Vincent-Yves

Boutin

 
 

Le Loroux-Bottereau 1772

Les Monts Ansariès (Syrie) 1815

D'une famille modeste, Boutin n'était nullement préparé à vivre un destin aussi exceptionnel. Chargé d'une mission importante, prisonnier, il s'échappe et, plus tard, meurt de manière mystérieuse.

Vincent-Yves Boutin est né à Loroux-Bottereau, petit village des environs de Nantes le 1er janvier 1772. Son père était maréchal-ferrant.

Ayant plus d'aptitudes que ses cinq frères et sœur, Yves fut envoyé à l'Oratoire, principal collège de Nantes, dont le préfet des études était Joseph Fouché, le futur conventionnel, ministre de la police impériale et duc d'Otrante.

A dix-neuf ans, ayant reçu le diplôme de maître es-arts et désirant embrasser la carrière militaire, il se rend à Paris pour préparer son examen à l'Ecole du génie de Mézières. Reçu brillamment, il devient élève sous-lieutenant à Mézières, puis à Metz.

Appelé aux armées plus tôt que prévu, er promu lieutenant, il débute sa carrière d'officier du Génie et se fait remarquer par la qualité de ses travaux d'ingénieur de fortification. De 1798 à 1801, il se distinguera sur les champs de bataille d'Europe. Remplissant les missions souvent périlleuses qui lui sont confiées, avec zèle et intelligence, nommé capitaine, Boutin reçoit un certificat élogieux de Bonaparte.

Affecté d'abord en Italie puis à Utrecht, il est, en août 1805, dans la Grande Armée sous les ordres de l'empereur qui lutte contre la troisième coalition. En mai 1806, il est envoyé à Constantinople pour défendre cette ville assiégée par les Anglais. Il s'agit d'une nouvelle mission délicate, requérant des qualités à la fois militaires et diplomatiques, qu'il remplit avec succès.

La paix de Tilsitt, en juillet 1807, met fin à la guerre continentale. C'est alors que Napoléon reprit un grand projet qu'il nourrissait depuis longtemps, celui d'une expédition en Barbarie. Il s'agissait d'une part de faire échec à l'influence et au commerce de l'Angleterre et, d'autre part, d'ajouter à la grandeur de la France en faisant de la Méditerranée un « lac français » et de civiliser une vaste contrée qui, par sa position géographique, appartenait plus à l'Europe qu'à l'Afrique.

Le soin d'étudier ce projet fut confié à l'amiral Decrès, ministre de la Marine et des Colonies. C'est ainsi que Boutin, jugé le plus qualifié pour recueillir sur place les informations nécessaires, fut envoyé à Alger. Il s'embarqua le 9 mai 1808, incognito, à Toulon sur le brick Le Requin. La traversée fut mouvementée car le navire eut à subir une attaque d'un brick anglais. Le combat tourna à l'avantage du Requin qui mouilla dans la rade d'Alger le 24 mai, après une escale à Tunis.

Accueilli par le consul Dubois-Thainville, Boutin effectue, jusqu'au 17 juillet, une dangereuse mission. Il devra mettre en œuvre routes ses qualités d'audace, de finesse d'esprit, de fermeté et de courage. Il rencontre en effet de grands obstacles dûs aux interdiction qui ferment aux c roumis» l'accès d'une grande partie d'Alger et de ses environs, ainsi qu'à la surveillance étroite dont il est l'objet.

Néanmoins Boutin ne perd pas de temps et se met à l'œuvre. Il se promène et flâne dans la ville et à la campagne, dépassant même de trois ou quatre lieues les limites assignées aux Européens. Sa témérité met en danger, en plus d'une occasion, sa propre vie et même celle des autres Français du consulat. Ses excursions répétées et parfois éloignées exaspèrent le dey méfiant qui lui fait adresser à plusieurs reprises des observations et même des menaces par le consul.

