voie par Mgr Lavigerie lui-même qui estimait que l'Eglise devait être l'amie de la science. En février 1881, à l'occasion de l'inauguration du Collège d'enseignement secondaire Saint-Louis, le prélat proposa le Père Delattre pour diriger une mission permanente chargée de recherches archéologiques à Carthage. C'est ainsi qu'il fut conduit à faire effectuer des fouilles du côté de l'amphithéâtre où le sang des chrétiens avait coulé en si grande

abondance. En quelques années, il parvint à réunir plus de 6000 objets : vases, monnaies, inscriptions diverses er commença à constituer un musée. Animé du « feu sacré », notre archéologue improvisé, tout en continuant à veiller à son dispensaire, s'attache à constituer une bibliothèque en rapport avec ses recherches. Avec quelques fonds mis à sa disposition, il découvre de très anciennes tombes puniques .

Le 12 mai 1881, était signé le traité du Bardo plaçant la Tunisie sous le protectorat de la France. Le père Delattre fut nommé curé de la paroisse Saint-Louis. Commença alors la restauration de Carthage avec, en premier lieu, la construction de la cathédrale. Le Père Delattre fut étroitement mêlé à ces travaux. Le 15 mai 1890 eut lieu la consécration de cet édifice au cours d'une cérémonie solennelle présidée par Mgr Lavigerie, élevé à la dignité de cardinal.

Bien qu'il fût resté invariablement attaché au poste de Saint-Louis, le Père Delattre effectuait de nombreux déplacements (Amsterdam, Rome, Biskra, Palerme, Alger, Jérusalem). C'est lui qui assista le cardinal lors de sa dernière maladie et accompagna la dépouille mortelle d'Alger à Carthage.

Poursuivant sans défaillance la grande œuvre de la résurrection de l'Eglise de Carthage, le père Delattre ne cessa de pourvoir à l'instruction des fidèles, d'assurer l'administration des sacrements, d'organiser la vie paroissiale. Une modeste école fonctionna dans les dépendances de Saint-Louis: les enfants musulmans y étaient admis. Le Père avait à cœur d'attirer leur confiance, surtout celle des plus pauvres. Ceci ne l'empêcha pas de poursuivre sa tâche personnel le, la reconstitution de l'ancienne Carthage. Si le Gouvernement ne se montra pas généreux pour lui allouer des subsides, il reçut des dons d'admirateurs, lui permettant d'effectuer de nouvelles fouilles. La colline de Douimès le mit en présence d'une nécropole punique du plus haut intérêt. Il découvrit la pierre tombale des saintes Perpétue, Félicité er de leurs compagnons. L'événement fit sensation, même en dehors du monde religieux. L'abondance et la variété des objets, grands ou petits, recueillis au cours de ses campagnes, l'obligèrent à doubler son musée.

Ses travaux étaient suivis avec intérêt, non seulement en France. mais aussi au dehors. .. Les revues demandaient des articles; les sociétés l'invitaient à des congrès. C'est ainsi qu'en 1899 il se rendit au congrès international d'archéologie de Rome. De nombreuses distinctions honorifiques lui furent attribuées, l'encourageant à persévérer dans son labeur quotidien qui ne manquait ni de fatigues, ni de soucis, ni même de critiques. Avec son esprit ouvert, sa franche gaieté, le père Delattre mettait ses visiteurs à l'aise, leur donnant toutes les explications désirées ou leur racontant les détails et les circonstances d'une découverte. Son champ de relations était très étendu.

Avec les années, ajoutait-il plaisamment, il était devenu lui-même une des curiosités de Carthage. Sans discrétion, des touristes réclamaient sa présence, simplement pour ne pas quitter la Tunisie, sans avoir vu le fameux père Delattre. Il acceptait de bonne grâce cette fastidieuse corvée.

Les années de la guerre ralentirent le mouvement extérieur, sans cependant l'interrompre, puisque c'est durant cette période que furent entreprises les fouilles qui devaient aboutir à la découverte de la basilique de Saint-Cyprien. C'est en ce lieu que se déroula en 1930 le XXXe congrès eucharistique international. Le 15 février 1932, dans une conférence donnée à l'Institut d'archéologie sacrée, le président de la Commission pontificale rendit hommage aux découvertes du père Delattre grâce auquel le Congrès de Carthage avait connu un succès sans précédent.

On comprend sans peine l'émotion produite dans le monde savant et religieux par l'annonce de sa mort. Il fut inhumé dans la basilique dont il était le curé, et plus précisément dans la chapelle de Notre-Dame de Carthage, ainsi nommée car au cours de ses fouilles, le Père avait découvert une Vierge-mère d'une valeur exceptionnelle. Lors de l'indépendance de la Tunisie, la Primatiale de Carthage fut saisie et les dépouilles du cardinal Lavigerie, de plusieurs autres pères dont celle du père Delattre furent exhumées. Le père Delattre repose maintenant au cimetière de Damous-el Karita parmi les tombes des Pères Blancs et des Sœurs Blanches.

 

D'après Jean Marcille

Texte aimablement communiqué par Jean-Pierre Zeller

 

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