Pierre

Réveillaud

 
 

Paris 1903-1996

Rien ne semblait destiner Pierre Réveillaud, ayant fini ses études de droit en 1926, à parcourir des chemins militaires inattendus.

Jacques Augarde, qui l'a bien connu, raconte cette période glorieuse d'un éminent juriste.

Un matin clair et doux de novembre 1943 arrivait, en provenance de Mechra Bel Kairi, pour compléter le 22e Tabor stationné à N'Kheila, le 95e Goum, ayant à sa tête, monté sur un solide alezan, le lieutenant Réveillaud. Le fier comportement des hommes, la digne allure de l'officier avaient moins provoqué l'agitation sur les bords du chemin que les huit musiciens précédant l'unité. Quatre d'entre eux jouaient de la reita et quatre des Asker. Cet orchestre maghrébin était dû à l'initiative d'un ancien clairon de tirailleurs, initiative à laquelle avait souscrit le chef, qui percevait dans cette formation un accroissement du caractère local de forces essentiellement auxiliaires.

Plusieurs de ses camarades du Tabor avaient participé aux dernières heures de la pacification, mais le nouveau venu affichait un avantage, celui d'avoir fait la campagne de Tunisie. Il aimait rappeler ces mois d'épreuves et s'attardait à citer des anecdotes soulignant le caractère héroïque des Supplétifs du 74e Goum du GTM du colonel Boyer de la Tour.

Les souvenirs engrangés l'autorisaient à prodiguer des conseils, à donner des avertissements dont les sources ne provenaient pas de notes officielles, mais strictement d'observations personnelles. Alors que, depuis le Djebel Saho, les Branes étaient considérés comme peu guerriers, il déclarait avoir trouvé en eux des attaquants audacieux. Il recommandait aux combattants d'avoir, en toutes circonstances, l'esprit occupé. C'était, selon lui, le moyen de conserver la maîtrise de soi, le flegme et la clairvoyance. Il avait des idées précises sur tout: commandement, cadres, hommes, armes, munitions, transports, transmissions, tactique, etc. Il était avant tour soldat et profondément soldat. Son père avait fait une très belle guerre de 1914-1918, mais le dissuadait d'entrer dans l'armée car, disait-il, « tu n'y auras aucun avenir, il n'y aura plus de guerre, l'Allemagne ayant été définitivement battue ».

A N'Kheila, il se morfondait comme la plupart de ses camarades. Le 22e Tabor, rassemblé sous les ordres du chef d'escadron Seigle, était destiné à gagner sous peu l'Italie. Le seul écueil était l'hostilité du résident général Puaux et de son entourage. Persuadés qu'un soulèvement du bled allait se produire, ils craignaient de se séparer des éléments de police rurale. Dans les premiers jours de 1944, une violente mais brève échauffourée à Rabat sembla leur donner raison mais il ne s'agissait que d'un feu de paille. Le Tabor fut pourtant dirigé « en catastrophe » sur la capitale marocaine et maintenu sur place. Cette stagnation devenait inquiétante et les demandes sans cesse renouvelées des états-majors ne produisaient aucun effet. Disposant de sérieuses relations, Pierre Réveillaud les fera jouer, si bien que le général Leclerc, connaissant bien cette troupe, ayant été officier des Affaires indi­gènes, acceptait que le 22e Tabor entre dans l'effectif de sa division comme infanterie d'accompagnement. Une fois encore, le résident général opposa son veto. Redoutant, comme d'autres, de finir la guerre en Afrique du Nord après l'avoir si bien commencée avec la Résistance .et au début de 1943 sur le front de Tunisie, Réveillaud obtenait d'être appelé à Londres comme aide de camp du général Koenig. A la libération de Paris, le général De Gaulle lui confia l'organisation des affaires musulmanes. Des Nord-Africains, faits prisonniers au moment de la débâcle de 1940, avaient été maintenus comme ouvriers par les Allemands, qui ne s'étaient guère souciés de leur entretien. Notre commandement, absorbé par d'autres tâches, s'était peu occupé d'eux. Réveillaud sut former et animer un important service qui fonctionna à la satisfaction de tous, permettant aux Tirailleurs et aux Spahis d'être dirigés rapidement vers leurs villes et leurs douars.