Le soir, rentré au consulat, il passe la nuit à mettre au point toutes ses observations. Il a à sa disposition un document important, le livre du docteur Shaw qui, après soixante-dix ans, est encore à l'époque l'ouvrage le plus exact sur les Régences de l'Afrique du Nord. A Sidi-Ferruch, il a la conviction, compte tenu de la topographie des lieux, que c'est là que doit avoir lieu le débarquement. Il lui reste à reconnaître la route directe qui, de Sidi-Ferruch, mène à Alger, ce qu'il fait avec une précision remarquable. Après cinquante­deux jours passés en terre africaine, Boutin rembarque à bord du Requin. Hélas, le bateau est attaqué par la frégate anglaise, Le Volage. Boutin jette tous ses papiers à la mer avant d'être fait prisonnier à Malte. Il parvient à s'évader et, déguisé en matelot, à partir pour Constantinople sur un navire marchand. Enfin, rentré à Paris, il reconstitue grâce à sa mémoire prodigieuse le dossier perdu et rédige un rapport qu'il remet à Decrès le 18 novembre 1808. Comme l'a écrit François Charles-Roux : « C'est un document capital, qui constitue la première étude compétente des conditions d'une expédition militaire contre Alger, le premier exposé méthodique des données nécessaires à connaître pour l'entreprendre et avec lequel aucun mémoire antérieur, même utile, ne supporte la comparaison. »

Plan des environs d'Alger. Croquis fait par Boutin. Document Service historique de l'Armée.

 

Dans ce rapport, Boutin confirme que Sidi-Ferruch est le lieu idéal pour un débarquement. Il en explique les raisons. Il décrit la meilleure manière d'attaquer les positions de défense. Il évalue les forces du dey. Il signale les conditions de succès d'une expédition célérité, vigueur et unité de commandement. Il donne des conseils sur l'attitude à adopter vis-à-vis des indigènes : respect des personnes et des biens. Ce rapport est complété par un atlas de 15 cartes et plans. C'est un véritable chef-d'œuvre dont Napoléon se déclarera très satisfait. Malheureusement l'empereur, absorbé par des affaires plus pressantes, doit renoncer à son projet et le rapport de Boutin est classé aux archives de l'Armée. Cependant il aura ultérieurement une influence considérable, et même décisive, sur la réussite de l'expédition de 1830.

En 1827, en effet, après le « coup d'éventail » infligé au consul Deval, le projet d'expédition est repris et le mémoire est exhumé des archives. Il est unanimement choisi et ses conclusions adoptées. Dans un rapport au roi Charles X, les ministres concluront à la possibilité d'un débarquement à Sidi-Ferruch et à la conquête d'Alger par des moyens qui ne sont autres que ceux indiqués par Boutin.

C'est en suivant point par point ses suggestions que réussira une entreprise si souvent tentée en vain. Pour apprécier ce succès à sa juste valeur, rappelons que, pendant plusieurs siècles, aucune tentative pour s'emparer d'Alger n'avait réussi. Ni les Espagnols, ni les Anglais n'avaient pu, malgré leurs bombardements tonitruants, soumettre la capitale barbaresque. Ainsi se trouve établi que Boutin a bien été le précurseur de l'Algérie française.

La mission de Boutin relative à l'Algérie est achevée. Il fut envoyé par la suite en Allemagne, à Ostende, puis, en 1810, en Egypte et en Syrie pour une "mission orientale". Comme celle d'Alger, elle fut très importante et marquée en outre d'une touche romanesque par la rencontre d'une femme aussi extraordinaire que lui, lady Stanhope. Il disparaîtra mystérieusement dans les monts Ansariès (Syrie) au cours d'une excursion alors qu'il était sur le point de rentrer en France. A-t-il été assassiné ? Nul n'a pu en faire la preuve.

 

 

Odette Goinard

Reconnaissance des villes, forts et batteries d'Alger

par le chef de bataillon Boutin (1808),

Bibliothèque du service historique de l'Armée, Vincennes.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

- Léo BERJAUD, Boutin agent secret de Napoléon 1er et précurseur de l'Algérie française, Ed. Frédéric Chambriand, Paris, 1950.

- AURIANT, "Sur la piste du mystérieux Boutin : l'odyssée algérienne", Mercure de France, 1er janv. 1925.

- Robert LAULAN, "Le colonel Boutin", Larousse mensuel, mai 1930.

- Général VALAZÉ, "Papiers relatifs à la conquête d'Alger", La Revue Africaine, Alger, Jourdan, 1892.

- Charles BARBET, "Le colonel Boutin", Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, 1926.

 

 

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