Claude

Charmetant

 
 

1850 1912

Personnalité d'une envergure exception-nelle, Claude Charmetant fut l'un des pionniers de l'implantation française en Tunisie.

Claude Charmetant fit partie de la première vague de colonisateurs lyonnais qui, à partir de 1880, entreprirent d'investir leurs fonds en Tunisie et de s'y installer.

Issu d'une famille de soyeux, et soyeux lui-même, Claude Charmetant connut de graves ennuis de santé dans son adolescence, ce qui l'empêcha de faire des études supérieures. Il répondit au mal par le mal par une activité incessante. Comme l'ensemble de sa profession, il cherche en permanence à exporter. Il a ses agents en Inde, il en installera à Djibouti, mais c'est l'Afrique du Nord qui va mobiliser ses efforts. Très vite, il s'occupera à la fois de vendre ses étoffes et de créer des exploitations agricoles.

Tout se décide en quatre années, entre 1880 et 1884. Il n'a pas attendu le traité du Bardo (1881) et, après un premier voyage en Algérie, il prend pied en Tunisie dès mars 1880. Il ne pense alors qu'à la soierie. Il traverse le nord du pays, y fait mille observations, en particulier sur l'opinion indigène à l'égard des européens, constate que le climat général est favorable aux intérêts français et ne regagne pas la France sans avoir eu un entretien à Tunis avec le vice-consul Lequeux qui succédait à Roustan1. Il a pu constater aussi la présence de compatriotes de confessions diverses et il s'attache à établir des relations avec ceux d'entre eux qui peuvent lui servir de correspondants commerciaux. Il constate, dès ce premier périple, que la Tunisie est plus pauvre que l'Algérie. Il a vu ces régions peu peuplées, cette "population clairsemée" comme l'écrira en 1893 Paul Bourget. Il sait que ce pays ne peut que souhaiter l'arrivée de capitaux pour sa mise en valeur. Et sans doute s'est-il aperçu qu'à la différence de l'Algérie, il n'y a pas de colonisation officielle, ni même privée en Tunisie, qui constitue ainsi une terre vierge pour un développement agricole.

Son voyage de 1883 le voit au travail à Alger, à Oran et Constantine pour y renforcer ses positions. C'est seulement en 1884 qu'il gagne une seconde fois la Tunisie. Son intérêt pour la colonisation agricole s'est en effet accru. Il a visité des exploitations, dont le vignoble de son représentant de soieries à Alger, ainsi qu'une partie du Constantinois où fleurit l'olivier. Le voici à cheval pour faire les 70 km qui séparent Souk-Ahras de Guardimaou, d'où le train le conduit à Tunis. Là, le décor a changé. Le bey est à la Marsa, Mgr Lavigerie2 non loin, et le Résident est à Tunis.

Il s'arrête longuement à Carthage où le Père Delatttre3 a ouvert un musée. Et surtout, il prend de nombreux contacts. Les premières implantations de Français sont en cours. Des intermédiaires sur place, dont des Lyonnais, sont prêts à servir de correspondants. Les carnets de voyage de Claude Charmetant se garnissent vite de noms et d'adresses, d'observations sur le prix des denrées et services, sur les projets d'équipement du protectorat, sur les possibilités de devenir propriétaire, sur les chances de réussite d'une implantation dans ce pays. Pour un homme comme lui qui a appris à connaître le commerce et la vie publique en Algérie, ce qui s'amorce en Tunisie paraît vite prodigieusement intéressant.

Il rentre en France en février 1884. Dix-huit mois plus tard, le 24 septembre 1885, il est à Tunis pour signer l'acte d'achat de 198 hectares de terre "en brousse" à 20 km de Tunis, au Mornag, situé au pied du Bou-Kornine, payés 125 F. l'hectare. Le lendemain il est sur les lieux pour en prendre possession. Son vendeur est Emile Lançon, pionnier de l'implantation lyonnaise, le premier à avoir investi en Tunisie et à s'y installer dès 1883. Il appellera ce domaine, "Les Charmettes" du même nom que la propriété de Saint-Symphorien d'Ozon qu'il tenait de son grand-père et qu'il a dû vendre pour effectuer cet achat. Ceci n'était pas qu'un placement de fonds, mais le fait d'un homme dont l'horizon était singulièrement étendu et qui n'avait pas froid aux yeux. Le domaine du Mornag, agrandi, organisé, puis peu à peu planté, atteindra vers 1900 les 210 hectares dont 57 de vignes et 15 d'amandiers. Cette implantation est un des premiers pas de l'avancée lyonnaise en Tunisie, malgré le scepticisme et même l'hostilité régnant en France à cette époque à l'égard de l'idée "coloniste" (vocable alors en usage).

Mais le Mornag n'allait pourtant pas suffire à Claude Charmetant. En 1887, et trois ans de suite, il descend à Sfax, puis à Sousse, Tripoli, Monastir, Kairouan, Gafsa, Gabès. Chaque fois il pousse plus loin ses pions, tant sur le plan du commerce textile que sur d'autres projets. A El-Djem, il aura l'idée de construire une usine de salpêtre. Il obtient dans la région deux concessions : EI-Mouallen (185 hectares) et Hamada (44 hectares) qu'il destinait à l'oléiculture. Il ne ménage ni son temps ni sa peine parcourant un à un tous les points du centre et du sud. En 1897 il possède à 15 km de Sfax trois propriétés contiguës : l'Hirondelle (40 hectares en dattiers et amandiers), Saint-Claude (200 hectares en oliviers), Sainte-Thérèse (185 hectares en oliviers). Des gérants salariés les mettent en valeur. Quel esprit d'entreprise ! Précisons qu'à l'époque, il fallait plus de trois jours pour faire Lyon-Tunis et autant pour en revenir. Et lorsque s'y ajoute Sfax, qui ne sera relié à Sousse par voie ferrée qu'en 1911, c'est un trajet supplémentaire, soit par bateau-diligence, soit chemin de fer-voiture à cheval, d'une durée variable, mais non négligeable! Homme de foi profonde, Claude Charmetant se souciera toute sa vie d'éclairer sa conscience par l'étude et par la réflexion. Depuis sa jeunesse, il concourt à la vie sociale et politique de son temps. Il fait partie en particulier du syndicat de la colonisation lyonnaise en Tunisie. Mais c'est peut-être dans la réussite familiale qu'il atteindra le sommet de son existence. Son épouse, Thérèse Marduel et lui auront en effet douze enfants, d'où suivront soixante-quatre petits-enfants et deux cent trente arrière petits-enfants. Deux de ses fils s'établiront sur ses terres, Jean (1880­1959) et Joseph (1894-1988). Un autre fils, Pierre, prêtre du diocèse de Lyon, ordonné en 1909, venu à Tunis vers 1930, fut curé d'une paroisse de Tunis jusqu'en 1964, et fut sans doute le dernier des Charmetant à quitter la Tunisie. Nombreux seront aussi ceux de la troisième génération à être nés et, pour certains, à avoir vécu en Tunisie. Le nom de Charmetant marquera de son empreinte toute la durée de la présence française en Tunisie.

Odette Goinard d'après le livre de Christian Rendu La saga des Pionniers

 

 

1 - voir la biographie de Théodore Roustan dans Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 7.

2 - voir la biographie de Charles Lavigerie dans Les Cahiers d Afrique du Nord 6.

3 - voir la biographie de Louis Delattre dans Les Cahiers d'Afrique du Nord 4.

 

 

 

 

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