Considérant avoir accompli sa part de travail administratif, il rejoignait, dès le mois de mars 1944, le 14e régiment d'infanterie au-delà des Alpes et recevait une quatrième citation s'ajourant à celles décernées en Tunisie1. Jusqu'à la guerre puis à partir de 1945, inscrit au barreau de Casablanca, il fut un avocat compétent en droit coutumier, criminel ou de construction. Ses confrères, conscients de ses qualités professionnelles et de son intégrité morale, l'appelaient à siéger au Conseil de l'Ordre.

Promu à titre militaire officier de la Légion d'Honneur

 

Il avait été nommé au conseil municipal de Casablanca, ville d'un million d'habitants à l'administration difficile. L'afflux de gens du bled attirés par le mirage de l'opulente cité ne cessait de poser des problèmes aux responsables, en raison de son développement économique et de son extension. Il avait été également élu au conseil de gouvernement comme rapporteur, à l'Assemblée marocaine, de nombreux textes et de plusieurs budgets fort importants, dont celui des travaux publics et de l'urbanisme.

Le président du troisième collège, le docteur Eyraud, directeur de La Vigie marocaine, le plus important quotidien de langue française, ayant été assassiné, il était appelé à le remplacer, de même qu'à la tête du parti radical et radical-socialiste. De graves responsabilités allaient lui incomber au moment où intervenaient des accords nouveaux entre les deux Etats, liés jusqu'à ce jour par la  Convention de Fès de 1912.

En 1956, il devait regagner la France et s'inscrivait au Barreau de Paris. Avec des confrères venus de nos anciens établissements, il constituait l'Association nouvelle des avocats d'Outre-mer qui, avec d'autres groupements de même origine, obtenait la réforme du Code de procédure civile, conformément au régime introduit au Maroc par notre pays, et pouvait se flatter d'avoir largement contribué à la fusion des professions d'avocat et d'avoué.

Pierre Réveillaud en compagnie de Jean Augeai,
président de l'ANFANOMA, récemment décédé

Spécialiste du droit immobilier, de la construction et de l'urbanisme, il publiait avec l'aide de son épouse, ancienne ambulancière de la Première Armée, Jeanine Ricord-Réveillaud, avocate elle aussi, le Dictionnaire permanent de la construction et le Code permanent de la construction urbaine, œuvres indispensables aux juristes comme aux administrateurs, promoteurs et entrepreneurs.

Il contribuait à la formation d'organismes relevant de diverses disciplines : Association française d'arbitrage, Phylum club international, sections du Rotary, groupes d'anciens combattants, en particulier la Koumia qui réunit les anciens cadres des Goums marocains et des Affaires indigènes du Maroc. Il avait adhéré à l'association Mémoire d'Afrique du Nord, dont il suivait activement les travaux. Sensible aux malheurs des rapatriés, il fondait l'ANFANOMA, Association des Français rapatriés d'Outre­mer et leurs amis, et le périodique France­Horizon qui, depuis quarante ans, défend les victimes de la décolonisation.

Ses nombreuses occupations lui laissaient pourtant quelques loisirs: il les employait à peindre. Ses tableaux, d'une belle venue, souvent inspirés par des paysages marocains, figurent dans des collections particu­lières et dans plusieurs musées.

Jacques Augarde

Président de Mémoire d'Afrique du Nord

 

1Avec trois blessures, il totalisait sept titres de guerre qui devaient lui valoir la Croix de Guerre, la " Silver Star" améticaine et successivement la croix de chevalier et d'officier de la Légion d' Honneur. Plus tard, la croix de commandeur de l'ordre national du Mérite récompensait une brillante carrière professionnelle et associative.

 

 

 

 

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